Article mis à jour le 28 juin 2023 à 08:01
Ce 26 juin 2023, la voiture file sur l’A9 direction Carcassonne, ravis à l’idée de découvrir Bob Dylan sur la magnifique scène de la Cité. Particularité de la tournée de l’artiste, les concerts sont «phone free». Accros à nos téléphones portables, nous appréhendons néanmoins l’idée de nous passer de cette technologie durant toute la soirée. Retour sur ce moment avec Bob Dylan au festival de Carcassonne.
Dès l’ouverture de la billetterie, nous avions acquis nos précieux billets pour savourer ce qui s’annonçait comme l’une des dernières tournées du maître de la musique folk. Du haut de ses 82 ans, le prix Nobel de littérature se produit encore sur les scènes du monde entier.
Les concerts de Bob Dylan sont «phone free»
Arrivés à l’entrée de l’amphithéâtre, scène du concert, nous devons dire adieu pour quelques heures à notre téléphone. Cet outil du quotidien, mais qui nous rend tellement addicts de choses aussi futiles que les réseaux sociaux. Autant vous dire qu’en tant que journalistes, nous avons même oublié comment éteindre notre téléphone.
On nous avait annoncé la couleur, les concerts de Bob Dylan sont «phone free», comprendre sans téléphone. Une demande de la production qui considère que «nos yeux s’ouvrent un peu plus et nos sens sont légèrement plus aiguisés lorsque nous perdons la béquille technologique à laquelle nous nous sommes habitués». Le concept est simple : à l’entrée du concert, le personnel ouvre une pochette à l’intérieur de laquelle nous glissons nos smartphones. Refermée via un dispositif type antivol de magasin, la pochette nous est restituée et ne pourra être ouverte qu’à l’aide de l’outil idoine à l’issue du concert. Après avoir dit «au revoir» à la fois à notre outil de travail et de divertissement, nous ressentons comme un léger pincement au cœur. Mais nous sommes rassurés de savoir qu’en cas d’urgence une zone dédiée à l’usage du téléphone est disponible.
En attendant Bob Dylan
Autour de nous, installé au 2e rang, un fan de la première heure de l’icône folk, à peine plus jeune que l’artiste, nous prévient. «J’espère qu’il va pouvoir assurer tout son show. Tout va dépendre de son état de santé, il peut faire trois heures de concert, comme seulement une heure.» Nous voilà prévenus, à 82 ans, on n’a pas l’énergie de ses jeunes années.
Dans le public, beaucoup de cheveux grisonnants, mais l’œil toujours vif, et surtout impatients de découvrir ou redécouvrir l’artiste qui a inspiré David Bowie ou Bruce Springsteen. Parfois, aux côtés d’une personne à l’âge d’être grand-parent, est assis un ou une jeune fille. On imagine la transmission générationnelle de la passion pour l’œuvre de celui qu’ils appellent sobrement «Bob».
Avant l’arrivée de Bob sur scène, une multitude d’instruments est déjà installée, un splendide piano à queue noir, où l’on imagine que la star prendra place. Batterie, basses et autres guitares attendent d’être saisies fermement par les mains des musiciens de Dylan. Assis derrière sa console en bord de scène, le régisseur mâchouille un chewing-gum qu’il gardera tout le long du concert. Un rideau noir plante le décor de cette scène qui trône dans l’écrin hors du temps offert par la cité médiévale de Carcassonne.
Les cinq men in black de Bob Dylan
À 21h35, les lumières du show éclairent désormais le rideau de fond qui devient rouge sang. Cinq hommes tout de noir vêtus entrent en scène entourant, tels des gardes du corps, l’artiste à la démarche hésitante. Bob Dylan s’installe au piano et chacun se saisit de son instrument. Pas d’introduction, pas de bonjour, Bob Dylan nous met dans l’ambiance de son dernier album «Rough and Rowdy Ways» sorti en 2020. Le 39e opus de l’artiste a reçu une critique dithyrambique de la part des médias. Le magazine français Rock and Folk l’a même classé parmi les 666 titres incontournables de tous les temps.
Le public est heureux, les plus motivés applaudissent à tout rompre ; même si l’on devine que l’arthrose de certaines mains empêche les applaudissements plus longs. Bref, le concert de Bob Dylan à Carcassonne débute avec l’espoir pour les fans de revivre sur scène un bout de leur jeunesse. Les chansons s’enchaînent et l’artiste n’adresse que quelques rares regards en direction d’un public qui attend un signe. Signe qui ne viendra pas. Bob Dylan a fait le choix de ne pas interagir avec le public carcassonnais venu de toute l’Europe pour l’écouter.
Au fil des chansons, les paupières de certains se font lourdes, les applaudissements rares, et les corps s’appesantissent sur les sièges inconfortables pour des corps fatigués. Sur scène, rien ne bouge hormis les mains des musiciens et Bob Dylan qui parfois se lève de son piano pour aligner les phrases de ses poèmes musicaux. Après seulement 30 minutes de concert, et alors que sonnent les coups de dix heures du soir, le public attend toujours que l’artiste joue ses plus grands standards. Les chansons les plus connues du chanteur peuvent s’adapter à l’âge de ses cordes vocales imaginent les fans. Mais non, Bob Dylan ne dérogera pas à l’annonce faite avant la tournée, il défendra seulement son dernier album.
L’harmonica de Bob Dylan sur la scène du festival de Carcassonne
Parfois, Bob joue un solo d’harmonica ce qui ragaillardit le public pour quelques minutes. Mais quand onze heures sonnent et que le ciel d’été est éclairé par une demi-lune, l’auditoire semble avoir fait le deuil du concert qu’ils avaient rêvé en même temps que celui de leur jeunesse envolée. Certains choisissent carrément de quitter la salle. Avant de partir, une dame s’approche de la scène visiblement en colère. Elle balance le programme accompagné d’un sonore «shut up» à l’attention des artistes. Elle sera rapidement raccompagnée par la sortie par la sécurité.
Vers 23h10, Bob Dylan commence à présenter ses acolytes, ce sera le seul moment où il s’adressera au public. Ça sent la fin du concert, et les plus indulgents espèrent encore que l’artiste jouera sa plus grande chanson, «Like a Rolling Stone». Que nenni, à la fin du spectacle, les six hommes saluent le public et quittent la scène aussi discrètement qu’ils étaient entrés. Après quelques hésitations et tentatives de rappel, la lumière de la salle marque la fin définitive du concert et révèle des mines parfois sombres et déçues de la prestation. Deux amies se remémorent la tournée d’adieu de Joan Baez en 2019 à 78 ans. «Elle est de la même génération, et c’était quand même autre chose».
Une question nous assaille, tant l’artiste n’a pas semblé prendre plaisir à partager son art : pourquoi poursuit-il la tournée des salles ? Plus le temps de niaiser, nous nous pressons de rejoindre la sortie afin de libérer notre téléphone de sa cage virtuelle et de vérifier si le monde ne s’est pas arrêté de tourner pendant que nous étions déconnectés. Ouf, tout va bien, et la vie peut reprendre son cours. Et on profitera des classiques de Bob Dylan sur Spotify.
Image de une, illustration fournie par le Festival de Carcassonne.
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