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Agroécologie à Elne, la reconversion réussie de la mer à la terre

Agroécologie à Elne, la reconversion réussie de la mer à la terre

Article mis à jour le 10 février 2025 à 17:51

André Trives, ancien poissonnier, a vu son métier s’effondrer avec la chute des écosystèmes marins. Ce 6 février, l’agriculteur en agroécologie à Elne, partage son parcours et les défis de son métier avec une vingtaine de passionnés, désireux de suivre ses pas.

« J’ai été contraint d’arrêter mon métier parce que les écosystèmes marins se sont cassé la gueule », déclare André Trives. Port-Vendres a longtemps été un important port sardinier et la sardine représentait 70% du chiffre d’affaires de son activité. Mais en trois ans, les stocks ont chuté « sous l’effet du dérèglement climatique et de la baisse des précipitations », confie l’agriculteur en agroécologie.

PERMACULTURE ELNE

André Trives a dû rebondir. « Nous les Catalans, on a l’habitude de passer de la terre à la mer », sourit-il. L’actuel agriculteur s’est tourné vers le jardinage, une passion qui l’anime depuis ses 14 ans. « Quand j’étais jeune, je cultivais un petit potager dans le jardin de ma grand-mère. Le jardinage m’a toujours passionné. »

C’est en septembre 2015, au détour d’une discussion avec un ami, qu’il s’intéresse à la permaculture. Un mot encore « inconnu » pour André Trives, qui se renseigne le soir-même sur internet. Quinze jours plus tard, il s’inscrit à un stage de permaculture et découvre le réseau Maraîchage Sol Vivant (MSV). Un an plus tard, après un passage aux rencontres nationales de Rennes, il trouve des informations « pratico-pratiques » auprès de ceux qui étaient « dans l’action au quotidien, qui produisaient et qui vivaient de leur métier », il décide de se lancer.

Une installation progressive dans les Pyrénées-Orientales

André Trives, nous convie sur son terrain. Les parcelles et les serres s’alignent, mais ne se ressemblent pas. Légumes, arbres et plantes poussent, chacun à son rythme et sans ordre apparent pour un œil de néophyte. Au contraire ! André Trives explique la disposition précise des végétaux.

PERMACULTURE ELNE

L’agriculteur s’est d’abord lancé sur une surface de 1 000 m² appartenant à sa grand-mère. « Je suis content d’avoir commencé petit, parce que les bêtises que j’ai faites sur 1 000 m², je les aurais faites sur 1 hectare et ce n’est pas la même chose », admet André Trives.

C’est en 2017 qu’il loue 2 800 m² de terres supplémentaires. Il entame alors une régénération des sols. « En testant la terre avec la bêche, j’avais plus de chance de me la reprendre dans la tête tellement le sol était compacté », se souvient-il.

La terre, initialement pauvre en matière organique, est « travaillée avec soin ». L’utilisation de couverts végétaux, de fumier – prélevé dans le centre équestre voisin – et de broyat permet « d’enrichir progressivement la vie du sol. À l’époque, je n’avais pas vraiment de tracteur mais j’avais des idées. Donc j’ai fait rentrer un troupeau de brebis. Et on a fait du pâturage tournant dynamique. Elles sont venues coucher le couvert végétal. Nous voulons une agriculture subtile, une agriculture du vivant », affirme-t-il.

Le permaculteur prône une production durable et résiliente

Avec le temps, André Trives affine ses techniques. La matière organique est apportée sous forme de paillage. Puis les plantes sont choisies pour leur capacité à interagir entre elles. « On essaie de densifier au maximum. Et que chaque plante trouve sa place », explique-t-il en désignant ses plantations de moutarde japonaise, petits pois, ail et laitues chinoises.

Et ses efforts sont récompensés : en quelques années, l’épaisseur du sol s’est enrichie de 10 cm et la population de vers de terre est passée de 200 kg à 4 tonnes par hectare. André Trives insiste sur l’importance des micro-organismes et des mycorhizes* dans la nutrition des plantes.

« (Cette agriculture) c’est un peu le retour aux sources. Sauf qu’aujourd’hui, on a des connaissances scientifiques, notamment sur les micro-organismes, que nos ancêtres n’avaient pas. Avant, ils faisaient sans savoir exactement pourquoi », précise l’agriculteur.

PERMACULTURE ELNE

En plus d’être « zéro engrais », cette approche permet aussi d’importantes économies d’eau. En 2023, alors que la région subit des restrictions, sa ferme réduit sa consommation de 10 000 à 6 800 m³ par an sans perte de production. « J’arrose mes tomates deux fois, deux heures par semaine, et elles produisent autant. Juste parce que la plante est en confort et que le sol est vivant », souligne André Trives.

Un parcours semé d’embûches, mais riche d’enseignements

S’il est aujourd’hui capable de partager ses solutions avec un rythme digne d’un cours intensif en permaculture, c’est parce que ses erreurs l’ont construit. Des « loupés » qu’il souhaite éviter aux nouveaux venus grâce aux conseils distillés lors de la visite. André Trives avoue avoir connu des moments difficiles, comme son burn-out au début de l’installation. « J’étais plein d’euphorie. Mais sans tracteur, sans argent, j’ai vite compris que c’est compliqué », confie l’agriculteur.

Sa vie personnelle en a également souffert. André Trives met en garde contre les difficultés et insiste sur l’importance de partager son projet avec ses proches. « L’installation MSV a provoqué mon divorce. Quand tu rentres à la maison, tout excité, et que tu parles de vers de terre, mais que ta femme en face ne s’y intéresse pas, c’est un coup dur. Il faut être solide mentalement », explique-t-il.

Aujourd’hui, André Trives semble avoir réponse à toutes les questions posées par les participants, et plus encore. « C’est ma passion », sourit-il. « C’est bon pour la planète, et puis moi, je m’éclate à manger mes légumes ».

Un modèle en constante évolution

Aujourd’hui, André Trives gère deux structures : une SCEA* certifiée bio et une exploitation en nom propre sur les principes de l’agroécologie, mais sans certification. « Je n’utilise aucun produit de chez Monsanto. Si je dois intervenir, j’utilise des produits autorisés en bio, comme le Bt*** pour les chenilles ».

La distribution a évolué : avec 100 paniers par semaine, il assure 48 livraisons par an et collabore avec des restaurants, dont certains étoilés. « Les restaurateurs se rendent compte que les produits issus des sols vivants ont une vraie saveur ajoutée », affirme André Trives.

PERMACULTURE ELNE

Interrogé par plusieurs passionnés, sur les critères à prendre en compte pour une installation réussie, l’agriculteur en agroécologie insiste : « Il faut penser à l’eau, à l’électricité, aux chemins carrossables, à la présence de haies et à la proximité des ressources en matière organique avant de s’installer ».

Sans oublier l’importance, comme il l’aura martelé, des réseaux sociaux, pour l’autoformation et la communication. André Trives cite des ingénieurs agronomes et des YouTubeurs en permaculture à la pelle. « C’est grâce aux réseaux sociaux que j’ai pu vendre ma marchandise et me faire connaître ».

*La mycorhize est l’association symbiotique entre un champignon et les parties souterraines d’un végétal supérieur (ex. avec la truffe et le chêne).
**SCEA :  société civile d’exploitation agricole
***BT : Bacillus thuringiensis.

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Clément Bassot