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Des gendarmes des Pyrénées-Orientales spécialisés dans les violences intrafamiliales

France, Perpignan, 2022-12-19. Illustration. Dans les Pyrenees-Orientales 66, la Maison de Prevention et Protection des Familles de la gendarmerie fait partie des dispositifs en place pour endiguer le fleau des violences intrafamiliales. Photographie de Arnaud Le Vu / Hans Lucas.

Article mis à jour le 16 novembre 2023 à 16:02

Alors que 2022 vient de s’achever, l’année est la plus meurtrière depuis 2019. Après deux années de baisse consécutives, 146 féminicides sont à déplorer en 2022, dont 2 dans les Pyrénées-Orientales. 146 femmes mortes sous les coups de leur conjoint ou leur ex-conjoint, et autant de familles brisées.

Dans les Pyrénées-Orientales, plusieurs dispositifs sont en place pour endiguer le fléau des violences intrafamiliales. La cellule Violences Intrafamilales créée en 2014 fait office de précurseur, quand la Maison de Prévention et Protection des Familles de la gendarmerie est née à l’issue du Grenelle des violences conjugales. Rencontre avec l’adjudant-chef David Vincent et le chef Julien Lévieux. Ils nous expliquent les missions de la Maison de Protection et de Prévention des Familles dans les Pyrénées-Orientales.

En France, en 2021, le nombre de victimes de violences conjugales en hausse de 20%

En 2021, les services de sécurité ont enregistré 208.000 victimes de violences commises par leur partenaire ou ex-partenaire. Selon les chiffres fournis par le Ministère de l’Intérieur, les Pyrénées-Orientales dénombrent 10,5 victimes de violences par conjoint ou ex-conjoint pour 1.000 habitantes âgées de 15 à 64 ans. Un chiffre bien au-dessus de la moyenne nationale qui compte 8,4 victimes de violences conjugales. Cette hausse, l’adjudant-chef David Vincent l’a également constatée. Au dernier trimestre 2021, les gendarmes ont mis en place le suivi systématique des victimes.

«Sur le dernier trimestre 2021, nous avons suivi 59 victimes ; quand sur l’ensemble de l’année 2022, elles sont 650.» L’adjudant-chef Vincent est à la tête de la Maison de Prévention et de Protection des Familles qui a ouvert ses portes au 1er janvier 2021. L’unité qui compte 5 gendarmes, et une intervenante sociale, a entre autres missions celle de recontacter les victimes de la zone gendarmerie des Pyrénées-Orientales. La gendarmerie des Pyrénées-Orientales couvre 225 communes des 226 du département, Perpignan étant placée sous la responsabilité de la police.

Quotidiennement, la Maison de Prévention et de Protection des Familles reçoit tous les comptes rendus de police judiciaire enregistrés par les brigades du département. Charge à l’un des 5 gendarmes de recontacter les victimes qui ont fait appel aux brigades.

Ce jour-là, le chef Lévieux a appelé l’une d’entre elles. «J’ai pu lui annoncer une date importante et lui ai demandé si elle voulait être inscrite sur le fichier de Sécurisation des Interventions et de Protection (SIP). Avec son accord, j’ai aussi pu préciser dans son dossier le numéro de son appartement. Si un jour, elle a à nouveau besoin de nous et qu’elle compose le 17, immédiatement, nos collègues seront avertis de son statut de victimes de violences conjugales. Et ils auront les précisions de son adresse ainsi qu’une personne-ressource à contacter.» Le sous-officier nous précise que cet appel téléphonique est le premier contact des forces de l’ordre avec la victime depuis son dépôt de plainte.

Lors du rappel systématique, les victimes se voient proposer, outre l’inscription au fichier Sip, un suivi avec France Victimes 66. Selon l’adjudant-chef Vincent, lors du recueil de la plainte, «la victime se voit proposer beaucoup de choses, elle reçoit beaucoup d’informations. Elle est souvent tellement focalisée sur la plainte qu’elle dit non à tout ou alors ne retient pas le rôle ou le nom des associations de victimes.

Mais quand nous rappelons, on prend le temps de parler, la plainte est passée, elle est soulagée et plus réceptive. C’est le bon moment pour travailler à la mise en place d’un suivi à un rythme que nous définissons ensemble. Parfois, nous les appelons tous les 15 jours ou tous les mois jusqu’au procès. Voire après, car nous avons réussi à tisser un lien de confiance.»

Les auditions complexes des femmes victimes de violences

Au-delà du suivi des victimes de la zone gendarmerie des Pyrénées-Orientales, les gendarmes doivent parfois mener des auditions de victimes de violences conjugales dans des dossiers que l’adjudant-chef Vincent qualifie de complexes.

C’est le cas, par exemple, des victimes suivies par la cellule Vif. Sous l’autorité du parquet, cette cellule réunit l’ensemble des acteurs amenés à intervenir sur les dossiers des violences conjugales, des policiers, aux gendarmes, en passant par le parquet, les services sociaux ou ceux du département.

«Pour vous donner un ordre de grandeur, sur environ 1.000 victimes, nous allons peut-être recueillir les auditions de 20 ou 30 d’entre elles. Dans la grande majorité, ce sont les brigades qui font le recueil des auditions. Mais pour certaines, qui sont complexes, on prend le relais. Ce fut le cas cet été, avec cette dame tellement violentée, qu’elle était à l’hôpital avec plusieurs fractures faciales, enfoncement de pommette, nez cassé. La brigade avait mis en garde à vue l’auteur, et nous nous sommes allés à l’hôpital recueillir la parole de la victime. On peut aussi intervenir en cas de pluralité de victimes, la femme et ses enfants. Nous avons ce statut d’expert pour intervenir sur des situations complexes et en notre soutien des brigades du département.»

Quand les enfants victimes livrent leur parole

En 2022, les gendarmes ont aussi entendu 180 mineurs victimes de violences à caractère sexuel ou de maltraitance. C’est un volet très important de l’activité judiciaire de la MPPF66. Et où le savoir-faire des gendarmes est primordial. Un lieu est spécialement dédié à ces affaires délicates. Selon l’adjudant-chef Vincent, 75% des infractions de 2022 ont un caractère sexuel, et 25% sont des suspicions de maltraitance par ascendant.

Un ancien appartement de la garnison de Perpignan a été spécialement aménagé pour recueillir les auditions des mineurs. Un salon avec fauteuils, livres et jouets permet une première approche avec le ou les victimes et les accompagnants ; la salle d’audition avec 2 sièges et la caméra bien visible, et une pièce avec l’équipement d’enregistrement sous l’œil du gendarme en charge de l’enquête.

La salle d’audition doit être le plus neutre possible et sans aucune suggestivité. Le protocole précédent prévoyait au contraire des jeux ou des livres pour mettre l’enfant en confiance et l’encourager à parler. Depuis 2015, les gendarmes utilisent la méthode NICHD, pour National Institute of Child Health and Human Development. L’objectif est de permettre un récit le plus riche possible sans pour autant aller dans la subjectivité et influencer la parole de l’enfant par des gestes ou des mots qui l’encourageraient à changer son propos. Le chef Julien Lévieux nous précise que quand l’enfant vient ici, il sait pourquoi il est là et les objets peuvent s’avérer perturbateurs pour lui. La situation, parfois diffusée dans les films, de ces enfants encouragés à montrer sur une poupée la partie du corps que l’adulte avait touché n’existe plus.

Selon le chef Julien Lévieux, quand un enfant est entendu par les gendarmes de la MPPF, il a déjà livré son récit en moyenne entre 5 et 7 fois (école, services sociaux, camarades…). Le protocole prévoit que la parole de tout mineur de moins de 15 ans victime est recueillie exclusivement par les agents de la MPPF. Selon l’adjudant-chef Vincent, il arrivait avant que l’enquêteur questionne l’enfant. Désormais, il se contente d’entendre le responsable légal : «l’enfant sera entendu par nous de manière à avoir le moins de déperdition possible sur son récit. Avec ce protocole, dans 99% des cas, nous arrivons à déterminer les faits exacts.»

Le gendarme de rajouter, «il y a des moments, et quand l’enfant ne parle pas, c’est que ce n’était pas le bon moment, peut-être parce que trop proche des faits. Pour les tout-petits par exemple, on essaye de les entendre le matin, et pas au moment de la sieste. Et parfois on revient quelques mois plus tard et ça marche.»

L’adjudant-chef Vincent de citer le cas de cette jeune fille entendue une première fois sans succès. «Après des scarifications et une tentative de suicide, elle a été hospitalisée et les éducateurs ont réussi à briser le silence. Ils nous ont appelés parce qu’elle était prête à parler.» 

France, Perpignan, 2022-12-19. Illustration. In the Pyrenees-Orientales 66, the Gendarmerie s Family Prevention and Protection Center is part of the measures in place to curb the scourge of intrafamily violence. Photograph by Arnaud Le Vu / Hans Lucas.
France, Perpignan, 2022-12-19. Illustration. Dans les Pyrenees-Orientales 66, la Maison de Prevention et Protection des Familles de la gendarmerie fait partie des dispositifs en place pour endiguer le fleau des violences intrafamiliales. Photographie de Arnaud Le Vu / Hans Lucas.

La formation et la prévention parmi les missions de la MPPF

Au-delà du volet judiciaire, l’adjudant-chef Vincent insiste sur leur mission de prévention. Le sous-officier n’est pas peu fier de nous dévoiler que depuis la création de la MPPF, tous les gendarmes du département des Pyrénées-Orientales ont reçu la formation sur les mécanismes des violences intrafamiliales, et conjugales. Une formation qui se déroule sur une journée et qui compte 4 modules (Accueil de la victime, le psychotrauma, le cycle de la violence, l’état de sidération et le recueil de la plainte). «Il est désormais clair pout tout le monde qu’une violence conjugale ne peut pas être traitée sur un coin de comptoir comme un vol de téléphone», insiste le gendarme.

«Un vol de téléphone, ça prendre 5 minutes, le recueil de la parole d’une victime, ça peut durer 2 ou 3 heures.». Les agents sont formés à l’écoute, d’abord du récit libre de la victime.

Ensuite il y a un canevas d’audition type très détaillé : un volet sur les violences physiques, psychologiques, la situation économique, financière, sociale, la famille, l’entourage... «Normalement, avec cette formation et ce canevas, une audition recueillie ici, à Dijon, ou à Paris doit être quasiment la même car les personnels sont désormais tous correctement formés !»

Après avoir encadré les gendarmes, ce sont les écoutant du 17 et des pompiers qui ont reçu la formation. Actuellement, la MPPF66 met en place la formation pour les policiers municipaux. «On a déjà formé les policiers de Canet, Thuir, Cabestany. Ce sont souvent des primo-intervenants et il faut qu’ils sachent les erreurs à ne pas commettre quand ils arrivent sur les lieux. Comment mieux prendre en charge la victime, penser à isoler l’auteur systématiquement.»

En plus des formations, des agents de la MPPF sont très demandés par les établissements scolaires. Au programme, le harcèlement ou citoyenneté pour les CM1, CM2, le passage du permis internet pour les 6e, 5e ou 4e. Les gendarmes font aussi des modules sur les addictions. Le chef Julien Lévieux de rajouter que les notions de consentement sont également vues avec les adolescents ou les publics vulnérables dans instituts médicoéducatif. Le sous-officier de gendarmerie de conclure que ce poste au sein de la MPPF englobe tous les motifs de son engagement : «à la fois le volet prévention, et la prise en charge des victimes avec un grand V.»

Si vous êtes victime ou témoin de violences intrafamiliales, l’appel au 3919 est gratuit, anonyme et accessible 24h/24 et 7j/7.

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