Jeune néophyte en quête d’un premier frisson jazz, j’ai plongé dans l’inconnu avec The Art Eixample of Canigo, groupe assurant l’ouverture de la saison 2025 du festival Jazzèbre. Au Palais Consulaire de Perpignan, la formation musicale transfrontalière a tissé une performance vibrante et vivante, où chaque instrument trouvait sa place dans une harmonie libre et inspirée.
Une soirée où le jazz se déguste aussi bien par les notes que dans les verres, mêlant improvisation musicale et « vinesthésie » pour un moment de communion inédit, et inattendu. Photos © Viola Trombetta.
Baptême de jazz à Perpignan
Pour moi qui ne connais le jazz qu’à travers Fantasia 2000 et son adaptation animée de Rhapsody in Blue de George Gershwin, je n’avais absolument aucune idée de ce qui m’attendait. J’allais de cliché en cliché, entre musique d’ascenseur et chaos symphonique multi-instrumental, comme si un chef d’orchestre avait jeté batterie, saxophone, trompette et contrebasse dans une cage d’escalier. The Art Eixample of Canigo – prononcez Echample – a remisé les idées reçues au placard et m’aura offert une entrée en matière plutôt douce, épurée et pleine de vitalité.
Le groupe brode autour de ses thèmes, se rejoint lors de refrains mélodieux et rythmés, laisse la place pour des solos individuels et tape du pied de concert. Toni Saigi, le pianiste a le regard rêveur qui se promène au plafond, ses doigts dansant sur touches de son clavier. Gorka Benitez, bottines en cuir et chemise à fleurs, jongle entre flûte et saxe ténor. La batterie de Carlos Falanga, – littéralement – dans l’ombre du saxophoniste, prend de l’ampleur au fil de la soirée. La grande versatilité des rythmes et des sonorités qu’il produit culmine avec ses cymbales équipées de rivets dont le frémissement métallique parcourt la salle de long et large.
À la trompette, Juan de Diego a le visage rougi par l’effort lorsqu’un solo l’entraîne un peu plus loin. Pic dominant de la montagne de The Art Eixample of Canigo, la contrebasse de Patrick Felices dépasse tout le monde d’une tête et fait vibrer l’air. Si les chansons ont toutes un nom et un thème musical, l’improvisation y garde une place royale. Les musiciens se connaissent bien, et leur musique s’en ressent.
Quand le vin inspire la musique
Le concept de « vinesthésie », tiré du programme « Punkovino » d’Arte, consiste à proposer aux musiciens d’improviser un morceau inspiré par un verre de vin. « Notre musique est sincère, et il peut y avoir un rapport avec le vin qu’on va goûter tout à l’heure », explique Patrice entre deux chansons. « C’est un truc qu’on fait de manière artisanale, avec le cœur, et avec les moyens du bord ».
Ce soir-là, c’est Stijn, viticulteur au domaine La Tri Fontoj à Montner, et amateur de jazz, qui proposera ses vins rouges. Alors que le concert touche à sa fin, les verres de vin circulent dans le public, les musiciens descendent de scène et trinquent avec le public. Soudain inspiré, Gorka reprend sa flûte et entame quelques notes. Ses camarades le rejoignent et ajoutent, les uns après les autres, leur tonalité à l’ensemble, pour un dernier morceau avant de clôturer la soirée sous les applaudissements.
Du noir et blanc au multicolore : Un (jaz)zèbre multiforme
Dans une grande salle du Palais Consulaire qu’occupe, entre autres, la CCI, ils sont une soixantaine à être venus ce soir-là. Je crois en toute honnêteté faire partie des plus jeunes de l’audience. Derrière moi, un couple de 19 ans, originaire d’Espagne, rythmait la musique avec ses mains. Ils sont étudiants musiciens à Barcelone, mais ils ne sont pas venus par simple amour du jazz. Gorka, le saxophoniste, est enseignant à l’école du jeune homme. « Le concert était assez jazz-pop, c’était très bien », commente-t-il avant d’ajouter qu’il espère « avoir Gorka comme professeur l’année prochaine ».
« C’est peut-être LA soirée jazz la plus classique de notre programme », sourit Ségolène Alex, directrice de Jazzèbre. Aujourd’hui, le célèbre festival a 36 ans, cherche à changer d’image, à s’extraire du carcan de clichés dont souffre le jazz aujourd’hui – et dont j’étais moi-même porteuse – et à élargir son public au-delà des habitués et des convaincus. « On fait bien plus que du jazz. Parfois on est presque dans une musique du monde, il y a tellement d’influences ! » s’enthousiasme la directrice du festival.
Un groupe né de Perpignan, de Barcelone, du Pays Basque et de l’Argentine
« J’ai beau être Perpignanais, je ne connaissais pas ce lieu », commence Patrick en montrant la haute salle d’un geste de main. « On m’avait parlé d’une très belle salle avec une acoustique un peu difficile. On a donc fait le répertoire en fonction de la salle, en jouant nos morceaux les plus « violents » de manière plus calme. Et finalement, on a été agréablement surpris par le son, et par la réception du public ».
Au fil de ses 35 ans de carrière, le fondateur du groupe a travaillé entre autres avec Jeanne Moreau, Robert Wyatt, et PJ Harvey. Son amitié transfrontalière avec Gorka, Toni, Carlos et Juan remonte à de nombreuses années. Leur nouvel album, Conceptual space, sorti en 2024 est qualifié sobrement de « jazz contemporain » sur les plateformes d’écoute en ligne. « Notre musique vient du cœur. C’est notre aventure humaine », ajoute Patrick.
La prochaine session du Mardi Jazz aura lieu le 11 février, même heure même endroit, avec Knobil, groupe suisse de musique « rock, funk, swing, musiques actuelles, jazz et expérimentations contemporaines », d’après les mots du Zèbre lui-même. J’en serais pour continuer à casser les clichés.
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