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Visa pour l’image : « Avec le dérèglement climatique, les feux deviennent inévitables et imprévisibles », Josh Edelson traque les incendies 

Visa pour l'image : "Avec le dérèglement climatique, les feux deviennent inévitables et imprévisibles", Josh Edelson traque les incendies

Depuis dix ans, le photographe américain Josh Edelson documente sans relâche l’escalade dramatique des incendies en Californie. De Paradise à Los Angeles, ses images témoignent d’un Ouest américain bouleversé par le dérèglement climatique. Interview. 

Éprouvée cet été par les incendies de l’Aude, notre région mesure plus que jamais l’ampleur de la menace des feux de forêt. Visa pour l’image met en lumière le photographe américain Josh Edelson avec « Californie : une décennie au cœur du brasier ». Basé à San Francisco et collaborateur de l’AFP depuis 2015, il s’immerge seul au plus près des zones dévastées pour témoigner de l’escalade des incendies. Un douloureux rappel des menaces qui pèseront à l’avenir sur nos départements du pourtour méditerranéen marqués, eux-aussi, par des épisodes de sécheresse et de vagues de chaleur de plus en plus extrêmes. 

Made in Perpignan (MiP) : Pourquoi avoir choisi de consacrer dix années à documenter les incendies en Californie ?

Josh Edelson (J. E) : Parce que je vis ici, au cœur de cette réalité. Très vite, j’ai compris que ces feux n’étaient pas des événements isolés mais les signes d’un bouleversement plus profond : le dérèglement climatique. Documenter cette évolution est devenu pour moi une mission. Au-delà de la photographie, c’est une façon de donner du sens à mon travail, de témoigner pour que les gens prennent conscience de ce qui se passe.

MiP : D’ici on a parfois l’impression que les Américains sont indifférents au dérèglement climatique. Est-ce une réalité ? Et est-ce que vos travaux permettent une prise de conscience ? 

J. E : Les feux sont plus fréquents, plus intenses et se déclarent aussi dans des zones inattendues ou jusqu’ici épargnées. Je ne peux pas apporter de solution, mais mon rôle est de documenter. Après, à chacun de décider quoi faire de ces images. 

MiP : Ce n’est donc pas seulement un problème américain ?

J. E : Non, c’est mondial. Globalement, trois facteurs entrent en jeu à chaque fois : la politique et l’économie, avec les moyens mis en œuvre (ou pas) pour la prévention et les secours ; l’expansion des sociétés humaines, puisque les gens s’installent dans des zones plus exposées ; et enfin, on l’a dit, le changement climatique et ses effets directs : sécheresse, vents, températures. Tout ça combiné rend les feux inévitables et imprévisibles. 

MiP : Sur le terrain, comment les pompiers vous perçoivent-ils ?

J. E : C’est une relation fragile. La loi en Californie autorise la presse à entrer dans les zones de catastrophe, nous pouvons aller où nous voulons, la police ne peut pas nous en empêcher. C’est une exception propre à la Californie : ailleurs, comme en Oregon, à Washington ou au Wyoming, des incendies tout aussi importants se produisent, mais on n’en entend pas parler parce que les journalistes n’y ont pas accès. C’est pour cela que la Californie est si médiatisée. En revanche, les pompiers gardent un droit de regard : si un journaliste entrave leurs opérations, ils peuvent décider de l’expulser. J’essaie donc d’être invisible, respectueux. Malheureusement, depuis quelque temps on voit aussi apparaître des pseudo-journalistes, souvent des influenceurs ou des YouTubers, qui se mettent en danger et ternissent la réputation des professionnels.

MiP : Comment vous protégez-vous, vous-même et votre matériel ? 

J. E : L’essentiel est de savoir lire le feu, le terrain et la météo pour anticiper et toujours avoir une sortie possible. Jusqu’ici, je ne me suis retrouvé piégé qu’une seule fois. J’étais en voiture sur une route au milieu d’une forêt en flammes. D’un coup, le feu a barré la route devant et derrière moi. J’ai dû foncer et traverser les flammes pour m’en sortir. Concernant le matériel, je dirais que mes appareils tiennent mieux que moi. Parfois mes mains chauffent tellement que je dois m’arrêter, mais les boîtiers, eux, encaissent. Je n’utilise pas de protection spéciale pour eux. En revanche, pour moi, quand je suis au plus près des flammes, il faut impérativement couvrir le moindre centimètre de peau, sinon on brûle.

MiP : Est-ce qu’un cliché vous a particulièrement marqué ? 

J. E : Oui, la photo du Bidwell Bar Bridge à Oroville. Cette photo est importante pour deux raisons. La première, c’est que c’était l’une des gardes les plus intenses que j’ai jamais faites. J’ai passé 36 heures d’affilée sans dormir, à couvrir deux incendies. L’un était le Creek Fire, en Californie centrale, que j’ai couvert pendant 15 à 20 heures, puis j’ai appris qu’un autre feu était hors de contrôle, à 5-6 heures de route plus au nord. J’ai pris la voiture et j’ai enchaîné. Tout ça dans la même journée. Ça illustre bien l’intensité de ce travail. 36 heures, ce n’est pas normal, mais je devais le faire. Je me souviens avoir traversé le pont en me demandant s’il allait s’effondrer, tant la scène était irréelle : une voiture accidentée, des pompiers au milieu des flammes, et ce pont au-dessus du brasier. C’était fou. 

La deuxième raison, c’est que la photo est devenue virale. Hillary Clinton, Bernie Sanders et d’autres personnalités l’ont partagée avec des messages comme « ceci n’est pas normal ». Beaucoup ont cru qu’il s’agissait du Golden Gate Bridge de San Francisco alors que c’était en réalité le Bidwell Bar Bridge à Oroville. Ce malentendu a contribué à la viralité. 

MiP : Derrière les flammes et les images spectaculaires, il y a des vies bouleversées. Comment travaillez-vous à restituer cette dimension humaine ?

J. E : En général, si j’arrive sur une propriété brûlée où il y a des habitants, je me rapproche doucement, j’attends un signe d’eux – un regard, un geste – et si je sens qu’ils acceptent ma présence, je photographie. Je ne veux jamais forcer ma présence, ni mettre les gens mal à l’aise. Parfois je leur parle : “Je suis désolé pour votre perte. Est-ce que je peux rester ? Je vais juste prendre quelques photos. Faites comme si je n’étais pas là.” Une fois qu’ils disent oui, je deviens invisible.

Josh Edelson, « Californie : une décennie au cœur du brasier ». Église des Dominicains.

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