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Abattage des bovins touchés par la DNC : « C’est un massacre, un crime d’État ! »

Article mis à jour le 10 novembre 2025 à 17:30

La dermatose nodulaire contagieuse bovine (DNC) continue de frapper. Ce lundi 10 novembre, près de 400 personnes se sont rassemblées devant la préfecture des Pyrénées-Orientales à Perpignan pour protester contre la politique sanitaire actuelle. Celle-ci prévoit l’abattage de tous les animaux d’un groupe dès qu’un cas est détecté.

Une pancarte résume l’état d’esprit général : « Non à l’abattage des vaches et des éleveurs ». Depuis l’apparition de la DNC dans le département, les autorités appliquent strictement les protocoles. Résultat : 11 foyers ont touché 17 élevages et conduit à l’abattage plus de 350 bovins, dont une grande partie d’animaux sains. 

Pour les éleveurs, c’est une tragédie et la colère gronde. Jean Quilleret, du collectif citoyen Stop aux massacres !, appelle à amplifier le mouvement : « Cette situation doit cesser, on doit faire masse et amplifier la mobilisation ! C’est un massacre, un crime d’État ! » Il fait un parallèle avec la philosophe Hannah Arendt : « Le mal (les abattages, ndlr) est possible parce qu’on segmente la responsabilité. Le carcan écrase chacun et personne n’arrive à désobéir ». Pour lui, la gestion actuelle est symptomatique d’un système où plus personne ne questionne les ordres venus d’en haut.

La classification européenne dans le viseur 

À quelques mètres, Pierre Régné, éleveur de 55 vaches Aubrac à Fosse, dénonce des mesures « aberrantes » : « On demande aux autorités de faire des études épidémiologiques avant de décréter ces abattages totaux. Il y a encore énormément d’inconnues autour de cette maladie ». Il rappelle que ses bêtes comme celles des éleveurs touchés vivent en plein air, nourries à l’herbe, et répondent à la demande de viande locale et de qualité.

« Dire qu’on indemnise les éleveurs pour qu’ils reconstituent des troupeaux n’a pas de sens. Nos animaux ne sont pas des numéros, ce sont des vaches adaptées au relief et au climat de nos vallées. Finalement, on n’a pas peur de la maladie, on a peur des règlements européens ! ».

MANIFESTATION ELEVEURS DNC BOVINS PREFECTURE PERPIGNAN

La dermatose nodulaire contagieuse bovine est transmise par des insectes piqueurs qui véhiculent le virus d’un animal à un autre. Classée en catégorie A dans la réglementation sanitaire européenne, elle impose des mesures d’éradication immédiate : l’abattage total vise à éliminer tout réservoir viral et à préserver le statut « indemne » du pays, condition essentielle au commerce international. Mais cette logique purement sanitaire ne convainc pas. Pour beaucoup, elle se heurte à la réalité du terrain : les abattages ne freinent pas la propagation et détruisent un modèle d’élevage extensif déjà fragile.

David Berrué, porte-parole des Écologistes des Pyrénées-Orientales, observe de près la situation dans le Conflent, principal foyer de la maladie : « Ce sont des élevages extensifs, à taille humaine, avec un lien viscéral entre les éleveurs et leurs animaux. C’est un arrache-cœur. Les abattages se passent dans notre environnement immédiat : c’est le gars d’à côté, ou de la vallée d’à côté. On a l’impression que les autorités dégainent un bazooka pour tuer des mouches ! » Il appelle à tirer les leçons de cette crise : « Cette mobilisation ne fera pas revenir les bêtes tuées, mais elle doit nous amener à réfléchir collectivement à notre réponse aux risques sanitaires : il faut plus de discernement et moins de brutalité ».

L’absence de la FDSEA et des JA interpelle 

Dans la foule, Gaëtan Le Ber, apiculteur et éleveur de quelques vaches highlands, déplore quant à lui l’absence des grands syndicats agricoles : « La FDSEA et les Jeunes Agriculteurs ne sont pas là, c’est dingue. Par peur d’être associés à la Confédération paysanne, ils préfèrent ne pas bouger. Ce n’est pas un hasard : ils sont trop dépendants économiquement pour oser parler. C’est un muselage économique ! »

MANIFESTATION ELEVEURS DNC BOVINS PREFECTURE PERPIGNAN

Un point de vue que partage Philippe Maydat, président de la Coordination rurale 66 : « L’abattage devrait concerner uniquement les bêtes malades ! » Il dénonce aussi les conditions d’équarrissage : « Les animaux partent à Agen dans des camions-bennes à ciel ouvert. C’est irresponsable ! Sans compter qu’on envoie à la poubelle des bêtes saines, alors même qu’on importe de la merde d’Ukraine et du Brésil ! ». Pour Jeanne Lelièvre, de la Confédération paysanne 66, la crise dépasse le seul cadre sanitaire : « Cette situation pose une question de société : quel modèle agricole voulons-nous ? Certainement pas celui du libre-échange et du traité avec le Mercosur que Macron (copieusement hué, ndlr) s’apprête à signer ! »

Atmosphère tendue et discours virulent sous les fenêtres du préfet 

De nombreux éleveurs et soutiens sont venus d’autres territoires : Aude, Tarn, Lozère… Daniel Coutarel, de la Confédération paysanne du Tarn, s’insurge à la tribune contre les autorités qui « s’auto-satisfont » à tort : « Nous avons demandé la vaccination de nos troupeaux, et ça nous a été refusé. Pendant ce temps, la maladie continue de se répandre chaque semaine dans de nouveaux départements. Leur politique est une hérésie ! » 

Le ton change au fil des prises de parole. L‘émotion est palpable lorsque Samy, vacher sur les pentes du Canigou, raconte la mise à mort le matin même des bêtes dont il partageait le quotidien.

MANIFESTATION ELEVEURS DNC BOVINS PREFECTURE PERPIGNAN

Mais l’ambiance sent aussi le gaz par moments. « Quand va-t-on abattre les aseptisés du bocal qui prennent ces décisions ?! » lance un éleveur. Un clown monte sur scène et tente de caricaturer les autorités. Son message est mal perçu. Il se fait huer et les échanges s’enveniment. « Faites-le taire ! », hurle une partie de la foule. « C’est trop grave pour rire ! Casse-toi ! ». Plusieurs éleveurs se chargent de descendre le clown de scène. 

Peu après, Eric Brunel, membre de la Coordination rurale et élu à la Chambre d’agriculture de Lozère prend la parole. « Mes vaches c’est comme mes enfants. Si demain la DNC arrive en Lozère et que quelqu’un vient chez moi pour tuer mes animaux, je le dis aux forces de l’ordre qui sont là : je me défendrai ! Je ferai parler la poudre ! »

Dans le courant de l’après-midi, une délégation a été reçue par la préfecture pour exposer les revendications : révision des protocoles, vaccination élargie, et reclassement de la maladie pour éviter l’abattage systématique. Tous partagent le même espoir : que l’État cesse de traiter cette crise comme une succession de mesures administratives, et qu’on rende enfin aux éleveurs et à leurs bêtes un peu de discernement et d’humanité.

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Sébastien Leurquin