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Portrait de Rebecca Bouillou, directrice de la Casa Musicale à Perpignan : « S’il n’y a pas de vie culturelle, il n’y a pas d’humanité »

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Lieu de rencontres et de pratiques artistiques, la Casa Musicale, créée en 1996 à Perpignan, est aujourd’hui incontournable. Rebecca Bouillou entame sa quatrième année à la tête de l’institution. Un poste qui est nécessairement une passion, car on n’y compte ni les heures ni les activités. Mais surtout, Rebecca est le produit d’un parcours avec ce fil conducteur, parfois semé d’embûches : rendre la culture accessible à tous. Photo © Océane Boulogne.

« Je suis un pur produit du déterminisme social et culturel » plaisante Rebecca Bouillou, au souvenir de ses parents qui l’initient aux spectacles en région parisienne. « Mon père m’a fait découvrir le Royal Deluxe, m’a emmené voir du flamenco en plein air, de l’opéra, des musées… » Sans oublier la séance cinéma rituelle du dimanche soir. En somme, il y a déjà quelque chose dans l’air…

Tout n’est pas immédiatement tracé cependant. Rebecca Bouillou fait d’abord un DEA en lettres modernes afin de travailler comme prof de français dans l’enseignement spécialisé. Mais lors d’un stage où elle veut emmener des élèves handicapés au théâtre de l’Odéon, son projet est retoqué, et Rebecca commence à se questionner sur sa voie.

Elle trouve son chemin, ou bien son chemin la trouve, alors qu’elle vend de la vaisselle au BHV lors d’un job d’été. Elle y rencontre une amie qui fait des études de conception de projet culturel. « C’était exactement ce que j’avais envie de faire. Je suis revenue deux ans en arrière, pour faire cette formation. »

Une place en or à la Villette

À l’issue de ce nouveau cursus, dans son premier emploi dans un CAT culturel, elle met en œuvre son projet de fin d’études, le handicap adapté aux arts de la rue. « J’ai créé un petit festival en milieu rural, avec les artistes du CAT. » En 2005, Rebecca a la chance d’être retenue comme chef de projet adjointe pour les Rencontres de la Villette. « C’était le premier festival des cultures urbaines, hip-hop, qui se déroulait pendant deux semaines. C’est devenu un énorme festival pluridisciplinaire. »

Toute l’année, Rebecca sillonne les routes pour repérer des spectacles et faire la programmation du festival. « J’avais un job en or. » Elle se souvient de cette adrénaline à l’approche de la date, quand il faut coordonner les équipes, gérer les pressions. Elle travaillera aussi à l’évènementiel autour de l’Euro de foot et au projet « Micro-Folie », des musées numériques déployés dans les médiathèques des territoires, dont Perpignan.

Pour autant, Rebecca lutte contre le cliché de territoires qui seraient « éloignés » de la culture. « Personne n’est éloigné de la culture parce que les cultures sont partout. Il faut les reconnaître et créer des espaces qui permettent de les porter, de les valoriser. »

Avant son arrivée à Perpignan, Rebecca Bouillou passera trois ans au Maroc, comme directrice de l’Institut Français d’Agadir. Au-delà des cours de langue, elle construit une programmation culturelle pour faire circuler les artistes entre la France et le Maroc. « Faire de la coopération, c’est comprendre ce qui se passe dans l’environnement de l’autre. Il faut avoir beaucoup d’humilité. Il y a une jeunesse marocaine qui aujourd’hui se soulève, et avec laquelle j’ai cohabité pendant trois ans. »

Un public surgi de nulle part dans le désert marocain

Ce temps marocain confirme son credo à Rebecca. « Il y a de la créativité partout. S’il n’y a pas de vie culturelle, il n’y a pas d’humanité. » Elle se souvient de son projet de caravane culturelle avec un départ dans la petite ville de Foum Zguid. « On m’a dit ‘arrête, c’est à huit heures de route, en plein désert.’ » Quand les musiciens arrivent sur place, il n’y a personne, hormis la presse conviée. « Je me suis dit ‘mais qu’est-ce qu’on fait ici ?’ ». Mais à la nuit tombée, les gens sont sortis de partout. Je ne sais pas comment ils ont eu l’info. Ce désert est peuplé, et on a eu plus de mille personnes. L’envie de culture est partout. »

De retour du Maroc, Rebecca Bouillou souhaite se rapprocher des racines catalanes de son conjoint. Elle est alors retenue pour prendre la suite de Michel Vallet à la tête de la Casa Musicale.

« Il y a très peu de lieux comme la Casa, en France, qui accompagnent la création avec cette dimension aussi mixte, avec des évènements gratuits, des ateliers abordables. »

Elle prend pour exemple l’atelier rap mené par l’intervenante Sabah où l’on retrouve ensemble garçons et filles, collégiens et adultes. « L’accessibilité n’est pas que tarifaire, c’est aussi l’écoute, la disponibilité. »

Réinventer Ida y Vuelta à l’heure de tous les festivals

L’évènement phare, le festival gratuit Ida y Vuelta, voit en revanche un infléchissement. « Quand cela a été créé il y a près de 30 ans, l’idée était d’amener des artistes extraordinaires que personne n’aurait eu l’occasion de voir autrement. Sauf qu’aujourd’hui, il y a des festivals partout dans les Pyrénées-Orientales. » Désormais, l’équipe souhaite recentrer le festival sur les artistes soutenus par la Casa Musicale.

« C’est le public le plus mixte. Tout le monde s’y donne rendez-vous, quelques soit l’âge, l’origine sociale ou géographique… il y a une telle bonne ambiance qu’on a juste envie d’être ensemble. »

IDA Y VUELTA 2025

La Casa intervient aussi dans les établissements scolaires et structures socioculturelles. Le tout avec un effectif de 14 personnes seulement. « On n’est jamais assez, on déploie une énergie folle. »

Une grosse machine, et des lendemains culturels qui vacillent dans un monde où la rentabilité tend à prendre le pas sur l’intérêt public. « Tout le milieu associatif est inquiet de la raréfaction des budgets. » La culture n’a jamais dépassé 1% du budget de l’État, malgré une incidence positive qui pèserait plus que l’industrie automobile.

« Là où je suis très inquiète, c’est qu’au sortir de la deuxième Guerre Mondiale, la France a brillé par son exception culturelle, elle a créé un ministère de la Culture qui est le fruit de luttes, d’acquis sociaux. Aujourd’hui, on n’en est plus à savoir si la culture aura plus de moyens ou non, on est en train d’attaquer ce modèle même. »

Rebecca Bouillou évoque la remise en question d’une culture subventionnée, avec des collectivités de tous bords qui coupent des budgets, comme ce qui s’est passé dans l’Hérault, les Pays de la Loire, ou en Auvergne-Rhône-Alpes …

« La culture permet de grandir en découvrant que le monde est multiple »

La logique de rentabilité menace de détricoter le monde de la culture comme celui de l’éducation, du social, de la santé ou du sport. « Pendant le Covid le secteur culturel n’a pas été jugé essentiel, alors qu’il permet de relier les gens et de grandir en découvrant que le monde est multiple. » Rebecca évoque ce projet avec des élèves du collège Jean Moulin, dont de jeunes gitans, dans la création d’une chanson avec les artistes Samadoss et Delf.

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Rebecca Bouillou et Mambo Saadna lors de l’organisation du festival D’A Sant Jaume Sem

Avec le soutien des collectivités mais aussi du tout récent club des mécènes et partenaires, Rebecca Bouillou a un objectif clair pour la Casa Musicale dans les années à venir : tenir bon la barre, éviter de rogner sur la moindre activité, continuer, contre vents et marées, à proposer ateliers et évènements pour le plus grand nombre.

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