Article mis à jour le 5 octobre 2025 à 09:12
Depuis le Gard, la fameuse « Aqua Domitia » pompe plusieurs millions de mètres cubes d’eau dans le Rhône. Ces 140 kilomètres de canalisations, intégrant le réseau régional hydraulique, s’arrêtent à l’Aude. Un projet d’extension pourrait « sauver » les Pyrénées-Orientales. Mais pas sans conditions. Photo d’ouverture : maillon du littoral audois – © G&C Deschamps
L’idée a été rejetée il y a près de vingt ans par les acteurs de notre département, dont les agriculteurs. « On a toujours eu de l’eau » clamaient certains anciens, même si les alertes des hydrogéologues remontent à près d’un demi-siècle. La crainte d’amener l’eau jusqu’à la concurrence espagnole circulait également, ou encore l’appréhension du financement.
Des volumes potentiels qui font rêver
La crise historique de notre ressource en eau amène les collectivités à réviser leur jugement. Nous avons besoin de quelque 30 millions de mètres cubes d’eau par an pour soulager nos nappes. Et si le tuyau du Rhône ne saurait être la solution unique, les volumes que la nouvelle version, surnommée « Aqua Domitia 2 », pourraient apporter, ont de quoi faire rêver. Cela dépasserait largement les autres projets en cours comme l’augmentation des prélèvements dans le karst des Corbières.
En clair près de 140 millions de mètres cubes annuels sont aujourd’hui pompés dans le Rhône et profitent déjà au Gard et à l’Hérault, plus marginalement à l’Aude. Il y aurait de la marge pour chercher environ 40 à 60 millions de mètres cubes supplémentaires, dont une partie, sans doute la plus importante, pourrait atteindre les Pyrénées-Orientales, tandis que le reste viendrait renforcer l’existant.
L’idée est à nouveau dans les tuyaux des chambres consulaires et des intercommunalités des Pyrénées-Orientales. Une étude de faisabilité appelée Aqua Littoral a été lancée par la Région. Cofinancée par l’Etat et les Départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales, cette étude de 300 000 euros a été entamée en mars dernier et devrait aboutir à la décision du prolongement en cette fin 2025. Viendra ensuite une autre étude, courant 2026, pour détailler les infrastructures, impliquant une large concertation avec les acteurs du territoire.
« Vous n’avez aujourd’hui plus un seul acteur qui ne se pose pas la question de l’eau » assure Christine Portero-Espert, directrice du plan de résilience pour l’eau des Pyrénées-Orientales. Si l’on en croit les délais de la précédente réalisation, on peut imaginer un chantier qui se termine en sept ans à l’issue de l’étude. À condition que l’État soit favorable.
Autour de 600 millions d’euros pour sécuriser notre eau
L’ensemble des travaux pourrait représenter environ 600 millions d’euros. Une goutte d’eau, considérant l’enjeu. Avec un système de pompes pour des remises en pression régulières dans le réseau, toute la plaine pourrait en bénéficier, jusqu’aux secteurs les plus en crise comme les Aspres.
L’Aqua Domitia nous sortirait-elle vraiment d’affaire ? Éviterait-elle le spectre, avancé par les techniciens les plus alarmistes, d’un département dont il faudrait déménager les habitants ? Pas si simple. Encore faut-il une entente des acteurs, pour le moins fragmentés, sur la répartition de cette eau dans le territoire. Avec une même eau à partager, impossible de jouer dans son coin, que ce soit par secteur géographique ou par usage. Christine Portero-Espert confirme l’Aqua Domitia a pour vocation de servir à l’irrigation et à l’eau potable à la fois. « C’est un outil de solidarité territoriale, et entre usages. »
Or, contrairement à l’Ariège et à d’autres départements, les Pyrénées-Orientales ne disposent pas d’une instance unique pour la gestion de la ressource en eau. Les compétences sont éclatées entre diverses communautés de communes. Toutes auront-elles le même regard sur cette précieuse manne ?
Parmi les causes de réserves possibles, une Aqua Domitia qui devrait être assortie de conditions par le ministère de l’Environnement. Leur teneur devrait être dévoilée d’ici novembre 2025. Non seulement l’État devrait réclamer un accord local sur la répartition, mais on peut déjà entrevoir que l’apport de l’eau du Rhône sera assorti de règles de sobriété et pourrait mettre à mal des projets urbanistiques locaux. Difficile de justifier un parc à thème, des lotissements, un Club Méditerranée au Barcarès qui consomme autant que 5000 habitants, un golf ou un plan d’eau de loisirs si l’on reçoit juste ce qu’il faut pour compenser les prélèvements existants.
Trouver un consensus entre des collectivités quand certains voudraient continuer à urbaniser
C’est toute l’idée de collectif et de bien commun qui est en jeu. Avec cet équilibre délicat dans lequel les Pyrénées-Orientales ne doivent pas avoir la défiance de Paris, et Paris ne doit pas mépriser les Pyrénées-Orientales. Pas de frein automatique à l’urbanisation, mais pour tout projet, explique la directrice du plan de résilience « il faut que le paramètre consommation en eau soit systématiquement dans l’équation. C’est clairement une exigence de l’État. »
À l’inverse, certaines collectivités des côtes méditerranéennes réfléchiraient déjà à des solutions bien plus onéreuses, comme la dessalinisation. En soi ces dispositifs ont un intérêt pour passer certains coups de sécheresse estivaux. Mais ils pourraient aussi servir à contrôler l’eau sans devoir céder à des conditions environnementales. Ou en faire un outil politique à la discrétion de quelques-uns.
Si l’eau du Rhône n’atteindra jamais le coût d’une eau dessalée, elle pourrait néanmoins être facturée par l’opérateur et donc amener une légère augmentation du prix final, à la manière des eaux dites de « réut » venant des stations d’épurations qui sont facturées aux irrigants.
« Ces sujets seront mis sur la table »
Reste à savoir si l’eau de nos retenues, pour le moment cédée gratuitement aux ASA, intégrerait ce réseau régional et deviendrait payante à son tour. Pour le moment rien n’est écarté selon les autorités qui se penchent sur le projet. « Ces sujets seront mis sur la table » assure Christine Portero-Espert.
Pourquoi pas, également, alimenter la retenue de Villeneuve-de-la-Raho avec l’eau du Rhône ? Cela rendrait caduc le projet de sécurisation envisagé avec un tuyau entre Vinça et Villeneuve. De quoi investir ailleurs les dizaines de millions d’euros prévus.
Enfin aucun tracé n’a encore été déterminé et plusieurs points de passages vont être envisagés. Des zones déjà étudiées, comme le couloir pour le futur TGV, pourraient être intégrées dans l’étude.
Les effets de l’Aqua Domitia sur les autres départements :
La première phase d’Aqua Domitia, achevée en 2016, a d’abord permis l’irrigation de 2000 nouveaux hectares dans le Gard et l’Hérault, mais a aussi sécurisé l’eau potable de 25 communes entre Sète et le Grand Narbonne, ce qui représente plus de 600 000 personnes en été. Presque dix ans plus tard, l’alimentation en eau potable est montée à l’équivalent de 1,5 millions d’habitants et l’irrigation à près de 6500 hectares. Les usages sont répartis entre 40 % pour l’irrigation, 40 % pour le potable et 20 % pour la préservation des milieux. Le financement de 220 millions d’euros a été partagé entre la Région, les Départements et intercommunalités concernées, et l’opérateur BRL.
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