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Pyrénées-Orientales : Comment le numérique bouscule cet artisanat ?

Pyrénées-Orientales : Comment le numérique bouscule cet artisanat ?

Article mis à jour le 8 mars 2024 à 12:45

Daniel Alsina est prothésiste dentaire dans les Pyrénées-Orientales. Un métier qui fait peu parler, mais qui s’avère indispensable. C’est au CFA (Centre de formation des apprentis) de Rivesaltes que cet artisan a décidé de transmettre ce savoir-faire unique. Photos © Célia Lespinasse.

Le patient remercie son dentiste mais que sait-on du travail du prothésiste ? Cet artisan travaille dans l’ombre, parfois sans compter ses heures. Si prendre des empreintes est une chose, confectionner un appareil dentaire qui s’adapte parfaitement à la dentition du patient est tout un art !

« C’est un métier pour lequel vous sacrifiez votre santé et votre famille »

« On dit souvent que l’artisan fait l’artisan et pendant longtemps, ça a été le cas. Être prothésiste dentaire, c’est un métier pour lequel vous sacrifiez votre santé et votre famille. Mon père était l’un des premiers a avoir obtenu son brevet de maîtrise. Il était président du syndicat des prothésistes dentaires. Quand vous êtes « fils de », il faut être toujours un cran au-dessus », confie Daniel. « Cela m’a obligé à me former à outrance. Avec le temps, c’est devenu passionnel ! »

Durant toute sa carrière de prothésiste, Daniel a sillonné les routes de France pour poursuivre sa formation. Pour cet artisan de la santé, il est primordial de rester à la page et d’assimiler les nouvelles techniques. « J’ai fait des stages avec les meilleurs ouvriers de France, justement pour me mettre en danger et pour améliorer mon travail. On est loin d’être parfait, ce qu’on fait, c’est bien, mais il faut toujours essayer de s’améliorer, c’est ma logique ! » 

Une technologie qui prend de plus en plus de place

Ces dernières années, la technologie CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur) a pris beaucoup de place dans la profession. Cet outil informatique permet de concevoir un dispositif dentaire sur mesure. « J’étais l’un des premiers laboratoires du département à investir dans cette technologie« , explique Daniel. Lorsqu’il obtient son diplôme en 1983, le jeune prothésiste dentaire accompagne son père à la présentation du système CFAO, animée par le docteur Duret. Une « claque » pour le jeune homme qui se rend compte que tout ce qui est créé manuellement peut désormais l’être grâce au numérique. « Il m’avait ancré une graine dans la tête et j’ai suivi l’évolution. En 2005, le premier congrès dédié à cette technologie s’est ouvert, j’ai pris ma voiture jusqu’à Chambéry et j’ai découvert ce qui était vraiment en train d’émerger. » 

D’après le prothésiste dentaire, si les réticences étaient nombreuses au sein de la profession, aujourd’hui, il ne reste que 5% des laboratoires qui ne sont pas équipés de CFAO. « Cet outil simplifie la tâche des prothésistes au quotidien. Lorsque vous faites une dent en porcelaine ou en céramique manuellement, il vous faut au minimum trois jours et demi d’ouvrage. Avec la CFAO, vous modélisez virtuellement et vous usinez dans une machine la base de votre dent. » Celle-ci est d’abord taillée par le dentiste, le prothésiste doit ensuite fabriquer une coque et par-dessus, monter de la céramique pour façonner la dent. 

Sur des reconstitutions d’ampleur, les prothésistes peuvent rencontrer des problèmes de torsion d’alliage. « Lorsque l’on envoie le métal dans la pièce, on le déstructure. Et puis on le restructure en le refroidissant. C’est à ce moment-là, que des tensions apparaissent. » Un travail titanesque, long et minutieux. « Avec la CFAO, vous n’avez plus de tension, donc plus de déformation. Cela m’a permis de revenir sur des journées de travail de 12 heures et de souffler un peu », avoue Daniel. Un gain de temps considérable pour le professionnel. 

Seule ombre au tableau ? Les sociétés de fabrication ont également vendu ces appareils aux dentistes. Ce qui provoque un jeu de double concurrence. « À la fac, les dentistes sont formés à prendre une empreinte numérique. Tout est devenu virtuel. On ne met plus une pâte en bouche, nous avons une caméra optique. Tout est envoyé à une imprimante 3D pour obtenir matériellement le modèle. Cela permet d’aller plus vite et c’est moins cher. » Traditionnellement, l’empreinte est coulée au plâtre par le prothésiste qui la traite ensuite manuellement ou à l’aide de la CFAO.

« Je pense que la main de l’homme restera »

L’arrivée du numérique bouscule l’artisanat. « Nous avons une telle explosion de ces technologies, qu’il a fallu revoir le contenu de nos formations. C’est un artisanat différent, mais je pense que la main de l’homme restera. Il y a encore un bel avenir pour la profession », soutient Daniel. Alors que l’IA (Intelligence artificielle) arrive à grands pas, pour l’instant, la machine n’est pas assez précise pour s’adapter à la particularité de chaque dent, notamment pour obtenir une teinte exacte. « Pour l’instant, cette étape ne peut pas être réalisée autrement que manuellement. »

Pour concevoir un appareil dentaire, les dentistes et prothésistes travaillent main dans la main. Seulement, le rapport entre les deux professions semble conflictuel. « Dans l’historique, les prothésistes sont des professionnels très mal reconnus. Nous travaillons dans l’ombre pour permettre au docteur de fonctionner. »  Pourtant certains dentistes n’hésitent pas à renoncer aux services de l’artisan. « En 2019, 33% des prothèses dentaires provenaient de Chine », déplore Daniel. 

La filière artisanale en constante évolution

Au CFA de Rivesaltes, Daniel forme 37 étudiants, âgés pour la grande majorité de 18 à 24 ans. « Même si le numérique prend de plus en plus de place, on a au moins 50% de la production qui se fait à la main, donc il faut continuer à les former manuellement. Mais en parallèle, il faut aussi les former au numérique pour qu’ils sachent faire les deux. » Daniel désigne une pile de dessins qu’il devra corriger. « Ils doivent me reconstituer la forme des dents avec des engrènements. Cela leur permet d’apprendre la fonte de la dent pour qu’ils puissent la sculpter à la cire ou virtuellement », précise l’enseignant.

Deux parcours sont possibles pour se former au métier de prothésiste dentaire : la filière de l’éducation nationale ou celle de l’artisanat. Les étudiants qui visent un poste à responsabilité peuvent choisir la filière artisanale en préparant le brevet technique des métiers (BTM), puis le brevet technique des métiers supérieur (BTMS). La création de ce « Bachelor », comme l’appelle Daniel, est un travail initié par la génération de son père.

« Pour les petites entreprises qui ne sont pas équipées, c’est compliqué de suivre le rythme »

Ancienne élève de Daniel Alsina, Lisa est diplômée du BTMS depuis six mois. « À l’époque, je voulais faire un métier en rapport avec l’art. Je ne savais pas si je voulais être designer ou architecte d’intérieur… », se remémore la prothésiste. « J’aimais le côté manuel, le fait de sculpter et modeler. J’ai un petit peu cherché ce qui pouvait rentrer là-dedans, puis j’ai découvert la prothèse ! »

Dans son laboratoire, les prothésistes travaillent tous avec la technologie CFAO. « Nous avons des usineuses qui impriment la matière, comme le métal, la résine, la cire… et des scanners qui aident à la conception. Pour les petites entreprises qui ne sont pas équipées de ces technologies, c’est compliqué de suivre le rythme. Le métier commence à évoluer avec l’arrivée de ces nouvelles technologies, il faut réussir à s’adapter. » Lisa, qui travaille la céramique au quotidien, nuance : « Je pense que la main humaine ne pourra pas disparaître de la profession, car le rendu manuel ne sera jamais égal à celui de la machine. »

« Aujourd’hui, j’ai deux jeunes diplômés d’un BTMS et qui sont en train de monter un dossier pour entrer en dentaire et passer directement en deuxième année de médecine. Ça ne s’est plus vu depuis les années 70, puisqu’à l’époque, vous pouviez passer de prothésiste à dentiste », explique Daniel. Ce parcours atypique permettra à ces futurs professionnels de répandre une vision différente de l’artisanat.

Pour le professionnel, il est essentiel d’être passionné par son métier pour devenir prothésiste dentaire. « Il faut aussi être rigoureux et curieux. Vous avez le Bachelor, c’est très bien, mais il va falloir faire des formations, des congrès pour ne jamais rester sur ses acquis. » Le prothésiste dentaire a pour vocation de faire évoluer le métier et d’insuffler des idées qui transformeront les nouvelles générations. « Si sur les 37 élèves que j’ai, j’en ai 10 % qui mûrissent ces idées, lorsqu’ils prendront la relève, ils feront potentiellement bouger les choses. » 

Une technique artisanale diversifiée

Ce que Daniel apprécie le plus dans son travail, c’est la diversité des pratiques. Pour le prothésiste dentaire, chaque bouche est un terrain de jeu. « Une personne aura des dents petites, d’autres, elles seront carrées ou rondes. Et si l’on veut que la prothèse rentre, il faut que la dent soit la mieux adaptée, qu’elle soit travaillée dans ses lignes de transition. Intellectuellement, c’est un métier tellement stimulant ! »

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Célia Lespinasse