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À Perpignan, les bijoux d’un artisan de l’identité gitane

À Perpignan, le joaillier Denis Skrok a développé une activité singulière autour de bijoux en or massif, porteurs d’une symbolique forte et d’un usage quotidien. Héritage familial, réserve de valeur et marqueurs identitaires, ces pièces, prisées par les familles issues des communautés des gens du voyage, répondent à des codes précis. L’artisan a appris à les décrypter et à les traduire en créations sur mesure.

Dans la vitrine de la boutique de Denis Skrok, juste à gauche de la porte d’entrée, entre les colliers de perles et les boucles d’oreilles colorées, se trouvent deux gros hérissons dorés. Les animaux ne sont pas à vendre ; ils ne sont d’ailleurs sûrement pas en or. Ils attirent l’œil vers une profusion de bijoux scintillants en or et diamant : larges bagues de la taille d’une chevalière, colliers grains de café, croix serties et figures de la Vierge Marie.

Après quelques années dans le métier, Denis Skrok s’est aperçu bien vite qu’il existait une niche sur le marché de la joaillerie : les bijoux prisés par les familles issues des communautés des gens du voyage. « Ils veulent de gros modèles, pas de bijoux légers, en général », sourit-il.

Une joaillerie de transmission et de refonte

La grande majorité des clients vient en boutique avec son propre or, héritage de famille. Les bijoux, usés par le temps – et parce qu’ils sont portés au quotidien, au grand dam d’un artiste du précieux comme Denis Skrok – ont leur propre histoire. La génération qui en hérite décide en général de les refondre. Parfois à l’identique, en ajoutant un détail personnel, ou pour une création entièrement nouvelle. Il montre la photo d’une bague de la taille d’une phalange, en or, gravée de multiples symboles et illustrations.

« Il y a une route, puisque c’est quelqu’un du voyage. Il y a les initiales de son fils. Un bonnet de fou, pour son arrière-grand-père qui était saltimbanque. La roue, des calèches à l’origine, aujourd’hui des camping-cars. 20 boulons, parce qu’il avait 20 ans lorsqu’il a fait la bague. Et un aigle, parce qu’il adorait ça », décrit Denis Skrok.

L’ensemble est hétéroclite, mais harmonieux. « Je n’en porterai pas forcément moi-même, mais ça a une histoire, c’est magnifique », dit le joaillier.

Symbole d’appartenance et de transmission

Chez les familles issues des communautés du voyage, le bijou dépasse largement la fonction décorative. Il dit l’appartenance, protège, raconte et se transmet. Porté au quotidien, souvent brillant et imposant, il concentre à la fois une mémoire familiale et une certaine idée de la richesse : visible, mobile, toujours sur soi. Les créations suivent une symbolique très codifiée : roue, hérisson, figures religieuses, notamment la Vierge Marie, crucifix et croix, fleur de Lys, fer à cheval, Louis d’Or, ou encore lion.

Le niglo, ou hérisson, incarne la vigilance familiale, une figure protectrice du clan. La roue, héritée des calèches et des roulottes, renvoie à la mobilité contrainte, ou revendiquée : elle est le symbole du mouvement perpétuel, mais aussi de la continuité, du cycle des générations. La tête de lion, symbole de puissance et de fierté depuis l’Antiquité, est portée sans distinction par les hommes comme les femmes, et rappelle la force des ancêtres et du groupe. Les symboles religieux sont omniprésents, autant par tradition que par croyance persistante.

À ceux-ci se mêlent également des symboles comme le Louis d’or, qui rappelle un rapport ancien et pragmatique à l’or, ou la fleur de lys, héritage de l’imaginaire monarchique et religieux français. Son usage aurait plus à voir avec une référence à l’histoire, à la noblesse symbolique des membres du clan, à la permanence des lignées, plutôt qu’un symbole de croyance politique.

Un parcours classique au service d’une clientèle singulière

Avant d’apprendre à connaître ces symboles, Denis Skrok a fait ses armes de façon plus traditionnelle. Après la Haute Ecole de Joaillerie, rue du Louvre, gratuite à l’époque – contre plusieurs milliers d’euros aujourd’hui – ce fils de minéralogiste a pu travailler chez quelques-uns des plus grands noms de la joaillerie, de Mauboussin à Van Cleef et Arpels.

Dans la galaxie de métiers liés aux bijoux, le métier de joaillier a cela de particulier qu’il travaille exclusivement des métaux et des pierres précieuses, pour des pièces pensées pour durer. Denis Skrok, lui, utilise uniquement des métaux précieux ; exit l’acier inoxydable, « c’est une autre façon de travailler ».

Suivre les codes au rythme des générations

Un joaillier passe du temps avec sa clientèle. Choix de la pierre, du style… « Je demande à la personne de me parler de sa vie aussi, ce qu’elle aime ou pas. Je regarde ce qu’elle porte sur elle comme bijoux. Et ensuite, je dessine ». L’ordinateur et le dessin 3D ont remplacé la plume, la gouache et le papier. Le rendu, s’il perd son côté artisanat traditionnel, a le mérite d’être très réaliste, de qualité presque photographique. Pour les pièces très minutieuses ou originales, comme un visage de la Vierge, Denis Skrok crée des modèles en cire qu’il grave à la main.

Les goûts changent avec les générations. Là où les anciens privilégient les symboles hérités, la jeune génération n’hésite pas à détourner les codes. Denis Skrok se souvient d’une bague familiale refondue pour intégrer le logo des Lakers, mythique équipe américaine de basketball.

Beaucoup viennent avec une idée de design trouvée sur internet et sur TikTok. Sur ces bijoux, souvent bien moins chers et en matériaux moins nobles, tout y est, du hérisson à la fleur de lys. La plupart du temps, l’artisan a déjà travaillé sur un modèle similaire, et va pouvoir proposer une création originale, proche de l’idée initiale.

Premiers pas à Perpignan

Installé depuis quelques mois, la façade du joaillier n’est pas encore achevée. Il n’en est qu’au stade des premières rencontres avec sa nouvelle clientèle de Perpignan. Il travaille pour l’instant principalement sur ses propres créations, qui plaisent déjà.

L’artisan apprécie cette clientèle qui est enthousiaste vis-à-vis de ses propositions. Et les clients sont en général pressés d’acheter. « Ils n’ont pas vraiment de patience », sourit le joaillier, « ils veulent quelque chose très rapidement. Donc si je leur propose un produit déjà prêt, ça marche. »

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