Article mis à jour le 4 juin 2025 à 14:48
Cette année, des lycéens de Maillol ont mené un travail de terrain dans le quartier du Vernet à Perpignan. Objectif : recueillir des témoignages d’habitants et documenter leur environnement quotidien, à travers textes et photographies. Une manière d’explorer autrement les rues qui entourent leur établissement.
Encadré par leur professeure de Lettres, Lise Raivard, et accompagné par le photographe et historien de l’art Jean-Michel Galley, le projet « Mémoires du Vernet » livre ses premières restitutions : trois récits rédigés par les élèves, fruits de leur travail à la rencontre des habitants et des habitantes. Le livre, recueil de textes et d’images, devrait paraître fin 2025.
Cet article s’inscrit dans une série consacrée à ce projet collectif, mené entre novembre 2024 et avril 2025, qui donne à voir le quartier à travers les portraits, récits historiques et images réalisés par les lycéens. Une restitution sous forme de spectacle d’arts du cirque a eu lieu au Lycée Maillol.
“Je suis du Vernet”
Il y a des quartiers qui vous enfantent plus qu’ils ne vous abritent.
Des quartiers qui deviennent un corps, une langue, une mémoire.
Un monde.
« Je suis du Vernet. J’y suis née, j’y ai grandi. Ce quartier n’est pas seulement un lieu : c’est un bout de ma peau, un pan de mon histoire. »
Il y eut d’abord l’exil. Un père maçon venu du Maroc, « emmené dans les bagages pour reconstruire la France ». Une mère qui traverse la mer. Une naissance entre les murs de la clinique Saint-Christophe. Un prénom, Rajaa — cela veut dire espoir. Et tout commence là.
« Même lorsque j’ai dû m’installer en banlieue parisienne, je n’ai cessé de revenir. »
Entre immeubles et écoles, elle apprend à parler, à marcher, à tomber. Elle revient enseigner dans ce quartier qu’on dit “difficile” et qu’elle appelle “chez moi”.
« Je marche dans ces rues, et c’est comme si chaque pas réveillait un souvenir. »
Et d’autres voix surgissent :
« Quand j’étais petit, je descendais avec mes sœurs et mon frère, on courait après les pigeons au parc, on rigolait. »
« Tout le monde se connaissait. Même les enfants des autres étaient un peu les nôtres. »
« C’était plus qu’un voisinage, c’était une fraternité ordinaire, puissante. »
Un quartier comme une houle. Parce que les rues vous connaissent. Parce qu’elles vous rappellent. Parce qu’ici, même les façades savent votre prénom.
“Y EN A MARRE”
Il y a des phrases qu’on n’ose pas écrire. Elles cognent. Elles brûlent. Elles montent des entrailles du quartier, de ses nuits sans sommeil, de ses mêmes matins.
« Y EN A MARRE d’être mal regardé, jugé, épié. »
« Y EN A MARRE de crier. Y EN A MARRE de la guerre. »
« Y EN A MARRE de la haine. Y EN A MARRE des contrôles. »
« Et Y EN A MARRE de se faire mal. »
Et dans la brèche, il y a les vœux. Les désirs lancés comme des fusées sans trajectoire.
« Je me souhaite de gagner beaucoup d’argent d’être riche de voir du pays… de vivre dans le bonheur… Je nous souhaite le meilleur ! »
Mais l’espoir est une chose fragile quand la mémoire saigne.
« On retrouve en fin de journée, au mois d’août, le corps d’Erika dans les roseaux, lacéré à coups de couteau… » ou encore le jeune Iliam, mort en 2 roues, percuté, à qui tout le quartier a rendu si tendrement hommage. Une famille réunie dans le deuil.
« Dans la nuit du 7 au 8 décembre 2024, le silence du Bas-Vernet fut déchiré par des rafales d’arme lourde. »
Et derrière les murs, les pensées tournent, serrées, murmurées, obstinées :
« Les pensées que personne ne nous porte d’intérêt… Penser de ne pas avoir d’orientation… Penser la nostalgie… Penser le suicide. »
Mais même au bord du gouffre, un mot, une phrase.
Et toujours, ce besoin d’être entendu.
Beauté debout
Et puis il y a ce regard venu de l’extérieur. Toujours prompt à juger. À méconnaître.
« Les gens pensent que les quartiers nord sont dangereux. Ils ne voient pas les enfants qui rient, les femmes qui plantent, les jeunes qui jouent. »
On croit que le Vernet est gris.
On se trompe.
Il est tissé de couleurs muettes.
De mains invisibles.
De bouquets de lumière posés là, dans un jardin partagé.
« Je croyais connaître mon quartier. Et puis j’ai déambulé. J’ai vu des choses que je n’avais jamais vues. »
Des fauteuils sous un arbre. Une boîte à dons. Un salon à ciel ouvert.
Des fleurs dans des pots peints. Et ces femmes, ces hommes qui soignent sans discours.
« J’ai vu une femme qui ramassait les déchets, qui plantait des fleurs, qui arrosait. »
« Ce quartier vit grâce à des mains qui n’attendent pas d’être vues. »
Ici, le soin est une forme de résistance. Un refus d’abandon. Un combat sans cris.
« Ce que je croyais sale m’est apparu plein d’efforts invisibles. La beauté ne se crie pas, elle se découvre. »
On croit que la solidarité a disparu. Elle s’est là : elle attend un regard, une main, une boîte à livres.
« On a mangé dans le hall, rigoler, crier, jouer. Les mamans ramenaient à manger. Les voisins se retrouvaient. »
Au bout de la rue, dans l’éclat d’un graffiti, une voix confie :
« Ce n’est pas une fin, c’est un début. On peut tous y participer. »
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