Article mis à jour le 24 novembre 2025 à 10:18
L’année n’est pas encore terminée que le nombre de redressements judiciaires pour les entreprises des Pyrénées-Orientales a déjà explosé. De janvier à octobre, le nombre de redressements est déjà 31,76 % supérieur à celui de toute l’année 2024, avec 112 procédures contre 85. En Occitanie, les défaillances d’entreprises sont en hausse de 4 % entre le troisième trimestre 2025 et le troisième trimestre 2024. Germain Moreno, président du Tribunal de Commerce de Perpignan, fait le point.
Sur les Pyrénées-Orientales, le nombre de liquidations, à savoir de procédures qui mettent fin à l’activité, semble de son côté en légère baisse avec -14,17 %. Mais ce chiffre n’est guère révélateur car l’année passée a vu se clôturer beaucoup des défaillances d’entreprises assommées pendant la période Covid.
« L’an dernier, beaucoup d’entreprises étaient à bout de souffle et auraient dû fermer depuis belle lurette. »
La hausse des redressements, mais aussi des plans de sauvegarde (+ 20 %), procédures où l’entreprise est proche de la cessation de paiements mais encore en activité, est en revanche bien plus symptomatique des difficultés actuelles, dans un département qui bat des records de pauvreté.
Des fonds de roulement grignotés
« On est de plus en plus en tension » explique Germain Moreno. « L’activité est morose, on n’a pas de balises et les chefs d’entreprise ont l’impression d’être livrés à eux-mêmes. » Les causes des redressements sont toujours les mêmes. Il s’agit moins d’un manque de commandes que d’une disparition du fonds de roulement.
« L’activité est toujours là, plus ou moins. Mais il y a ces sociétés qui avaient pignon sur rue et qui ont tiré sur la trésorerie. À un moment donné, elles n’en peuvent plus. » Le secteur de la construction est le plus touché, suivi par l’hébergement et la restauration. « Il y a encore de la commande publique, mais il y a 60 jours minimum de délai pour se faire payer. »
Commerces, garages automobiles figurent aussi dans la liste. Enfin, la baisse des aides a impacté le secteur de l’énergie renouvelable. « Le photovoltaïque a plongé. »
Sur 469 ouvertures de dossiers au tribunal de commerce de Perpignan entre le 1er janvier et le 31 octobre 2025, 252 concernent des entreprises sans aucun salarié, et 191 des entreprises comptant entre un et dix salariés. 23 ont plus de 10 salariés, deux en ont plus de 50 et une seule plus de 100. En clair, les petits sont les plus exposés.

Autre indicateur, les radiations du registre des entreprises qui augmentent en 2025. Elles excèdent même le nombre de créations s’agissant des sociétés commerciales, ou encore des agents commerciaux. Quant aux entreprises personnelles, qui incluent les micro-entreprises, il s’en crée pour le moment plus qu’il n’en disparaît, mais l’écart se réduit et le nombre de radiations en la matière a plus que doublé cette année.
Peut-on sauver les entreprises défaillantes ?
Les 25 juges du tribunal de commerce sont bénévoles, ne comptent pas les heures, et agissent rapidement malgré les piles de dossiers. Chaque situation est urgente. Pour Germain Moreno, la gratification est de parvenir à sauver à temps une entreprise. La clé ? La précocité et passer par des conciliations bien avant d’en arriver au redressement.
« On peut négocier avec les impôts, les banques, l’URSSAF, les fournisseurs… C’est notre sérieux qui fait accepter des étalements. »
Le taux de réussite atteint 70 % en conciliation. « On peut étaler des dettes sur dix ans, c’est déjà pas mal. » Cette année, Germain Moreno a mené à lui seul 32 actions de prévention à l’amiable (mandats ad hoc, conciliations), contre 24 l’année dernière. « On a des effets de levier pour passer le cap. » Mais surtout il y a une dimension psychologique quand on ose enfin demander de l’aide. Le tout est de franchir le pas avant les impayés.
Quand la vie personnelle est bousculée par l’effondrement du professionnel
« On se dit tout. Dans 90 % des cas, les entrepreneurs sont caution de leur emprunt. Cela veut dire que leur maison est en jeu. Les trois quarts du temps, il y a des divorces, tout part en vrille. On parle de chefs d’entreprise qui ont 50 ans, 60 ans, leur entreprise était toute leur vie, ils n’ont plus la force de recréer. Dans leur tête, ils ont perdu leur honneur. »
Germain Moreno évoque ces entrepreneurs qui fondent en larmes pendant les audiences. Si certaines entreprises sont sauvables, ce n’est pas toujours possible. « On ne fait pas n’importe quoi. Quand certaines entreprises sont exsangues, ça ne sert à rien, il ne faut pas qu’elles continuent à faire de la dette supplémentaire. » C’est parfois même au parquet de prendre le relais pour amener au redressement ou à la liquidation.
Le PGE n’a pas précipité la chute
Il aurait l’air d’un coupable idéal, ce Prêt Garanti par l’État, accordé durant le Covid et dont les derniers remboursements se font sur 2026. Des entreprises se seraient-elles mises elles-mêmes le couteau sous la gorge en recourant trop facilement à ce dispositif ? Loin de là, selon Germain Moreno. « Il a eu 805 000 PGE attribués en France. Au 30 septembre, 84 % ont été remboursés pour les TPE et PME et 97 % pour les grandes entreprises. Il y a eu un peu de défaillances mais ça reste à la marge. » Pour Germain Moreno, le PGE a été au contraire, tout comme le chômage partiel, une bouteille d’oxygène.
Malgré la hausse des redressements, Germain Moreno garde espoir. « Ce n’est pas la Bérézina. Le problème est l’instabilité, on ne sait pas où on va, ni quelles lois vont être votées. On nous martèle de chiffres négatifs. » Pour le président du tribunal de commerce, le département aurait également besoin de plus de structures qui accompagnent les entreprises.
« Je veux positiver et donner de l’énergie aux chefs d’entreprise. Je crois que c’est encore possible. Nous avons encore pas mal de sociétés qui tiennent la route. »
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