Article mis à jour le 30 mai 2023 à 16:35
Partout en France, les coupes rases provoquent la colère des citoyens, des associations et des petites scieries. Industrialisation de la forêt, culture de bois ou destruction de la biodiversité : que reproche-t-on réellement à ces «coupes à blanc» ?
Grande favorite du gouvernement et bête noire des petites scieries, la coupe rase ne fait pas que des heureux. Utilisée depuis le XVIIe siècle mais surtout après la Seconde Guerre mondiale, la méthode, qui consiste à abattre et mettre à blanc tout un périmètre peuplé d’arbres a des retombées économiques florissantes pour l’économie du bois en France. Ce constat suffit à justifier le soutien sans faille de l’État à cette pratique malgré les recherches et avertissements qui dénoncent ses retombées en tout point négatives pour la biodiversité des forêts. Répercussions environnementales, écologiques et économiques, bref, les coupes rases mettent finalement au plus mal l’industrie forestière.
Combiner gestion financière et sylvicole : mission impossible
Le terme à lui seul fait froid dans le dos. «Coupe rase». Deux mots simples qui définissent le chaos. «La coupe rase, c’est lorsqu’on coupe une forêt, normalement mature, et qu’on la replante», définit Régis Lindeperg, administrateur du Réseau pour les Alternatives Forestières (RAF). La forêt originellement présente est coupée et est complètement remplacée par des plants de résineux, une monoculture forestière qui entraîne une perte des essences.
«Régulées», les coupes rases sont soumises à l’obligation de renouvellement et de repeuplement. Selon le gouvernement, «ce renouvellement peut procéder d’une plantation ou d’une régénération ou reconstitution naturelle. En cas d’échec, des actions doivent être engagées pour obtenir ce renouvellement.»
Mais alors, pourquoi faut-il quand même se méfier des coupes rases ?
Cette destruction massive d’arbres entraîne un bouleversement souvent invisible à l’œil nu. Sylvain Vrignaud, écologue, explique : «L’humus se retrouve à découvert, exposé en plein soleil. Il y a une perte d’humidité qui s’installe.» Les micro-organismes, à l’image des champignons, ont un rôle dans la dégradation de la matière organique. La répercussion des coupes rases sur cette flore peut s’avérer catastrophique pour la biodiversité du sol. Selon l’écologue, suite aux coupes rases, le terrain se retrouve soumis aux éléments naturels comme les pluies diluviennes. «Une fois la forêt mise à blanc, lorsqu’il va pleuvoir, le sol va subir un effet d’érosion, qui ne se voit pas à l’œil nu. Mais qui va inévitablement entraîner des glissements de terrain.»
Lucette Terrenoire, membre de l’Association Parc National Zone Humide en Bourbonnais, ajoute même que «sans les racines, il n’y a plus de rétention d’eau et que c’est l’une des causes qui accentue les feux de forêt.»
«En une demi-journée, ils vous enlèvent tout»
En usant des coupes rases, les arbres sont abattus -la plupart du temps- en grande quantité, des trous dans la forêt se créent et le vent s’y engouffre en créant de grands courants d’air. Résultat : les sols s’assèchent et dans les régions les plus sèches, cette sécheresse non contrôlée favorise les feux de forêt et leur propagation plus rapide. L’autre problème, conclut Lucette Terrenoire, c’est la plantation de résineux. «Ils sont plantés tous en même temps, ils sont coupés tous en même temps, le sol est moins diversifié. En une journée ils vous enlèvent tout».
À bas les réserves de biodiversité, les puits de carbone pourvoyeurs d’humidité
Le problème, c’est que l’État envenime cette situation. «Il subventionne le matériel, les gros engins», raconte Régis Lindeperg. Ces grosses machines qui, en creusant des ornières, tassent les sols et empêchent les futures racines et autres plantes de sortir correctement de terre. En 2020-2021, ces coupes rases ont vécu un nouvel élan et donc les engins se sont faits plus nombreux à envahir les forêts. Effectivement, ces coupes ont été encouragées par le plan de relance du gouvernement, qui a accordé 200 millions d’euros au secteur. Selon Canopée, association française spécialisée dans la défense des forêts, 87 % des coupes réalisées en forêts privées grâce à ces subventions ont été des coupes rases.
Quand les organismes de gestion de forêts passent sous silence les réels effets des coupes rases
L’Office National des Forêts (ONF) est chargé de la gestion des forêts, de leur protection et bon développement. Reliée à l’État, pour Régis Lindeperg, «cette organisation se retrouve les pieds et les mains liés», elle serait obligée de «rendre des comptes à l’État.» Sylvain Vrignaud accuse, «l’État de demander de dégager des revenus grâce à l’exploitation des forêts.» Mais l’ONF intervient essentiellement sur les forêts publiques, domaniales ou communales. Elle ne peut pas empêcher les coupes rases dans les forêts privées.
L’enjeu, au niveau de L’ONF, c’est, l’obligation de rentabilité que lui impose l’État, et qui passe parfois par les coupes rases. D’ailleurs, sur son site internet, l’ONF explique pour quelles raisons le recours à cette activité s’avère nécessaire. Raisons sanitaires (éviter la propagation de maladies) ou maximiser la renaissance de certaines espèces, voilà quelques exemples. Jouer la carte de la prévention et se porter en sauveur des forêts françaises ne semble pas être crédible selon l’organisme RAF. «Il (le gouvernement) croit pouvoir être plus fort que la nature, alors qu’elle a toujours su se débrouiller seule», déclare Régis Lindeperg.
Rentabiliser les forêts au maximum ?
Avec les prix de l’énergie qui ont augmenté, les ménages se sont tournés vers la consommation du bois. Et donc, le marché des granulés a explosé ces dernières années. «Avec ce phénomène de grande consommation de granulés, on pousse aux coupes démultipliées. Avant on récupérait des palettes, des déchets de bois pour faire des granules, maintenant on fait pousser et on abat des arbres», se désole Etienne Philippe, membre de l’association Préservons la forêt des Colettes, dans l’Allier. Il continue, «C’est l’économie qui dirige et c’est l’État qui l’encourage. L’État ne joue pas son rôle, il a choisi le camp de l’économie, des affaires, de l’argent. L’État demande à l’ONF de ramener de l’argent, de rentabiliser les forêts.»
ONF fait-elle la sourde oreille ? «On ne coupe pas le bois pour embêter les gens. Nous avons un code forestier qui nous impose de faire des coupes et des travaux. On travaille la forêt avec des documents et un code forestier qui nous donnent des droits mais aussi des obligations techniques sur lesquelles on ne peut pas déroger», témoigne Sylvain Hermer, forestiers de l’Unité territoriale Sud Allier à l’ONF. Certes, il s’agit d’un organisme public, néanmoins, Sylvain Hermer assure qu’il n’est pas lié directement avec l’État.
Il s’explique davantage : «même si je représente l’État et qu’il me demande de faire quelque chose de positif en matière de business, ce n’est pas pour autant que je vais raser la forêt». L’usage des coupes rases par l’organisme reste minoritaire. Pour ainsi dire, cette année, Sylvain Hermer n’aurait fait qu’une coupe rase de trois hectares dans son secteur. «À l’ONF on ne fait pas que des coupes, on fait aussi des travaux en réinvestissant, en protégeant et en entretenant les lieux», tempère-t-il.
La fin des petites scieries ?
Les coupes rases entraînent d’importantes transformations du bois, ce qui fait aussi le malheur des petites scieries. Gérard Michel, scieur artisanal à Lavoine (Allier), est inquiet pour l’avenir de son entreprise. «Aujourd’hui, ce sont des lots entre 800 et 1000 m3 qui partent dans les scieries en une fois. Ce volume représente ce que je passe en une année dans ma scierie.» En plus de l’ampleur importante de ces coupes, c’est un budget qui dépasse les limites de l’entendable pour le scieur. «L’an dernier le douglas se vendait 100 € le m3, quand on fait le calcul, c’est une trésorerie que je ne peux pas financer. C’est plus que mon chiffre d’affaires annuel.»
Financer ces coupes n’est pas un problème pour les scieries de grande taille mais il est désormais plus difficile pour les plus artisanales de se faire une place dans la filière. Acheter des petites parcelles est encore possible pour ces petites scieries. Mais elles ne sont plus en grand nombre et l’enjeu se corse davantage puisque de plus en plus de groupements forestiers et de coopératives se coalisent.
Article écrit par Maëlle Beaucourt dans le cadre de son cursus au BUT Information et communication de Vichy.
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