Article mis à jour le 15 décembre 2025 à 15:08
Laura* élève seule son fils de 4 ans. Son quotidien est fait d’une succession de dilemmes, de calculs et de renoncements invisibles. Pour son petit garçon, pour lui permettre de rester insouciant, elle fait tout pour avoir une vie qui paraît « normale ». Chaque jour, elle continue d’avancer. Même quand, en fin de mois, il n’y a plus assez à manger pour deux.
Le portrait de Laura s’inscrit dans une série réalisée avec le soutien du ministère chargé de la ville. Made In Perpignan a voulu montrer les « visages de la précarité en pays catalan », la réalité humaine qui se cache derrière les statistiques de la pauvreté ; des trajectoires de vie, des accidents de parcours, des héritages sociaux et des luttes silencieuses…
Une vie à recommencer, encore et encore. Laura a 39 ans et son parcours ressemble à une suite de déracinements successifs. Elle a deux ans quand elle arrive dans les Pyrénées-Orientales. À 12 ans, ses parents divorcent ; s’enchaînent alors des allers-retours brutaux entre la Belgique et la Corrèze. Les liens familiaux deviennent rapidement conflictuels. Après avoir été placée en internat, Laura se rebelle. Jusqu’à la rupture familiale totale. A seulement 16 ans, c’est une première vie autonome qui débute alors.
La jeune femme revient dans les Pyrénées-Orientales et enchaîne les saisons, les logements temporaires. Des problèmes de santé ne tardent pas à émerger : une agoraphobie tenace doublée d’une maladie dermatologique sévère la handicapent pendant dix ans. « Psychologiquement, à tout niveau, c’était compliqué. Je me suis encore plus renfermée ».
Cadre conflictuel et co-parent absent
Puis une brève lueur : elle rencontre le père de son fils. L’histoire est courte, intense. Douloureuse, aussi. Laura raconte la violence d’une grossesse sous tension, les problèmes d’argent et la séparation. « Je me suis retrouvée à la rue à 6 mois de grossesse. Heureusement, j’ai été hébergée puis logée dans un camping ». Moins de trois mois plus tard, elle accouche avant terme.
« Le père de Gabriel* est resté le soir de l’accouchement, mais dès le lendemain il est parti ».
Laura passe alors vingt jours seule à la maternité. Avant un retour à domicile sans filet, heureusement un peu amorti par les visites régulières de la sage-femme et de la puéricultrice de la Protection maternelle et infantile (PMI).
Quant au père du petit garçon, il apparaît et disparaît au gré de ses envies, sans jamais s’inscrire durablement dans la vie de son fils. « Il peut ne pas venir pendant un mois, deux mois… Et d’un coup, il arrive ». En dehors de tout cadre et certainement pas dans les règles fixées par le juge. « Forcément, ça rend les choses conflictuelles… », regrette Laura.
Ce qui guide Laura, c’est son fils
Dans ce quotidien mouvant, Laura tire sa force de Gabriel. Il est son ancrage, son élan et son moteur. « Je me lève tous les matins pour lui apporter une vie meilleure ». Elle rêve pour lui d’une enfance simple, douce, faite de balades en forêt.
« J’essaye d’être un peu Montessori… mais comme je dois aussi incarner l’autorité, c’est parfois Monteghetto ! »
Aujourd’hui, Laura élève son petit garçon dans une maison modeste en zone rurale, louée 500 euros par mois. « J’ai eu un coup de cœur pour le village. » Elle y a trouvé un équilibre fragile : une école à taille humaine et, autour, la nature qui apaise. Depuis quelques mois, elle a aussi trouvé un travail à mi-temps dans l’aide à domicile. Une étape essentielle pour reprendre confiance. « Ça me fait du bien de ne plus avoir que le rôle de maman, de voir des adultes, de me sentir utile ». Une fierté aussi de pouvoir dire à son fils que « maman prend un travail pour qu’on gagne un peu plus de sous, qu’on soit mieux, qu’on puisse se faire des plaisirs».

Mais pour une maman célibataire et isolée, les dilemmes reviennent très vite. L’employeur de Laura est ravi de ses services et lui a proposé de passer à temps complet. Mais cette bonne nouvelle se heurte à un mur : l’absence totale de relais familial et de solution de garde. « Si je passe à temps plein pour gagner plus mais que je me retrouve du coup à payer une nounou ou une baby-sitter pour s’occuper de mon fils, ça n’a pas de sens ! ».
À cela s’ajoutent des obstacles encore plus lourds : à commencer par les trajets en zone rurale. Sa voiture l’ayant lâché, son employeur lui prête un véhicule le temps de se retourner. Laura sait qu’elle va vite devoir en racheter un. Un gouffre. Mais l’investissement est indispensable. La nouvelle voiture dépendra d’un microcrédit solidaire, pour lequel elle attend la réponse en croisant les doigts. « Si ce crédit n’est pas accepté… je ne sais pas comment je vais pouvoir faire. Peut-être que je devrai rendre la voiture de fonction, arrêter mon contrat, retourner au RSA ». La peur du retour en arrière n’est jamais loin. Comme une crainte sournoise qui serre le ventre.
« La précarité, c’est toujours se serrer la ceinture, toujours compter »
Quand elle en parle, les mots tombent, nets : «C’est une angoisse permanente». Et une larme vient rouler sur sa joue lorsqu’elle évoque ces fins de mois qui riment avec privation. Et ce moment où il faut se mettre à table et dire à Gabriel qu’elle n’a pas faim en le regardant manger…
Cette angoisse permanente apparaît au cours de la conversation. Chaque détail est justifié par le prix. La paire de chaussons à 9 euros, le livre à 10 euros choisi par son fils dans la nouvelle librairie, ou encore cette bunyette à 2,50€ qu’il a mangé au goûter.
Dans ce contexte, le quotidien devient un territoire de renoncements : pas de vacances, pas de sorties, pas de superflu. Le coiffeur est un luxe, les vêtements aussi. Laura achète d’occasion, calcule tout. L’alimentation pèse lourd : « Manger de la bonne viande, des bons légumes… Avant j’allais au marché. Là je n’y vais plus. À un moment, c’est trop. »
Un rêve simple : vivre sans peur du lendemain
À cela s’ajoute parfois le regard des autres, souvent injuste. Laura parle bien, se présente bien, vient d’une « bonne famille ». Alors sa situation, pour certains, serait un peu de sa faute. Comme si la précarité était un choix. Un raisonnement insupportable, mais encore bien ancré, même si, dit-elle, « heureusement, les regards changent ».
Si les planètes s’alignaient, Laura sait exactement ce qu’elle ferait : « Mon rêve serait de faire une formation en réflexologie. Ce serait d’avoir une vie simple. D’arrêter d’angoisser tout le temps, de manger correctement. Juste être bien». Juste la possibilité de respirer. De voir son fils grandir sereinement. De ne plus être seule face à tout.
En attendant, Laura fait tout pour que son fils ne voie jamais les fissures derrière le décor. Pas de plainte, pas de grand discours. Mais cette phrase, qui résume tout : « j’essaie de faire au mieux, comme je peux. Pour lui… »
*Les prénoms ont été modifiés.
Les familles monoparentales représentent 20% des ménages des Pyrénées-Orientales, contre 16% en France métropolitaine. Dans 83% des cas, c’est la mère qui élève seule ses enfants. En situation de monoparentalité, les mères comme les enfants sont fragilisés économiquement et cumulent les difficultés (32% des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté, contre 14% sur l’ensemble de la population). Cette précarité entraîne souvent un cercle vicieux puisque près de la moitié des mères célibataires sont contraintes de travailler à temps partiel.

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