Courant octobre, les gendarmes de la MPPF (Maison de Protection et de Prévention des Familles) nous ont reçus au groupement de gendarmerie des Pyrénées-Orientales. Depuis le début de l’année 2024, les forces de l’ordre ont déjà réalisé 210 auditions de mineurs victimes de violence, dont 75% à caractère sexuel.
Pourquoi parle-t-on d’audition « Mélanie » ? Il s’agit en réalité d’une audition filmée, rendue obligatoire par le code de procédure pénale pour les infractions à caractère sexuel. Elle porte le nom de la première enfant entendue et filmée dans les années 90. Depuis, le procédé s’est étendu à d’autres infractions, comme la maltraitance infantile ou le harcèlement. La parole de l’enfant est recueillie par des équipes spécialisées et formées au protocole NICHD*, spécialement conçu pour être non suggestif.
Un protocole spécifique pour recueillir la parole des enfants victimes
Ce vendredi, c’est jour d’audition pour les gendarmes de la MPPF qui accueillent un petit garçon. Un ancien appartement de la garnison de Perpignan a été spécialement aménagé pour recueillir les propos des mineurs. L’espace est composé d’un salon avec fauteuils, livres et jouets permettant une première approche avec la victime et ses accompagnants. Dans la pièce attenante, une salle avec deux sièges et une caméra bien visible. Ainsi, tous les échanges sont enregistrés sous l’œil du gendarme en charge de l’enquête.
Une petite voiture électrique et une moto trônent dans la salle. « Avec de jeunes enfants, âgés de 5 ans à 6 ans, le contact avec l’enquêteur peut s’avérer compliqué. Donc on leur fait faire un tour en petite voiture, on va voir les motos gendarmerie pour les mettre à l’aise. Des fois, on s’assied et on colorie avec eux, comme ça, on parle d’autre chose. Ils oublient qu’on est gendarmes », assure l’adjudant-chef David Vincent. Si la plupart des auditions se font en uniforme, parfois, cela peut être un frein. Dans ce cas, les gendarmes ont le droit d’intervenir en tenue civile, afin de rassurer l’enfant.
Le militaire nous explique les différentes étapes du protocole NICHD. « On commence par donner quelques règles qui vont être suivies tout au long de l’entretien. Nous lui présentons le matériel et le déroulement de l’audition. » Puis, le gendarme interroge l’enfant sur ses centres d’intérêt, afin d’établir un lien de confiance.
Dans 97% des cas, le mineur dit la vérité
Ce jour-là, l’audition du petit garçon suit son cours. Chargé de le questionner, l’adjudant Christophe Cordier a bien du mal à obtenir des réponses. Devant le mutisme de l’enfant, il tente une autre technique et lui propose de dessiner. Sans résultat aujourd’hui, l’audition prend fin après une demi-heure. « On ne force jamais un enfant à parler », nous explique-t-il. D’après les gendarmes de la MPPF, dans la majorité des cas, l’audition aboutit à une déclaration.
Des questions ouvertes permettent de compléter ou d’enrichir son récit. Lors de cette étape, les gendarmes essaient de recueillir les faits chronologiquement. Lorsque les sévices s’étalent sur plusieurs années, les enquêteurs demandent à l’enfant de raconter la première fois, la dernière fois et un fait marquant au milieu.
« Le protocole NICHD est fait pour qu’il n’y ait aucune suggestibilité de la part de l’enquêteur », insiste David Vincent. « Il n’y a qu’en fin d’audition où on peut poser des questions un peu plus précises. » Souvent, le gendarme qui fait passer l’audition ne prend pas connaissance, ou très très peu, de l’affaire. De manière à être le plus neutre et le plus impartial possible. Viens ensuite la phase de clôture, au cours de laquelle on remercie l’enfant et on lui demande s’il n’a rien d’autre à ajouter. Dans 97% des cas, le mineur dit la vérité. « C’est pour cela qu’on applique ce protocole à la lettre, parce qu’on sait qu’il a fait ses preuves », assure le gendarme.
80% des violences sexuelles sur mineurs ont lieu dans le cercle intrafamilial
Selon David Vincent, 80% des violences sexuelles sur mineurs ont lieu dans le cercle intrafamilial. Parent, grand-parent, oncle, cousin… sont souvent les auteurs. « Je n’ai jamais fait une audition de mineur victime de violence sexuelle où l’auteur était un inconnu », confirme une gendarme de la MPPF. Pour l’enfant, il est d’autant plus difficile de « dénoncer » une personne de son entourage. « C’est ce qu’on appelle le conflit de loyauté », nous confirme David Vincent. « Nous avons aussi beaucoup d’auditions sur fond de séparation de couple, avec un père qui dépose plainte contre la mère pour des violences sur les enfants ou inversement. »
« L’enfant va protéger l’agresseur, par peur, à cause des menaces, mais aussi par esprit de loyauté s’il s’agit d’un parent ou d’un membre de la famille », confirme la psychotraumatologue, Marine Armengaud. En cas de maltraitance, il est possible de constater certains signes. Si un enfant ne joue plus ou fait des jeux répétitifs traumatiques, ne mange plus ou mange trop d’un coup, se désinvestit dans sa scolarité, se replie sur lui-même, ou présente un comportement sexualisé…
« Il faut être attentif aussi à ce que l’enfant dit ou essaie de dire avec ses propres mots et surtout le croire car selon les études, il y a très peu de fausses allégations », assure la spécialiste. Si l’enfant dit des choses qui feraient soupçonner une agression sexuelle, il est impératif de ne pas régler ça en famille et de l’interroger de manière suggestive et insistante. Selon la psychotraumatologue, le risque est que l’enfant ne veuille plus parler par la suite. « Il faut aller à la gendarmerie pour que l’enfant soit entendu », insiste-t-elle.
Un administrateur ad hoc au profit du mineur victime
La plupart du temps, les violences sexuelles sont dénoncées par un membre de la famille ou un service institutionnel. « Certains signes sont visibles et peuvent alerter l’éducation nationale ou un médecin par exemple », nous explique David. Les parents sont alors mis en cause. « C’est systématique dans des cas de violences par ascendant, c’est aussi pour éviter qu’il y ait une déperdition des preuves ou une pression exercée sur l’enfant. »
Si les intérêts de l’enfant ne sont pas complètement garantis par ses parents, le parquet désigne « un administrateur ad hoc ». Cette personne représente l’enfant et l’accompagne le temps de la procédure. « L’administrateur ad hoc peut prendre contact avec l’école et prendre en charge l’enfant, sans que les parents ne soient au courant. Il va amener l’enfant à l’UMJ (Unité Médico-judiciaire) pour des examens médicaux, ou ici, pour que l’enfant soit auditionné. Les parents seront informés par la suite, s’ils sont entendus en tant que mis en cause dans l’enquête », révèle le gendarme.
Quelle formation pour apprendre à recueillir la parole ?
En gendarmerie, il existe trois niveaux de formation. « Le premier niveau est un stage de trois jours qui peut être fait au niveau du département ou de la région. Il permet de sensibiliser le gendarme à l’audition de mineur victime de violence. Le deuxième niveau est la formation « audition de mineurs victimes » au CNFPJ (Centre national de formation de la police judiciaire) à Rosny-sous-Bois, c’est un stage de 15 jours. Enfin, le troisième niveau permet de devenir formateur, c’est un stage d’une semaine », nous apprend David.
Le gendarme qui a passé le premier niveau peut entendre tous les mineurs de 0 à 18 ans, pour des infractions de violences par ascendant ou harcèlement. Et seulement les mineurs à partir de 15 ans pour des infractions à caractère sexuel. Le deuxième niveau de formation permet d’entendre tous les mineurs de 0 à 18 ans, pour toutes les infractions prévues par le code pénal. À noter que tous les gendarmes affectés à la MPPF sont formés au recueil de la parole des victimes, pour toutes les infractions.
*National Institute of Child Health and Human Development
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