Article mis à jour le 4 décembre 2025 à 13:24
Made in Perpignan traite depuis son émergence l’épidémie de dermatose nodulaire contagieuse qui sévit dans les Pyrénées-Orientales. Cette fois, nous vous livrons le récit de l’intérieur de l’abattage d’un troupeau. Ce troupeau, c’était celui d’Orensie, éleveuse installée à Prats-de-Mollo dans le Haut Vallespir. Ses 42 vaches ont toutes été tuées, ce mercredi 3 décembre. Un seul cas positif avait été diagnostiqué. Il a justifié l’abattage de tous les autres animaux. Lors de leur mise à mort, ils étaient pourtant vaccinés depuis 28 jours. Reportage.
Les vaches sont déjà réveillées. Debout, elles attendent dans les premiers rayons du jour que quelqu’un vienne leur apporter du foin et de l’enrubanné. A quelques centaines de mètres, en contrebas, les humains sont encore à l’abri du froid mordant. Dans le mas d’Orensie Sunyach, éleveuse de vaches allaitantes, l’ambiance est pesante, suspendue. Chacun regarde le fond de sa tasse de café et repousse le moment. Ce moment où il va falloir y aller : nourrir les bêtes pour ce qui sera leur dernier repas.

A 7h30, Orensie sort de sa maison. Interloquée, elle découvre une vingtaine de gendarmes postés dans son jardin. La tension monte d’un cran. « C’était à 9h que vous deviez arriver ! Je ne veux pas voir un seul véhicule monter près de mes vaches ! » L’éleveuse le martèle : elle veut que tout le monde respecte ses bêtes. « On va leur mettre à manger. J’en ai pour une heure à faire mon petit train-train, tranquille, comme d’habitude. C’est important qu’on respecte ça, pour que les bêtes ne soient pas stressées. Je veux qu’on respecte au moins ça ! Parce que moi, clairement, on ne m’a pas respectée ! ».
Un abattage décrété en moins de 24 heures
Orensie Sunyach est encore sous le choc. En moins de 24h, sa vie entière a été bouleversée. Le vendredi 28 novembre, deux nodules sont apparus sur les mamelles de l’une de ses vaches. Après analyse en laboratoire, le verdict tombe et révèle que la bête est positive à la dermatose nodulaire contagieuse (DNC Bovine). On lui annonce que son troupeau va être abattu. Depuis, elle n’a plus de nouvelles. Malgré des appels en tous sens, elle n’a aucune information concrète sur la suite. Il lui faut attendre le mardi 2 décembre et un rendez-vous fixé avec la Direction départementale de la protection des populations (un service relevant de la préfecture) pour découvrir que son monde s’effondre : non seulement c’est la totalité de son troupeau qui va être « dépeuplé » mais en plus, l’abattage aura lieu… dès le lendemain matin. Une course contre la montre s’engage immédiatement.
L’éleveuse s’appuie sur sa sœur, Ophélie Sunyach, fonctionnaire dans le service urbanisme d’une collectivité. Sa connaissance des procédures et des rouages de l’administration permettent aux deux soeurs de déposer dans des temps records un recours et un référé liberté. Le référé liberté n’est pas suspensif ni concluant dans les temps. Le recours, quant à lui, ne sera jugé que… le 22 décembre.
« C’est inhumain, confie Ophélie. Moi aussi, mon métier est d’appliquer la loi. Donc je suis très bien placée pour le savoir : on peut garder un visage humain ! Mais ici, la DDPP se contente de dire : ‘de toute façon vous serez indemnisée et vous recommencerez’, c’est abject ce qu’ils font ».
Une fois les vaches nourries, un premier camion monte. Dépêché sur place par la mairie de Prats-de-Mollo, il apporte des barrières métalliques. Deux éleveurs arrivent également en 4×4. Mandatés par la Chambre d’agriculture, ils sont chargés d’expertiser les animaux pour estimer la valeur du troupeau. Ce rôle est normalement dévolu à un expert. Cette fois, l’opération d’abattage s’est décidée tellement rapidement qu’aucun d’eux n’a pu se rendre disponible.

Alors qu’ils prennent le temps de regarder chaque animal, les deux éleveurs précisent que la réalité administrative ne correspond en rien à la réalité paysanne. « Comme si la valeur d’un troupeau se limitait à la somme des carcasses de chaque animal…, lâche l’un des deux hommes. Dans des élevages extensifs comme ceux des Pyrénées-Orientales, les animaux sont adaptés au territoire, elles connaissent les chemins des pâturages d’estive, les points d’eau et savent se repérer dans les massifs, c’est inestimable ça ! ». Une valeur immatérielle qui sera détruite en quelques heures seulement.
La sous-préfète de Céret vivement interpellée
En milieu de matinée, tout est prêt. Les secondes s’égrènent et le contraste est sidérant entre la beauté de ce cadre montagneux et la violence des opérations à venir. L’éleveuse, ses proches et les rares personnes présentes attendent maintenant les agents chargés de l’abattage. On distribue des gobelets de café chaud. C’est le moment que choisit la sous-préfète de l’arrondissement de Céret, Clara Thomas, pour faire une apparition, avec quatre gendarmes sur les talons. L’accueil est glacial.
« Ouais c’est ça, qu’elle vienne voir, qu’elle vienne salir ses santiags », lâche un ami de la famille en pointant les bottes de cuir blanc immaculées de la représentante de l’Etat. Orensie, l’éleveuse, interpelle ensuite vivement Clara Thomas : « Regardez-les mes vaches ! Regardez-les bien ! Il n’y en a pas une en mauvais état ! ».
La sous-préfète tente de répondre que c’est l’application de la politique sanitaire… Elle est immédiatement rabrouée : « On n’en a rien à foutre de cette politique sanitaire européenne ! Toute la réglementation vise à préserver les marchés et les exportations. Nous, sur cette exploitation, on vend exclusivement en local et en circuit court, à des clients des Pyrénées-Orientales. Mais on ne nous considère pas. On ne nous respecte pas. Ce sont des décisions qui ont un impact grave sur la vie des gens. Il vient de là le mal-être agricole ! ». Pour Orensie, pas de doute : « Tous ces abattages sont tellement inhumains que le résultat est connu d’avance. Désormais, des éleveurs vont cacher des nodules ! ». La sous-préfète n’insiste pas et s’éclipse rapidement.
Les gendarmes tentent d’empêcher les photos
Les opérations vont pouvoir démarrer. Deux vétérinaires arrivent et préparent les produits. Les animaux sont calmes. Les humains aussi. Deux gendarmes sont présents, au plus près. Une dizaine d’autres se tiennent en retrait, visiblement vigilants. Six agents de la DDPP, complètent le dispositif. Ils s’équipent de la tête aux pieds (combinaison, charlotte, couvre-bottes…) et surveillent scrupuleusement les opérations. Une personne de la MSA, la sécurité sociale agricole, propose soutien et information à l’éleveuse. Ce n’est pas le moment, lui assène Orensie.
Soudain, les gendarmes s’agitent. Un drone émerge dans le ciel. Les forces de l’ordre tentent de repérer si quelqu’un dans l’assistance en est le pilote. Suspicieux, ils scrutent les mains de chacun. La plus haut-gradée explique à l’assistance que « les images sont formellement interdites et la moindre photo ou vidéo montrant un agent de l’Etat fera l’objet d’une plainte ». Documenter la façon dont les animaux sont mis à mort dans nos zones rurales serait donc interdit ? Peut-on accepter un simple « circulez, il n’y a rien à voir » ? Ou bien peut on peut considérer qu’il faut regarder en face les impacts d’une doctrine d’éradication de la DNC, qui interroge et met à genoux des familles entières.

Au même moment, les bovins passent dans le couloir par petits groupes. Les vétérinaires leur administrent une injection de sédatif. Les vaches sortent un peu plus loin, dans un parc aménagé de hautes barrières mobiles. Il faut une dizaine de minutes pour que le produit fasse effet. Les animaux bavent, titubent et finissent par se coucher, vaincus. La scène est difficile, parfois insoutenable. Une fois au sol, les bêtes reçoivent une seconde injection. Létale.
Et soudain, plus un bruit
Un agent de la DDPP marque alors d’une croix peinte à la bombe les animaux piqués. Un autre vérifie s’ils sont bien morts. Un troisième entoure alors la croix d’un grand cercle. L’animal est officiellement abattu, la case est cochée.

Les bruits s’estompent. Déjà, les meuglements et les sons de cloche ont disparu. Les humains aussi se taisent. C’est terminé : 42 vaches gisent au sol. Un silence total se fait, même les oiseaux semblent avoir disparu. Plus tard, un tractopelle et des camions amèneront les cadavres à l’équarrissage. Enfin, une société chargée de tout désinfecter, carcasses et matériel, passera mettre un point final aux opérations.
Avant de repartir en direction de sa maison, Orensie prend le temps de donner une caresse à chacune de ses bêtes. Le plus dur commence maintenant.
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