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Près de Perpignan, Marco* raconte ses années au service de l’espionnage français

Près de Perpignan, Marco* raconte ses années au service de l'espionnage français

Article mis à jour le 19 janvier 2024 à 12:27

Ils agissent dans l’ombre au nom de l’État français. Rattachée au ministère des Armées, la DGSE (Direction générale de la Sécurité extérieure) est le service secret. « Une grande boutique », comme aime l’appeler Marco*. Autrefois, il faisait partie des agents du Service Action, une unité militaire top secrète. Ce Perpignanais profondément amoureux de son pays nous dévoile son parcours sans détour.

Marco est entré dans l’armée par la petite porte. À seulement 17 ans, il fait ses armes au sein d’une unité parachutiste, déjà affiliée à des missions particulières. « J’avais déjà réalisé mon rêve, le reste ce n’était que du bonus. Je me souviens de cette fierté quand je suis sorti de l’école des troupes aéroportées (ETAP) et qu’on m’a remis mon brevet de parachutiste. Pour moi, j’avais réussi ma vie », confie l’ex-militaire. « J’ai des brevets qui font rêver les soldats de l’armée française et pourtant je regarde toujours mon premier brevet de parachutiste avec les yeux qui brillent. » 

Agent secret, un rêve devenu réalité

Après avoir servi dix années comme parachutiste, le jeune soldat se rêve agent du Service Action de la DGSE. Certaines unités des forces armées sont spécifiquement dédiées aux opérations de la Direction générale de la sécurité extérieure. Ces unités viennent piocher au sein des différents corps de la Défense nationale, des profils qui les intéressent. Une première sélection qui fait l’objet de tests pointus. Rien n’est laissé au hasard : psychologie, mémorisation, culture générale, aptitudes physiques…

Ces tests fournissent des informations sur les capacités des volontaires, à réaliser des missions en quasi-autonomie, y compris au niveau de la prise de décision. Les nouvelles recrues ont des capacités en langue, des connaissances en géopolitique et savent manier du matériel de communication complexe. 

Quand l’agent Marco intègre l’unité spéciale de Perpignan

« J’ai voulu intégrer une unité du Service Action de la DGSE, ce qui s’est fait par le biais d’une demande très particulière, une mutation spécifique. La particularité de l’unité de Perpignan c’est qu’il n’y a pas d’écusson bleu, blanc, rouge sur votre épaule. Il s’agit d’une unité clandestine. Il n’y en a que trois en France. »

L’unité de Perpignan intervient sur des théâtres d’opérations aux quatre coins du monde, de l’Arctique, à la jungle, en passant par le désert. Elle est dirigée par le directeur général de la DGSE, qui prend ses ordres directement du chef de l’État. « J’ai passé les tests et j’ai été reçu », raconte Marco. « Mais ce n’est pas parce qu’on a réussi les tests qu’on va y rester ! » Malgré une formation déjà très longue et éprouvante, les recrues remettent le couvert pendant un cycle d’une année complète, afin d’acquérir tous les savoir-faire pour servir cette unité hors norme.

Durant 365 jours, les soldats sont démilitarisés et surentrainés. « On conserve tout leur savoir-faire mais on les démilitarise dans leur posture. Lorsque l’on vous envoie quelque part, il faut que vous soyez invisible. Lorsque l’on est militaire, on est souvent trahi par une assise particulière. » En clair, exit l’image d’un homme au crâne rasé, parfois bourru et toujours en alerte.

Les limites de l’espionnage sans cesse repoussées

L‘ensemble des protocoles inculqués aux futurs agents leur permet de travailler dans un pays, sans apparaître suspects aux yeux de leurs interlocuteurs sur le terrain. Ces derniers doivent agir de manière calme, posée et être certains que leur action n’a pas été décelée. « C’est un apprentissage qui permet d’évoluer dans un pays avec une légende, avec un prétexte, mais pour quelque chose. Plus précisément, on nous demande de réaliser la mission avec la certitude de ne pas avoir été découvert. » 

Marco a réalisé de nombreuses missions en solo ou en petite équipe, dans un pays qu’il ne connaissait pas. « Il est impossible de tomber dans la paranoïa, qui est dangereuse. Lors de nos stages de formation, nous avons des mises en situation très proches de la réalité. Nous gardons le contrôle sur tout. » Tous les domaines dans lesquels les agents sont amenés à évoluer sont proposés lors des modules de stages. « Il est essentiel d’acquérir un socle de connaissances solides pour éviter de se retrouver dans des situations par méconnaissance des us et coutumes d’un pays étranger », poursuit-il.

Les agents participent à des séances d’entraînement qui n’existent pas dans l’armée française. « On s’entraîne à balles réelles »,  souffle l’agent. « Toutes les limites réglementaires qui sont mises dans l’armée, nous sommes capable de les repousser. » Au risque de décevoir les fans, les gadgets à la James Bond n’existent pas vraiment. « Nous avons ce qui se fait de mieux en termes de tenue d’armement et de transmission. Ce ne sont pas des gadgets mais un équipement très spécifique que l’on adapte sur du matériel qui n’existe nulle part ailleurs. » 

« Dans ce métier, la peur est présente »

À partir de la mission qui leur est confiée, les agents élaborent dans les moindres détails les étapes de leur intervention. Ils sont les seuls concepteurs de leur mission, qui est présentée en amont au patron du Service Action et « des personnes ayant le besoin d’en connaître », à Paris. « Ce qui est important dans ces opérations, c’est de conserver l’initiative. Tout ce que vous devez faire a une importance, car le diable se cache dans les détails. »

Selon Marco, chaque décision peut avoir, par effet papillon, des conséquences catastrophiques. « Une phrase de trop, un mauvais comportement et vous êtes repéré. Si c’est le cas, la cavalerie ne viendra pas vous chercher », prévient l’agent. En fin de compte, le temps passé à nourrir sa légende, à construire son personnage est tout aussi important que le temps consacré à l’action. 

« On rentre dans cette unité parce que c’est profondément ancré dans notre ADN », assure Marco. Les agents doivent être créatifs et imaginatifs afin de répondre aux cas non conformes et d’élaborer les scénarios d’entrée et de sortie de leur mission. « À l’issue de la présentation d’une mission, il y a quand même une moulinette derrière, les gens qui décident de ces opérations veulent avoir des garanties. On engage l’État français, les membres de son équipe et sa propre vie. Il y a beaucoup de choses à prendre en compte et c’est ça qui est stimulant », jubile l’agent. 

« Dans ce métier, la peur est présente. Une personne qui n’a peur de rien, soit elle est folle, soit c’est une mythomane. Dans les deux cas, je ne travaillerais pas avec elle. » Bien souvent, Marco et ses équipiers ont craint ne pas revenir au complet d’une opération. Mais, d’après l’ex-agent, aucun métier ne mérite d’y laisser la vie. C’est une vocation, qui, dans le cas du militaire est née très tôt, lorsqu’il était âgé de six ans. « Le cousin de mon père était adjudant-chef dans une unité parachutiste. Un jour, il est passé nous voir en tenue camouflée avec un béret rouge, il rentrait de mission. Je m’en souviens comme si c’était hier, ça m’a fait un choc, je me suis dit je veux faire ça ! »

« Chaque départ en mission est un vrai dilemme »

Marco a toujours veillé à ne pas s’enfermer dans une caricature de militaire. Au sein de son unité, il a travaillé avec « des gens bien dans leurs pompes », bien en famille. « On est tous des papas, des maris aimants. Mais on a quelque chose à l’intérieur, qui nous dit qu’à un moment donné on est capable de quitter nos proches. » Il s’écoule parfois des mois sans que les agents aient la possibilité de donner des nouvelles à leur famille. « Des fois on a de la chance, on assiste aux naissances, puis des fois on rentre de mission et le gamin a déjà fait ses premiers pas et il ne reconnaît pas son père (…). J’ai eu la capacité d’hypothéquer la santé psychologique de ma femme et de mes enfants. »

« J’ai une épouse particulière. Elle est très forte, je n’aurais pas pu le faire sans elle », confie Marco. D’après l’agent, son métier s’adresse davantage aux célibataires. « D’un côté, c’est un métier de rêve parce qu’on s’éclate ! Quand on sait qu’il y a une mission qui se trame, on veut tout de suite la faire ! Mais quand vous vous dites ça, vous avez une boule à l’estomac car vous pensez à votre famille. Chaque départ en mission est un vrai dilemme. » Quand il annonce à son épouse qu’il va partir, Marco décèle la peur dans son regard. 

Bien que les agents connaissent leur mission sur le bout des doigts, ils ne sont pas l’abri d’un évènement impromptu. Les choses peuvent rapidement prendre une mauvaise tournure. « La nature de la mission, ce que l’on y fait, le pays où l’on travaille, nos proches ne sont pas au courant. » Les opérationnels sont placés dans une sphère hermétique et opaque pour protéger l’État français, leur famille et eux-même. « C’est important dans un monde où tout se sait et où tout se photographie. Il faut maintenir ce bouclier, c’est la seule garantie que l’on a de ne pas se retrouver en difficulté par rapport à la mission. » 

Une cellule familiale pulvérisée

En plus de leur identité de mission, les agents ont un pseudonyme interne, ce qui peut mener à des situations incongrues. « Il y a quelques années, mon épouse a retrouvé une amie d’enfance, qui elle aussi est mariée à un agent de la citadelle. Son nom ne me disait rien évidemment. Elle a décidé d’organiser un dîner. Quelle fut ma surprise quand je me suis retrouvé nez à nez avec mon adjoint ! », se remémore Marco.

Pendant des mois, les opérationnels vivent dans la démesure. Une vie souvent en décalage avec les problèmes du quotidien vécus par leurs proches, restés en France. « En fin de compte, on pulvérise la cellule familiale quand on s’en va et on la pulvérise quand on rentre », avoue Marco. Quand son épouse lui explique ses problèmes du quotidien, qui lui pèsent, l’agent se demande bien de quoi elle parle. « Moi je n’ai pas vécu ça, rester en vie chaque jour, c’était une performance. Mais ce décalage ramène sur Terre », assure-t-il. 

Marco s’est marié quand il est arrivé à Perpignan. Sa femme ne lui a jamais demandé d’arrêter, même si elle en avait envie tous les jours. Après dix années passées au Service Action, l’agent a choisi sa famille. « Prendre des décisions, c’est ce qui fait la qualité de l’être humain. Choisir c’est renoncer. À un moment donné, il y a un combat en interne qui se fait. » Une décision loin d’être anodine, au vu de l’investissement et des sacrifices réalisés pour servir cette unité à part entière. « Finalement, c’est ce que ma femme méritait. »

*prénom d’emprunt

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Célia Lespinasse