De passage à Perpignan, le chorégraphe Sébastien Ramirez est venu passer la soirée à la Casa Musicale pour rencontrer les jeunes danseuses et danseurs hip-hop rassemblés pour le Training Day mensuel. L’occasion d’une rencontre pour faire le point sur la carrière sensationnelle du danseur originaire de Toulouges.
La musique traverse les murs jusqu’à la rue. Dans la salle de danse de la Casa Musicale, DJ 4000 enchaîne ses beats sur des rythmes courts, funk, pop, hip-hop. Ce soir, tout le monde est danseur, il n’y a pas de classe, pas d’âge, pas de bon ou de mauvais. On écoute la musique avant de la rejoindre, les baskets glissent sur le parquet, on bouge, on rit, on contrôle un mouvement dans les miroirs qui habillent les hauts murs de la salle. Ils sont une petite trentaine à avoir rejoint le Training Day mensuel proposé par la Casa Musicale, et son invité spécial, Sébastien Ramirez, chorégraphe de renommée internationale. « À mes débuts, on n’avait pas tout ça » raconte le danseur de 42 ans, le regard levé vers les quatre murs qui l’entourent.
« La danse, la danse, la danse »
Lorsqu’il commence à danser, il a 13 ans, et il danse dans la rue. La dalle Arago, Rive Gauche, la place de la Loge. « On n’était pas nombreux. Il y en avait pas mal qui venaient de Saint-Jacques. Le mélange des quartiers était assez intéressant », se souvient-il. Puis les rassemblements, de plus en plus larges, tard le soir, ont fini par interpeller les riverains. « Pour nous, l’ambiance était incroyable, il y avait une très belle énergie. C’était la danse, la danse, la danse. Il n’y avait pas de bagarres, pas de problèmes. Mais on se faisait tout le temps jeter par les flics », sourit-il. Alors Sébastien et les autres ont accueilli les débuts de la Casa musicale avec enthousiasme, en 1996.
« La salle qu’on avait, ça n’était pas comme ça, à l’époque. Au sol, c’était du béton poussiéreux, puis on nous a carrément mis de la moquette, il n’y avait pas de fenêtre. Mais on nous a donné un lieu où on pouvait se rencontrer. On avait trouvé notre endroit ».
Aujourd’hui, le jeune adolescent de Toulouges, qui vivait d’une valise et « vagabondait pour aller danser à droite à gauche » est devenu un chorégraphe dont la réputation a explosé les frontières de son pays. Il a fondé sa propre compagnie de danse, avec celle qui est devenue son épouse, la danseuse et chorégraphe d’origine coréenne Honji Wang. Si leur siège social est à Perpignan depuis 2007, ils se déplacent au fil des invitations à créer aux quatre coins du monde – sans jamais oublier la capitale catalane. Ensemble, ils mêlent à leurs fondations de hip-hop des influences de danse contemporaine, ballet, théâtre dramatique et arts martiaux. La compagnie Wang Ramirez, fusion de leurs noms, a collaboré aussi bien avec Hermès qu’avec Porsche ou Madonna, en Europe, en Asie et aux États-Unis.
Le duo et le couple Wang – Ramirez
Sur leur agenda 2025, « À l’origine », une pièce chorégraphique interprétée par deux danseurs de leur compagnie, dont la première aura lieu fin janvier. Créée par le duo professionnel Wang – Ramirez tout autant que le couple Sébastien – Honji, l’œuvre se veut un retour nécessaire à leur essence de danseurs autodidactes. Après 15 ans de carrière, « c’est bien de revenir sur ‘pourquoi’ on danse, et sur un format plus petit, un duo », explique-t-il. « On voulait quelque chose de simple, et un retour à notre vocabulaire de danse d’origine. Moi, à la base, je suis B-boy [une discipline du hip-hop, ndlr], et mon vocabulaire de danse s’est enrichi avec le temps ».
À l’origine n’est pas leur histoire, même s’ils se sont inspirés de leur vécu. « On s’inspire toujours des interprètes [dans le cas d’À l’Origine, les danseurs Marco Di Nardo et Caterina Politi, ndlr], de leur histoire », continue Sébastien. « Ils prennent le projet en main, et on est là pour les guider. C’est un chassé-croisé, on s’inspire de leur personnalité, et on l’interprète à travers le prisme de notre vision, de notre vécu. Et je pense que la multiculturalité de notre couple est aussi une source d’inspiration ».
Pour nous, non-danseurs, il essaye de décrire son processus créatif – la vulgarisation du langage de la danse est une tâche qui lui demande un instant de réflexion. « Je ne pense pas que l’on soit des chorégraphes intellectuels qui partent d’un texte, d’une thématique complexe pour l’approfondir et la faire ressortir par du mouvement. On part vraiment des personnes avec qui on travaille. Du visuel, du corporel. On se met dans une salle, on improvise, on communique. La création, c’est des hauts et des bas. Tu te perds. Tu te questionnes. Tu te dis, mais qu’est-ce que je fous ? Et puis ça prend du temps. On passe une ou deux semaines intenses avec les danseurs. Puis on prend un mois de repos. On y repense. On revient dessus. Et il ne faut pas oublier les équipes autour. Il y a le dramaturge, il y a le scénographe. Il y a la lumière. Il y a le compositeur. Donc il s’agit d’avancer ensemble en technicité, en rendu visuel, en guidant au mieux les danseurs pour leur donner un fil rouge à suivre, pour qu’ils sentent qu’il y a une construction. Mais on la découvre avec eux, cette construction ».
Sébastien Ramirez : « Je n’arrêterai jamais de danser »
De bref passage à Perpignan entre deux séjours chez lui, à Berlin, Sébastien est venu échanger avec les danseurs et les danseuses du Training Day. La salle fourmille de joggings amples et les fronts sont baignés de la sueur de l’effort heureux. Comme un bon nombre de participants, Sébastien et Honji sont autodidactes. Une particularité qui le questionne parfois. « Avancer naïvement, c’est aussi une force. Parce que tu crées sans te mettre trop la pression. Mais c’est un milieu, la danse contemporaine. Et tu subis un peu ce regard condescendant. Tu as plus de mal à te faire reconnaître, puisque les autres savent très bien que tu n’as pas les codes. Tu es un danseur hip-hop, tu es un arriviste. Donc ça a été un peu dur au début. Mais il ne faut pas lâcher. Au final, c’est le taf qui parle ».
Blessé à la hanche, il ne dansera pas beaucoup ce soir-là – mais la danse, ça n’est pas tout. À 42 ans, le chorégraphe qui danse depuis trois décennies a multiplié les cordes à son arc pendant sa longue carrière, alternant au gré des projets entre interprète et créateur. « Mais je n’arrêterai jamais de danser », ajoute-t-il avec un sourire.
Retrouvez les prochaines créations de Wang Ramirez « À l’Origine » en représentation dès janvier 2025, et « Echoes of the Soul » dès 2025-2026 au Centre des Arts de Madrid.