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Gilles, handicapé et précaire dans les Pyrénées-Orientales : « Je veux seulement travailler »

Article mis à jour le 19 décembre 2025 à 08:32

C’est un accident de scooter en Picardie qui a fait basculer la vie de Gilles Lallement. Installé près de Perpignan, il s’efforce de trouver un emploi adapté et lutte contre l’isolement et les étiquettes que lui colle l’administration. Sa confiance en lui fluctue autant que ses finances. Il remonte la pente comme bénévole pour l’association Cohérence Réseau, qui accompagne le handicap.

Le portrait de Gilles s’inscrit dans une série réalisée avec le soutien du ministère chargé de la ville. Made In Perpignan a voulu montrer les « visages de la précarité en pays catalan », la réalité humaine qui se cache derrière les statistiques de la pauvreté ; des trajectoires de vie, des accidents de parcours, des héritages sociaux et des luttes silencieuses… 

Gilles avait 29 ans quand son accident lui paralyse la jambe. Sportif, il pratiquait le rugby, travaillait dans l’hôtellerie. Son dernier emploi était chef barman. Du jour au lendemain tout s’arrête.

« J’ai eu la jambe broyée. » Après trois mois d’hôpital, il se retrouve démuni et se déplace avec des béquilles. « C’est très compliqué de faire le deuil du métier. »

Les injonctions contradictoires commencent. Un médecin conseil qui assure qu’il ne peut pas travailler, une administration qui lui demande pourquoi il ne s’inscrit pas au chômage… « J’étais perdu, j’étais tout seul. » Gilles Lallement passe de l’allocation adulte handicapé de la CAF à l’invalidité de la CPAM. Entre cette aide et l’allocation complémentaire « ASI », il vit avec 800 euros par mois.

« J’indique mon handicap sur mon CV »

Après plusieurs errances et passages par des centres de remise à niveau professionnelle, il s’oriente en 2013 vers un CRP (Centre de Rééducation Professionnelle) à Osséjà. « Je vois que c’est à côté de Perpignan, je me dis que ça serait peut-être pas mal. » Il passe un diplôme de secrétaire comptable, mais ne trouve que des petits contrats précaires.

« J’indique mon handicap sur mon CV. De toute façon ça se voit. » Les refus se succèdent. Trop de diplômes, pas assez d’expérience… Il a le sentiment de prétextes pour éviter les postes aménagés. Il parvient pourtant à conduire avec les voitures à boîtes automatiques.

« Ils s’en font une montagne, imaginent qu’on va être souvent en arrêt, qu’il faudra un ascenseur ou je ne sais pas quoi. Beaucoup de grosses sociétés préfèrent payer l’amende plutôt que d’embaucher les 6 % de travailleurs handicapés. »

Gilles Lallement s’installe à Cabestany. « J’ai un loyer de 600 euros avec 300 euros d’APL. » Il lui reste 500 euros pour vivre et payer les factures, mais il ne s’en plaint pas. Pour lui c’est une stabilité. « Je rogne sur les loisirs, les achats qui ne sont pas vitaux, le cinéma… Alors que j’adore le cinéma. »

Ce système paradoxal où l’emploi fait courir un risque

Le problème c’est qu’à l’issue de chaque emploi court, il lui faut trois mois avant de retrouver ses droits à l’allocation complémentaire. En attendant, Gilles se retrouve alors quelque 400 euros mensuels. « Comment vivre avec 400 euros quand on a 296 euros de loyer ? » La perspective de ces périodes de creux n’incite guère à chercher du travail, mais Gilles passe outre et candidate en permanence.

« Je veux seulement travailler. C’est le plus important. Tant pis si je n’ai pas l’ASI ensuite. »

À 47 ans, Gilles s’accroche, continue d’envoyer des CV. Sur seulement 10 % de réponses à ses candidatures, la plupart sont négatives, même pour des stages non rémunérés. « J’ai besoin de travailler pour avoir le lien social que je n’ai pas eu pendant des années. » Il souligne un isolement qui joue sur l’aspect psychologique, sape sa confiance en lui. « Je n’ai plus beaucoup des amis que j’avais avant l’accident. On rumine. La famille c’est compliqué, c’est beaucoup d’émotionnel et on n’a pas envie d’avoir le regard des autres. »

Un regard qui pèse quand il se déplace en boitant. « Quand on est handicapé on craint toujours les réactions, l’apitoiement. Si on n’est pas costaud, on craque. Il suffit qu’une personne vous parle mal. » Gilles se souvient avec douleur des remarques portant sur l’assistanat.

« Dans le Nord, on m’a dit ‘vous pouvez vous considérer en préretraite’. J’avais trente ans… Ici, une femme de la CPAM m’a dit ‘on en a marre de payer les feignants.’  » À l’inverse, il salue d’autres rencontres qui ont jalonné son parcours, comme son conseiller Cap Emploi, plus conciliant.

Pour élargir ses compétences, il suit une formation de conseiller en insertion, professionnelle, et passe également un diplôme de ressources humaines en distanciel. Intégrer l’association Cohérence Réseau à Perpignan, d’abord comme bénéficiaire, lui a rendu de l’espoir.

Briser les étiquettes et la méconnaissance des employeurs

Des psychologues l’accompagnent. « Mes amis ici m’ont fait comprendre que je n’étais pas qu’un handicapé, un bon à rien, mais une personne. Dans ce pays, quand on est handicapé, on n’est plus un être humain. Alors que c’est le contraire. On voit plus de choses, on est compatissants avec d’autres. » C’est cette posture qu’il l’amènera au bénévolat pour aider d’autres précaires. Ces derniers cumulent souvent handicap et absence de véhicule, dans un département où la mobilité est compliquée. Certains tentent de masquer leur pathologie pour augmenter leurs chances.

Inlassablement, Gilles se cherche un avenir. Il rêve d’un monde où les employeurs seraient mieux informés du monde du handicap. Il participe aux « DuoDays », ces journées de rencontres entre entreprises et personnes handicapées. « Je le fais depuis 2019. Cela m’a fait énormément de bien. Mais ce n’est qu’une journée, ce n’est pas assez. » Gilles évoque encore ses idéaux de travail dans le social. Il s’interrompt, songeur. Devant lui, un champ des possibles. Pas une seconde l’idée de baisser les bras ne semble l’effleurer.

En 2022, 8 % de la population d’Occitanie est reconnue en RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé), soit 260 000 personnes. Depuis 2016, la quasi-totalité des départements de la région voient une augmentation annuelle des bénéficiaires de l’allocation adulte handicapé, qui représentent 4 % des 20 – 64 ans. Cela s’explique entre autres par une augmentation des maladies chroniques, des problèmes de santé psychique et par le vieillissement de la population générale.

Dans la série « les visages de la précarité »

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