fbpx
Aller au contenu

« France périphérique » de Pierre Faure : « Ce n’est pas mon travail qui est violent, c’est la réalité »

"France périphérique" de Pierre Faure au festival Visa pour l'image: "Ce n'est pas mon travail qui est violent, c'est la réalité"

Article mis à jour le 6 septembre 2024 à 14:47

Avant d’être une exposition à Visa pour l’Image, « France périphérique » de Pierre Faure est un travail de long-court. L’objectif est de photographier cette France invisible mais pas marginale, celle qui réside loin des grandes villes. Dans la 7e puissance mondiale, onze millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Pierre Faure a passé beaucoup de temps avec elles. Il propose jusqu’au 15 septembre à l’Hôtel Pams 38 photos de ces invisibles.

Quelle est la genèse de « France périphérique » ?

Je suis venu à la photo sur le tard : j’ai réalisé ma première série en 2012 dans un bidonville de Tziganes qui venaient tous du même village roumain. J’y suis resté un an. J’ai ensuite documenté pendant un an le plus grand CHU (Centre d’hébergement d’urgence) de France, et j’ai enchaîné sur un CHRS (Centre d’hébergement de réinstallation sociale) pendant neuf mois. C’est là que j’ai commencé à traiter des thèmes comme l’exclusion et la précarité.

En discutant avec les travailleurs sociaux, je me suis rendu compte que ces centres accueillaient des nouveaux profils : des personnes qui se retrouvent à la rue après la perte d’un travail ou après une rupture. Avant, c’était plutôt des gens exclus de longue date. Je me dis à ce moment que je vais continuer à documenter la pauvreté mais auprès de ceux qui ont un toit, voire un travail, mais qui vivent quand même sous le seuil de pauvreté.

"France périphérique" de Pierre Faure au festival Visa pour l'image: "Ce n'est pas mon travail qui est violent, c'est la réalité"

C’est comme ça que naît « France Périphérique » en 2015, alors que je venais de lire le livre [éponyme du géographe] Christophe Guilluy. Cette France, ce n’est pas forcément la France rurale ; c’est la France en dehors des grandes villes.

Je commence dans le Var et rencontre des gens via des structures telles que le Secours Catholique ou le Secours Populaire. Puis je continue et je passe souvent plus d’un an dans chaque région. L’idée, c’est d’aller voir ces personnes non pas une fois, mais quinze, vingt, trente fois sur l’année. Et parfois de devenir amis.

Qu’est-ce qui t’a poussé à continuer à travailler sur la précarité ?

Il y a un truc qui me révolte : la situation d’un pays riche où tu peux voir des paysans qui travaillent de 5h à 23h et qui n’arrivent pas à s’acheter un pull, à faire réparer leur tracteur… Je trouve cela absurde. Je trouve que ces gens-là, on ne les voit pas, on ne les entend pas. Les jeunes sans emploi, les travailleurs pauvres, les aides-ménagères, les ouvriers… font partie de cette population trop peu représentée.

En plus, le monde paysan en particulier disparaît doucement. C’est cela la fonction du photographe : nous sommes là aussi pour documenter le changement.

Est-ce que tu as l’ambition de faire un travail utile ?

Je n’ai pas de réponse à cette question : je fais mes photos d’un côté, et après, il y a les distributeurs du monde culturel, du monde de la presse… C’est à eux de décider si mon travail doit être montré ou pas. En dix ans, j’ai eu deux publications. J’ai eu la chance d’avoir beaucoup de prix et une bonne réception dans le monde de la photo, mais le secteur de l’édition reste bloqué. Pourquoi la pauvreté aux États-Unis intéresse plus les éditeurs que la pauvreté en France ? Je pense que c’est parce que mon travail interroge les choix politiques et économiques qui sont faits chez nous et qui sont responsables de ces situations.

Ne crains-tu pas d’objectiver les personnes que tu photographies, de les réduire à leur condition ?

Mes images ne sont pas prises sur le vif, elles sont silencieuses. Ce n’est ni une photo d’information ni une photo de mouvement. Les personnes savent que je suis là, elles sont d’accord pour que je les photographie.

Il y a d’abord la façon d’aborder chaque rencontre : je ne dis pas que je viens documenter la montée des difficultés en France. Je ne prononce pas le terme « pauvreté ». Pas par hypocrisie, mais parce que je le trouve stigmatisant. On en parle après. Et ils comprennent très clairement ce que je veux dire.

"France périphérique" de Pierre Faure au festival Visa pour l'image: "Ce n'est pas mon travail qui est violent, c'est la réalité"

On a tous besoin de parler aujourd’hui. J’arrive dans leur vie comme un électron libre et ils savent que je vais repartir. Cela libère aussi la parole. On se confie beaucoup plus facilement à des gens qu’on ne connaît pas. Après, le lien se tisse, mais globalement je ne suis que de passage.

Montres-tu ton travail aux personnes que tu photographies ?

Oui, à 95 %. Déjà, j’envoie toujours les clichés, et pour ceux qui n’ont pas Internet, je les imprime. Ces images sont rarement exposées. Il s’agit plus de photos souvenir.

À l’inverse, il y a des images que je ne montrerai jamais. Parfois, je me demande si je devrais prendre ces photos. Mais je suis là pour quoi ? Je suis photographe pour faire des portraits souriants ou pour documenter la merde qu’il y a dans le pays ?

Humainement, la réponse est dure. Je n’aurais jamais montré ces photos-là aux concernés [notamment dans le cadre du projet antérieur « Les Gisants« ]. Tu ne peux pas. Mais est-ce que tu es là juste pour faire plaisir et respecter les gens ou pour dire « regardez ce qui se passe » ? Chacun a sa réponse. Moi, j’ai trouvé la mienne. Elle n’aurait sans doute pas été la même à 25 ans.

"France périphérique" de Pierre Faure au festival Visa pour l'image: "Ce n'est pas mon travail qui est violent, c'est la réalité"

En fait, ce qui est scandaleux, ce n’est pas la photo, mais c’est l’état dans lequel les personnes sont. Il ne faut pas mélanger la photographie et la réalité. Je ne fais que montrer une réalité. Il faut diriger son indignation vers cette réalité, pas vers moi. Évidemment, je suis moi-même indigné par ce qui se passe.

Il faudrait que tu ailles dans les fermes, tu verrais que c’est autrement plus violent quand tu as la personne en face, quand tu sens les odeurs, quand tu vois leur détresse. Ce n’est pas le travail de Pierre Faure qui produit de la violence, c’est la réalité. Moi j’essaie juste de transmettre ça.

Qu’est-ce que tu fais de ces récits quand tu poses l’appareil ?

J’ai 52 ans, je suis relativement stable donc j’arrive à évacuer. J’ai aussi pas mal d’humour et je prends du recul. Mais oui, des fois, quand tu entends des témoignages, c’est compliqué.

Est-ce que certaines rencontres t’ont marqué ?

J’attendais cette question ! Je ne veux pas qu’on réduise la pauvreté à des situations extrêmes. Le plus violent, le plus marquant, n’est pas forcément le plus représentatif.

Il faut d’abord mentionner le positif, comme l’entraide qui se développe dans les réseaux de solidarité. J’ai vu en Bretagne des hommes qui cultivent leur petit lopin de céréales et qui s’en sortent, ou des villages qui essaient de s’autogérer avec beaucoup de solidarité.

Mais globalement, le constat est plutôt affligeant. Ce qui m’a marqué, par exemple, c’est la misère qui à l’air de se transmettre de génération en génération dans le Nord. Depuis les fermetures des usines dans les années 70-80, tu as l’impression qu’il n’y a plus d’échappatoire. On croirait qu’ils ont intégré le fait de vivre dans la débrouille.

Par exemple, j’ai rencontré en Bretagne un homme qui vivait dans sa voiture et qui buvait un peu. Il vivait du RSA et il avait une petite schizophrénie. La santé mentale est un vrai enjeu en France. J’ai parlé dans le Grand Est avec une mère seule de six enfants, dont trois étaient autistes. Elle avait eu une enfance difficile et ses souffrances n’étaient pas seulement dues à sa condition économique. Il y avait aussi ce fermier qui galérait, qui était obligé de s’occuper de la ferme familiale et ne savait faire que ça.

Avec les conditions économiques qui sont de plus en plus dures, ils ne s’en sortent pas. Ce sont des personnes qui triment. Je veux aussi parler de ces gens pour démentir l’idée que ce sont feignants.

Participez au choix des thèmes sur Made In Perpignan

Envie de lire d'autres articles de ce genre ?

Comme vous avez apprécié cet article ...

Partagez le avec vos connaissances

Valentin Arnal