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Le scandale Dépakine s’amplifie : dans les Pyrénées-Orientales, une mère combat le géant Sanofi

Le combat de la lanceuse d’alerte Marine Martin, habitante de Pollestres (Pyrénées-Orientales), se poursuit depuis 2012. Elle a contribué à la reconnaissance des handicaps d’enfants suite à la prise du médicament Dépakine par les parents, et lutte toujours pour faire condamner au pénal le géant pharmaceutique Sanofi. Sa bataille prend désormais une tournure internationale, et un film est en projet.

La Dépakine est un antiépileptique qui, s’il est pris par la mère enceinte, voire par le père, peut entraîner des malformations physiques et troubles neurologiques sur le foetus. Des milliers de parents auraient ainsi, sans le savoir, déclenché des handicaps suite à ce traitement.

En ce début novembre 2025, la Pollestrenque Marine Martin revient d’un voyage à Paris où elle a tourné pour un reportage de la BBC. En effet, les victimes du Royaume-Uni s’efforcent à leur tour d’obtenir une meilleure reconnaissance autour de ce scandale sanitaire qui a détruit des familles.

« Les associations anglaises avaient commencé avant moi » explique Marine Martin. « Mais ils ont abandonné leur procès quand le gouvernement britannique leur a supprimé les aides juridictionnelles. »

Les avancées de notre lanceuse d’alerte inspirent désormais de nouvelles dynamiques à l’étranger pour reprendre les démarches judiciaires. « C’est un scandale mondial, on n’a pas fini d’en entendre parler. »

Marine Martin est en procès depuis 2012. Elle a porté plainte dix ans après la naissance de son deuxième enfant, atteint de malformations et troubles autistiques, tout comme sa grande sœur. L’histoire de cette famille est poignante. Durant sa grossesse, Marine Martin prenait de la Dépakine pour soigner son épilepsie, mais elle ne fera le lien entre le médicament et le handicap de ses enfants que bien plus tard.

Des effets connus, mais… le silence

Les effets tératogènes (NDLR : avec conséquences sur l’embryon) de la molécule – le valproate de sodium – sont en réalité connus depuis les années 1980 suite à des publications scientifiques. Mais pas le moindre avertissement clair avant plusieurs années sur les boîtes de Dépakine ou de mise en garde stricte auprès des médecins qui prescrivaient. 40 % des enfants dont les mères étaient traitées, soit des milliers de victimes potentielles en France, seraient susceptibles de développer des troubles neurologiques.

Même si Marine Martin ignorait les effets de l’anti-épileptique, et malgré les révélations sur les dissimulations du laboratoire, elle continue de se sentir coupable du handicap de ses enfants.

« La responsabilité reste là. Je prends deux comprimés par jour. On se dit ‘j’aurais dû savoir, j’aurais dû chercher.’ On fait confiance à un médecin parce qu’il a fait huit ans d’études. On ne va pas vérifier tout l’historique d’un médicament… »

Voilà 13 ans que le combat dure. L’association de Marine Martin, l’Apesac, est désormais incontournable pour plusieurs milliers de victimes. La lanceuse d’alerte médiatise l’affaire, écrit un livre, accompagne les actions en justice et met en cause l’État via l’ANSM, l’agence nationale du médicament, mais aussi des médecins qui ont encore prescrit après les recommandations. Elle s’appuie également sur l’ONIAM, l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux. Peu à peu, les responsabilités sont reconnues, la mise en garde est enfin indiquée sur les boîtes du médicament.

Choisir entre l’indemnisation de base ou un combat judiciaire avec l’exposition de ses enfants, à nu devant des experts

À compter de 2019, les premières indemnisations sont délivrées, au compte-goutte. Les préjudices sont considérables, avec des enfants touchés à divers degrés. Ils ont parfois besoin d’auxiliaires de vie à temps plein. Les pères sous traitement pourraient aussi entraîner les handicaps. Et les troubles seraient héréditaires, avec un risque de transmission par les enfants dits « Dépakine » devenus adultes. Un droit de tourner la page qu’on refuse aux générations suivantes, et une angoisse de procréer.

« J’ai suivi une jeune fille « Dépakine » qui s’est fait ligaturer les trompes car elle ne voulait pas à son tour engendrer des enfants. »

Quand les familles optent pour le volet judiciaire plutôt qu’une indemnisation moindre via l’ONIAM, c’est encore un parcours d’obstacles. Il faut monter des dossiers d’une complexité rare, démontrer, patienter jusqu’à 20 ans, exposer ses enfants handicapés, nus devant des groupes d’experts, les malformations étant parfois génitales.

Le grand silencieux dans toutes ces procédures, c’est le laboratoire Sanofi lui-même, qui refuse toujours de reconnaître sa responsabilité, malgré des condamnations au civil dès 2017, et une action de groupe en sa défaveur en 2022. En conséquence, les indemnisations sont à ce jour réglées par nos impôts, uniquement côté État. À charge pour l’ONIAM de se retourner contre un labo réticent…

Sanofi explique dans sa communication « nous sommes conscients des situations difficiles auxquelles sont confrontées les familles dont les enfants présentent des troubles (…) » mais indique « avoir fait preuve de transparence vis à vis des autorités de santé. » Le laboratoire reconnaît sa connaissance depuis les années 1980 de dangers liés à son médicament. Il se défausse néanmoins s’agissant des avertissements sur les emballages : « il faut rappeler que les entreprises du médicament ne peuvent pas décider unilatéralement de changer les documents d’information relatifs à leur médicament. »

Un laboratoire qui refuse de payer

Marine Martin attend avec impatience le procès de Sanofi au pénal, qui pourrait enfin mettre un point final au scandale. La mise en examen, pour tromperie aggravée, blessures et homicides involontaires, remonte à 2020. Le procès pourrait se tenir enfin d’ici un ou deux ans.

« J’attends qu’on désigne les personnes responsables. Dans quelle mesure Sanofi a menti ? Quels ont été ses complices ? Par quel mécanisme nous n’avons pas été informés, nous les patients, des dangers de ce médicament ? »

La lanceuse d’alerte assure ne percevoir aucune empathie ou considération de la part du laboratoire. « Ils sont méprisants à notre égard et se pensent au-dessus. Ils sont protégés au niveau de l’État, ils continuent de toucher des crédits impôts recherche pour relocaliser des productions qu’ils revendent ensuite au plus offrant. »

Vers le tournage d’un film

Marine Martin évoque des liens, documentés par Médiapart notamment, entre Emmanuel Macron et Serge Weinberg, président du conseil d’administration de Sanofi.

« Quand on demande, dans les scandales Buitoni ou Nestlé, au PDG de s’excuser publiquement, pourquoi on ne l’a jamais demandé à Sanofi alors qu’il y a eu des condamnations judiciaires ? Ce sont des délinquants en col blanc. »

En attendant le procès pénal, c’est un long métrage français qui devrait être lancé. « J’ai été sollicitée pour l’adaptation en film, je suis en négociation de contrat avec une grosse société de production. Ils sont partis de mon livre. J’aimerais participer à l’écriture du scénario. »

Les chiffres de l’Apesac :

En 2024, l’association Apesac recense les victimes françaises d’embryofœtopathie en lien avec le médicament anticonvulsant. Elle communique ces résultats :
– 8314 victimes
– 1852 avortements
– 199 décès

En 2017, l’association obtient le pictogramme « Danger » pour les femmes enceintes, sur les antiépileptique et autres médicaments tératogènes. En 2018, elle décroche la mention « Interdit ».
À ce jour seules 4 familles ont été indemnisées suite à une procédure judiciaire civile, tandis que 326 familles l’ont été directement auprès de l’ONIAM.

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Philippe Becker