[Série « L’IA dans tous ses états », épisode 4] Depuis quelques mois, une galaxie de start-ups et de prestataires surfe la vague de l’intelligence artificielle. Certaines exploitent un effet mode et proposent ce que les patrons sauront bientôt réaliser eux-mêmes. D’autres apportent une expertise et changent la face de l’entrepreneuriat. Enfin des salariés se saisissent eux-mêmes de l’outil pour amener une plus-value à leur poste. Regards croisés. Photo d’illustration © Alex Kotliarskyi – Unsplash
Les avantages de l’intelligence artificielle en matière de santé sont notoires depuis quelques années. Dans les cliniques Elsan de Perpignan et Cabestany, médecins radiologues l’exploitent toujours davantage, en particulier en matière d’imagerie médicale. En comparant les radios et autres IRM à une base de données, l’IA permet des détections précoces et des diagnostics dépassant les capacités humaines. Mais la santé n’est que le sommet d’un iceberg : tout le secteur privé se voit proposer des solutions à base d’intelligence artificielle.
L’IA pourrait devenir horriblement chère une fois que nous serons tous accros
Après avoir été chercheur et enseignant dans l’informatique, François Pacull propose du conseil en entreprise dans les Pyrénées-Orientales. Il rappelle que l’IA et l’entreprise n’ont rien d’une histoire d’amour récente. « J’ai commencé à voir arriver l’IA dans l’informatique en 1986. Dans les années 1990, pour Xerox, on avait des outils pour dégager quelle était l’intention d’un texte. » Plus tard, quand il travaillait chez Caustier, François Pacull a suivi le développement d’une IA qui triait les fruits selon leurs défauts.
« Pour l’IA, il y a eu des moments d’euphorie et des moments où on n’en entend plus parler. » Il évoque aussi, à Perpignan, l’entreprise Verréo utilisant l’IA pour identifier l’origine des bouchons de vin qu’elle collecte et valorise.
Selon François Pacull, c’est la puissance de calcul et la quantité de data qui est en train de tout changer. « On se trouve dans un pic où tout ce qui est sur internet est récupéré. » Mais cette puissance aurait des coûts colossaux qui ne seraient pas encore répercutés sur le grand public.
« Ça va se déclencher quand tout le monde sera bien ferré. Les modèles gratuits seront très limités. Les modèles complexes seront beaucoup, beaucoup plus chers. »
François Pacull entrevoit un autre risque dans les entreprises, la fin des stagiaires et des juniors, dont les tâches simples pourraient être confiées à l’IA. Par exemple, la recherche de jurisprudences dans un cabinet d’avocats. « Nous allons arriver à un moment où il n’y aura plus personne pour prendre le relais des seniors. »
En attendant, certains saisissent l’opportunité de l’IA pour lancer leur start-up. C’est le cas de Vincent Coderch, qui après un master en informatique à l’IMERIR de Perpignan, finalise son projet à l’incubateur UPVD In Cube. Pour lui le terme « intelligence artificielle » est un abus de langage, nulle question d’intelligence. « Cela reste toujours algorithmique, c’est de la génération de solutions basée sur les grands nombres. On récompense l’algorithme chaque fois qu’on le voit prendre une bonne décision, c’est le fameux entraînement. »
Des start-ups de conseil fleurissent sur les Pyrénées-Orientales pour proposer de l’automatisation de tâches
Enthousiaste, Vincent Coderch ne voit pas l’IA comme une menace. « C’est là pour faciliter la vie des gens. » C’est précisément l’objectif de sa start-up, créée avec un associé, qui vise à automatiser des processus en intégrant des modèles génératifs, basés notamment sur la solution française « Le Chat » du groupe Mistral. « On met en place des workflows, ce sont des scénarios de la vie courante des entreprises. Ressources humaines, facturation, gestion d’un fichier client… » En somme, tout le rébarbatif. Pour le jeune créateur, pas question de supprimer des emplois.
« Le but est d’enlever les huit heures hebdomadaires de remplissage d’un tableau Excel et de consacrer ce temps à générer une valeur métier pour l’entreprise. »
Ainsi l’IA pourrait trier les mails d’une grande société non plus par mots-clés mais en interprétant de manière fine la signification du texte. Vincent Coderch compte lancer la start-up dès septembre et réaliser des prestations auprès d’entreprises de la région, mais aussi de la formation. « J’aimerais essayer de rendre compétitif le secteur perpignanais. » Mais il a déjà de la concurrence. « D’autres entreprises se sont créées ou sont en cours de création. »
Quand le robot fournit du code aux développeurs… ou à la place des développeurs
Gabriel Bara est de son côté développeur pour une grande entreprise industrielle de Perpignan. Il réalise notamment des projets en réalité augmentée permettant de visualiser les produits. C’est après sa formation qu’il a découvert que les intelligences génératives savaient fournir le langage codé qu’auparavant il devait apprendre et taper. « Au fil des mois, ça augmente en qualité. Au début, c’était limité. Maintenant, il y a des modèles capables de sortir des scripts gigantesques où il n’y a rien à retoucher. » Il s’interroge sur la valeur de son cursus.
« Je me suis demandé si j’avais gâché une année de ma vie à apprendre quelque chose qui va être géré par des ordis. »
Par la force des choses, le jeune développeur s’adapte et tente de trouver un compromis avec un usage raisonné des intelligences artificielles et une préservation de la touche humaine. « Il faut bien que je travaille. Des compétences se perdent, laissent la place à d’autres. Je ne sais pas faire un feu avec une corde et un bout de bois, mais je connais le théorème de Pythagore. ». Gabriel évoque des collègues de promo qui n’utilisent plus que du code fourni par IA et s’interroge sur la viabilité d’une pratique exclusivement confiée à la machine.
Selon Gabriel Bara, le génératif est sorti trop tôt avec une course lancée Open AI pour devancer des concurrents. Mais à l’origine, tous ces travaux faisaient partie d’un projet plus vaste et à plus long terme, appelé IAG pour Intelligence Artificielle Générale, un système de pensée complexe écarté par la précipitation actuelle. Peut-être la prochaine étape dans nos milieux professionnels…
Et si au lieu de circuler à l’autre bout du monde, l’IA pouvait être confinée dans une cage tout près de Perpignan ?
Au cœur de ces bouleversements, certains spécialistes s’efforcent de ramener de la proximité dans l’IA. C’est le cas de Vincent Podlunsek, créateur d’un data center au Boulou et proche de lancer sa solution « Lestac AI. » Pour lui, retrouver une souveraineté face aux géants américains est essentiel.
« Nous avons en France les meilleurs docteurs et chercheurs en IA. Ils partent travailler aux États Unis, parce qu’en France on ne sait pas investir. »
Selon le spécialiste de la cybersécurité, les clouds et intelligences outre-atlantique menacent la la protection des contenus appartenant aux entreprises de la région. « On risque de perdre de la créativité. »
Pour Vincent Podlunsek, il convient de s’approprier des IA open source au niveau local et d’y maintenir les données sensibles. C’est l’idée au cœur de Lestac AI, qui accueille déjà plusieurs partenaires sous la forme d’une coopérative. Les coopérateurs financent en commun le matériel, les fameux GPU, c’est-à-dire des processeurs issus de cartes graphiques, pour obtenir la puissance de calcul.
Le système informatique utilise ensuite des agents IA programmés à partir de différentes solutions open source, pour répondre à des besoins d’entreprises, comme la production de béton pour l’un des partenaires. Compter 500 euros par mois pour être coopérateur. Une somme qui, selon Vincent Podlunsek serait vite compensée par le temps gagné dans la gestion de l’entreprise. Reste à convaincre les locaux de rester… local.
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