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Visa pour l’image : « Je dois déclencher, même si c’est terrible », Paloma Laudet, une photojournaliste entre forces revendiquées et faiblesses assumées

Visa pour l'image : "Je dois déclencher, même si c'est terrible", Paloma Laudet, une photographe entre forces revendiquées et faiblesses assumées

Article mis à jour le 7 septembre 2025 à 09:26

La photojournaliste originaire des Pyrénées-Orientales expose à Visa pour l’image son travail consacré à la guerre qui ravage la région du Nord-Kivu, en République Démocratique du Congo, l’un des conflits les plus meurtriers de la planète. Portrait d’une photoreportrice qui aborde sans fard les coulisses de son métier.

Chaque thématique abordée donne lieu à une profonde réflexion. Installée sur cette chaise, dans le cloître du Couvent des Minimes, Paloma Laudet, 26 ans, évoque sans détour, avec franchise et fraîcheur, la réalité du métier de photojournaliste. Ce métier qu’elle exerce dans l’une des zones les plus à risque de la planète : le Nord-Kivu, en RDC. Depuis plus de trente ans, cette région est dévastée par un conflit armé qui prend sa source dans le génocide rwandais. Depuis 2021, la guerre s’est intensifiée, atteignant un point critique en janvier 2025, lorsque le groupe armé M23 (le Mouvement du 23 mars, créé en 2012 par des officiers entrés en rébellion contre le gouvernement congolais) a pris le contrôle de Goma, la capitale du Nord-Kivu.

« Cette guerre dure depuis 30 ans et a fait plus de 6 millions de morts selon Amnesty International, détaille Paloma Laudet. C’est l’un des conflits les plus meurtriers depuis la Seconde Guerre mondiale. Donc quand Goma est tombée, on a voulu aller sur place le plus vite possible avec Margaux Solinas, avec qui je travaille en binôme et qui est journaliste indépendante, elle aussi. On voulait pouvoir témoigner de ce qu’il s’y passait ».

L’aéroport international étant fermé à cause des combats, la seule option pour les deux reportrices est d’atterrir à Kigali, au Rwanda, puis de traverser la frontière terrestre, avant de négocier avec le M23 pour pouvoir entrer dans la ville. Elles y parviennent. 

Être une femme : une force sur le terrain

A partir de là, les deux journalistes arrivent à travailler sans être trop contrôlées par les militaires. Sur ce terrain difficile, marqué par des violences incessantes, leur statut de femme pourrait sembler un handicap. Paloma Laudet y voit au contraire une force. « Être une femme, c’est d’abord un atout ! On a un accès bien plus direct au monde des femmes, notamment quand il s’agit de traiter les violences sexuelles et ça change tout pour recueillir leurs témoignages ». Selon elle, la vraie difficulté n’est d’ailleurs pas tant sur le terrain, qu’avant ou après : « il y a encore très peu de femmes envoyées sur des terrains de guerre. Ce n’est pas seulement un problème des rédactions, c’est plus large : la société a tellement répété aux femmes que ce n’était pas leur place qu’elles finissent par s’en convaincre ».  

Sur place, donc, Margaux et Paloma sillonnent la ville afin de documenter ce qu’elles y trouvent. Y compris lorsqu’elles assistent à des scènes d’une brutalité absolue. « Il faut comprendre qu’à ce moment-là, à Goma, il n’y a plus d’Etat, plus de justice. Donc c’est une justice populaire, une justice de rue, qui se met en place et qui condamne à mort. Comme cette fois où on a vu des corps brûler, par terre, en périphérie de la ville » (une photo présentée à Visa, ndlr). 

Une scène insoutenable que Paloma décide d’immortaliser, malgré le choc. « Je me suis dis ‘je dois faire cette photo, ensuite je verrai ce que j’en fais’. Parce qu’à ce moment-là, ce qui m’a le plus frappée, c’était de voir qu’autour des corps il y avait tout un attroupement de personnes qui regardaient la scène. Et parmi eux, il y avait beaucoup d’enfants… Cette photo pose la question de leur avenir ». Pour encaisser, Paloma s’appuie sur sa binôme. « Être deux femmes, travailler ensemble, permet d’échanger énormément et de débriefer sur tout. C’est essentiel. Même si on ne peut pas s’habituer à ça. Et heureusement qu’on ne le peut pas et que la réalité nous touche ! Dans ces moments-là, je me dis que je dois continuer, du mieux que je peux ». 

La santé mentale des reporters de guerre, le grand tabou

Se pose dès lors la question du coût moral de cet engagement. Un sujet que Paloma n’élude pas, au contraire. « La santé mentale des journalistes est un énorme tabou dans le monde du photojournalisme. Je pense que ça ne devrait pas. Il faut pouvoir dire qu’on ne s’habitue pas à ce qu’on voit ni aux récits qu’on entend… ». Sans détour, la photoreportrice confie que les retours en France sont souvent compliqués. « Quand je rentre, je réfléchis et je processe la chose. Je vais voir un psy aussi. Il faut le dire : c’est important d’aller voir des thérapeutes. C’est ce qui nous permet de ne pas avoir un stress post-traumatique ». 

Une prise de position qui suscitera certainement l’approbation de la profession. Alors même que celle-ci laisse pourtant les photoreporters gérer seuls l’impact émotionnel de leurs travaux. Les médias qui achètent les photos et se satisfont du travail des photojournalistes sur les terrains les plus difficiles ne prennent absolument pas en compte leur soutien psychologique. « On sait déjà la précarité du métier – c’est une bataille chaque mois – et en plus, c’est à nous de payer nos séances de psy… », regrette ainsi Paloma. « Malgré tout, je pense que c’est essentiel si je veux pouvoir continuer à faire ce travail correctement et le plus longtemps possible ». 

À travers son témoignage, celle qui a grandi dans les Pyrénées-Orientales, nourrie par Visa pour l’image avant de prendre son envol, de Calais à l’Afrique, rappelle une évidence : l’accès à l’information est un luxe. Et trop souvent, ce sont les reporters indépendants qui en paient le prix.

Paloma Laudet. « RDC : vivre sous le M23 ». Chapelle du Tiers-Ordre.

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