Article mis à jour le 16 janvier 2025 à 11:33
Le 12 janvier 2025, le mouvement citoyen Agissons 66 appelait la mairie de Perpignan à réagir face à la propagation du protoxyde d’azote. À Marseille, la municipalité vient d’interdire la vente totale de ce produit, communément appelé « gaz hilarant ». Habituellement utilisé en cuisine, la consommation de ce gaz a explosé ces dernières années. Selon l’OFDT*, 6,7 % des 18-64 ans ont déjà expérimenté le protoxyde d’azote. Focus sur les dérives de ce produit addictif. Crédit Photo © Eric Beracassat / Hans Lucas.
À Perpignan, les rues du centre-ville sont souvent jonchées de bonbonnes ou cartouches de protoxyde d’azote. Destinées à la fabrication de crème fouettée, leur usage détourné consiste à inhaler le gaz par le biais d’un ballon, après avoir « cracké » la cartouche pour l’ouvrir. L’effet euphorisant est immédiat et dure quelques secondes. Si les jeunes adultes et adolescents sont friands de ce « gaz hilarant », celui-ci n’est pas classé sur la liste des produits stupéfiants, rendant sa consommation plus accessible. Pour rappel, la loi interdit de vendre ou d’offrir à un mineur du protoxyde d’azote, depuis 2021.
Et si Perpignan comme Marseille interdisait la vente totale de protoxyde d’azote ?
Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, les lieux de vente commercialisant le protoxyde d’azote se sont multipliés depuis 2017 : épiceries, bars et boîtes de nuit ou achat par le biais de comptes dédiés sur Snapchat… « Ces dernières années, des réseaux plus ou moins structurés (certains déjà impliqués dans la vente de stupéfiants) importent, via des sites internet, d’importantes quantités de protoxyde d’azote sur le territoire métropolitain. Ils en assurent le stockage et la revente au détail », précise l’OFDT.
Fin 2024, la ville de Marseille a pris un arrêté interdisant la vente de protoxyde d’azote dans les épiceries de nuit, aussi bien aux personnes mineures, qu’aux adultes. En cas de non-respect de l’arrêté, le propriétaire du commerce s’expose à une amende et à une fermeture administrative. Il y a quelques jours, Joan Nou, coordinateur du mouvement Agissons 66, invitait la mairie de Perpignan à « agir pour lutter contre ce fléau et à suivre l’exemple de Marseille. »
Si une prévention autour de l’usage du protoxyde d’azote est nécessaire, « mettre en place un arrêté pour interdire la vente dans les épiceries de nuit peut limiter la spontanéité de l’achat », confirme Régis Bouquié, pharmacologue et chef du service du CSAPA** Aline Vinot.
Le protoxyde d’azote, une drogue de plus ?
En octobre dernier, la ville de Perpignan lançait une campagne de prévention sur les conséquences de l’usage des drogues, mais pas un mot sur le protoxyde d’azote… Pour rappel, aux yeux de la loi, ce produit n’est toujours pas considéré comme un stupéfiant. « Il est entre les deux. C’est à la fois un produit industriel et un médicament », affirme Régis Bouquié.
De son côté, la police municipale de Perpignan assure veiller au grain. Si la ville pourrait bientôt mettre en place un arrêté similaire à celui de Marseille, pour le directeur de la police municipale, ce sont surtout les contrôles qui dissuadent. « On contrôle les épiceries de nuit et on saisit des produits« , affirme Philippe Rouch. « Nous avons de plus en plus de signalements de bonbonnes abandonnées sur la voie publique », déplore-t-il. En 2024, les forces de l’ordre ont confisqué plus de 500 bouteilles de protoxydes d’azote, le directeur de la police municipale dénonce « un problème de santé publique ».
Ces dernières années, les sources d’approvisionnement se sont développées, facilitant la consommation du produit. « Maintenant, vous voyez sur les bords de la route, des « tanks » (bonbonnes XXL) d’une contenance entre 80 à 200 ballons qui coûtent de 25 à 30 euros l’unité. Ce sont des conditionnements beaucoup plus importants », nous explique Régis Bouquié.
« Avant, il fallait acheter 500 cartouches. Maintenant, vous achetez deux ou trois bonbonnes et vous pouvez faire 200, 300, 400 ballons en seulement une soirée. » Ces bouteilles de protoxyde multicolores ont peu à peu pris le dessus sur les capsules. « Il y a un gros travail de marketing pour attirer le consommateur, et ce sont les jeunes les premières victimes », constate Philippe Rouch.
À 17 ans, Thomas et son cousin tombent sur la vidéo d’un Youtubeur se filmant en train de consommer du gaz hilarant. « Je m’en suis procuré au supermarché et on a essayé. » Si le jeune homme a conscience que le protoxyde d’azote peut être dangereux pour la santé et qu’il ne faut pas en abuser, il se convainc que « l’alcool et le tabac font beaucoup plus de ravages. »
« J’achetais des capsules occasionnellement, lorsque j’avais des soirées. Je n’en ai jamais consommé seul, je ne voyais pas l’intérêt. Je trouve ça beaucoup plus drôle en groupe. En moyenne, je prenais trois ballons », raconte-t-il. Il assure que les effets du gaz peuvent être ressentis différemment, suivant le consommateur, le moment ou l’ambiance. « Personnellement, je me sentais euphorique, il y a un sentiment de légèreté. J’avais un fou rire après l’inhalation. » Selon l’OFDT, 2,3 % des jeunes de 17 ans, en majorité des garçons, ont déjà expérimenté le protoxyde d’azote.
De lourdes séquelles, parfois irréversibles
Face à la multiplication des cas de complications, notamment neurologiques, survenus après des consommations répétées, les professionnels de santé et les structures de veille sanitaire ont tiré la sonnette d’alarme. En l’espace de cinq ans, le nombre de cas graves aurait été multiplié par 50. Le CSAPA compte quelques cas d’addiction, des usagers qui ont perdu le contrôle de leur consommation. « C’est très rare », rassure cependant Régis Bouquié. « Mais la présence de plus en plus prégnante de cette consommation amène à avoir des patients qui vont développer un trouble via l’usage. »
Le risque le plus important pour le consommateur, c’est la neurotoxicité. « Le système nerveux central et le système nerveux périphérique peuvent être touchés. » En clair, le cerveau, la moelle, les nerfs… D’après le pharmacologue, le consommateur peut être victime de paresthésie, de picotements des mains, des bras, des pieds. « Il peut aussi y avoir des atteintes des nerfs moteurs qui font bouger les muscles, des faiblesses musculaires, des pertes d’équilibre, une difficulté à marcher, jusqu’à la paraplégie. »
Outre les effets toxiques liés à la neurotoxicité, de nombreux effets indésirables peuvent survenir immédiatement après la consommation : vertiges, étourdissements, désorientation, maux de tête… Selon Régis Bouquié, le principal risque reste l’inhalation. En effet, le gaz comprimé dans les capsules ressort à une température extrêmement froide. « C’est pour ça que le gaz est transféré dans un ballon, pour arriver à une température ambiante. » En cas de mauvaise utilisation, le protoxyde d’azote peut également provoquer des brûlures pulmonaires.
« En psychiatrie, nous constatons un nombre croissant de nouveaux cas, qui inquiète la communauté médicale », révèle Régis Bouquié. Notamment chez les jeunes patients qui ont consommé des quantités très importantes de protoxyde d’azote. « Ils décrivent des symptômes qui ressemblent à des délires aigus, qui vont durer plusieurs jours et qui, parfois, vont s’installer », alerte le professionnel. Pour le moment, ces nouveaux symptômes sont en cours de diagnostic.
Les origines du protoxyde d’azote
Le protoxyde d’azote est apparu dans les années 1800. « Dès le début, il a été détourné », nous affirme Régis Bouquié. « Dans la société du 19e siècle, il était utilisé lors des soirées privées. » Il s’agit d’un gaz incolore, inodore, qui a plusieurs types d’usages. Premièrement, un usage industriel. « Il servait de gaz propulseur pour certains turbos dans les années 80 ». Deuxièmement, un usage médical anesthésiant. « Mélangé à de l’oxygène, ce gaz peut être donné à des enfants, notamment lors de petits actes médicaux, ou en dentisterie », assure-t-il.
« Les capsules industrielles, pour faire de la chantilly, contiennent du gaz pur, dans lequel il n’y a pas de mélange d’oxygène. Contrairement au gaz utilisé en médecine, composé de 50% d’oxygène et de 50% de protoxyde d’azote », précise le pharmacologue. À partir des années 2010, « il y a eu un détournement des capsules alimentaires qui servaient à faire de la chantilly ou de l’eau gazeuse. » De petites capsules que l’on retrouvait abandonnées en nombre après usage, surtout pendant le Covid. « Ça a vraiment explosé à ce moment-là », confirme Régis Bouquié.
Outre les risques sur la santé du consommateur, il est important de noter que les cartouches métalliques non dégradables et les bonbonnes abandonnées sur la voie publique ont un impact sur l’environnement.
*Observatoire français des drogues et des tendances addictives.
**Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie.
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