Article mis à jour le 20 avril 2025 à 10:10
Dans les Pyrénées-Orientales, l’anorexie touche 0,5 % de la population. Si le pourcentage paraît faible, 2 500 personnes se cachent derrière ce chiffre, majoritairement des jeunes filles. L’anorexie mentale, la boulimie nerveuse et l’hyperphagie boulimique sont les principaux types de troubles alimentaires médicalement définis.
Ce vendredi 18 avril 2025, la secrétaire d’État chargée du Numérique, Clara Chappaz, a saisi l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), au sujet de la tendance Skinny Tok : « Skinnytok, une tendance qui promeut la maigreur extrême sur les réseaux. Inadmissible. J’ai saisi l’Arcom et la European Commission. Le numérique est un formidable outil mais ses dérives brisent des vies », a écrit la Ministre sur son compte LinkedIn.
À Cabestany, l’association ABAS accompagne les adolescents souffrant de TCA (troubles de la conduite alimentaire) et leur famille. Le docteur Claude Arnaud, psychiatre, et Anaïs, coach en nutrition, nous décryptent la tendance Skinny Tok. Focus sur ce phénomène qui arrive tout droit d’Angleterre.
Skinny Tok promeut l’extrême maigreur
« Quand ton estomac fait du bruit c’est qu’il t’applaudit », « rien n’a aussi bon goût que la sensation d’être mince », « tu n’es pas moche, tu es juste grosse… ». Ces phrases « trash » sur l’alimentation ont donné des frissons à Anaïs. Ancienne anorexique, la jeune femme voit d’un très mauvais œil la trend aux millions de vues : Skinny Tok. Une avalanche de vidéos sur le réseau social TikTok mettant en scène des influenceuses qui prônent une minceur exacerbée.
À l’approche de l’été, l’étau se resserre. D’après Anaïs, c’est souvent à cette période de l’année qu’une nouvelle « tendance » émerge. La pression autour du fameux summer body et la quête du corps parfait semblent éternelles. « Ces phénomènes ont toujours existé », nous confirme le docteur Arnaud.
Au début des années 2000, les sites pro-ana (pro-anorexia) vantaient déjà les mérites de l’extrême maigreur. « À l’époque, le ministère de la Santé tentait de les faire fermer. Mais à peine un site supprimé, un autre se créait ailleurs », se remémore Claude Arnaud. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, la tendance est devenue tellement virale qu’il est pratiquement impossible de supprimer ces contenus.
« L’estime de soi s’effondre complètement »
Le mouvement Skinny Tok se répand à une vitesse incontrôlable. Pour attirer toujours plus de viewers, la méthode est sournoise. Comme un appel à visionner le contenu, les vidéos débutent généralement avec le disclaimer suivant : « Attention, toutes les personnes qui souffrent de TCA ou qui veulent maigrir très vite, passez votre chemin ». Loin de rebuter leur cible, ce message d’alerte attire comme un aimant les personnes sujettes aux troubles alimentaires.
Quelques secondes plus tard, une jeune femme s’adresse à ses followers sur un ton réprobateur : « Tu n’as pas faim, c’est juste que tu t’ennuies. Si tu as faim, mange une pomme. Si tu n’as pas envie de cette pomme, c’est que tu n’as pas faim, point barre. »
« En seulement 10 minutes, ce genre de vidéo atteint les cent mille vues », déplore Anaïs. Cette injonction permanente présente un risque important chez la plupart des personnes souffrant d’anorexie. « L’estime de soi s’effondre complètement », alerte le docteur Arnaud.
Autre phénomène viral sur TikTok : « les assiettes modèles ». Certaines influenceuses mettent en scène ce qu’elles mangent et font profiter leur communauté de conseils nutritionnels, parfois dangereux. D‘autres recommandent de ne pas manger à certains créneaux horaires. « Elles vont présenter ce qu’elles mangent à leur façon et leurs abonnés vont se référencer à leur assiette », nous explique Anaïs. « Le problème, c’est que chaque personne a un métabolisme différent, ce n’est pas du tout adapté. »
Ces réseaux sociaux qui attisent les troubles alimentaires
Pour le docteur Arnaud et Anaïs, l’algorithme hyper performant des réseaux sociaux et le manque de modération contribuent aussi à favoriser les troubles du comportement alimentaire. Pour rappel, le 4 novembre 2024, TikTok était assigné en justice par sept familles françaises. Les parents reprochent à l’application d’avoir exposé leur enfant à des contenus pouvant les mettre en danger, notamment sur les TCA ou l’automutilation.
En tant que professionnel, le docteur Arnaud se dit inquiet. Le psychiatre constate que les personnalités associées aux TCA ont évolué. « Il existe aujourd’hui des formes un peu plus atypiques, avec des personnalités très différentes. « Jusqu’à présent, les patientes anorexiques avaient plutôt tendance à se cacher. Aujourd’hui, elles s’exhibent. Ce sont des jeunes filles qui ont ce besoin de plaire à tout prix. Les réseaux sociaux jouent probablement un rôle là-dedans. »
De véritables communautés se créent autour du culte de la maigreur, un monde où des influenceurs souffrant de TCA font carrément carrière. « Cela devient un business, on revendique presque une identité », avertit Anaïs. « Lorsqu’on souffre d’anorexie mentale, on se coupe du monde extérieur. Développer une communauté à travers un écran devient presque addictif. Sans les réseaux sociaux, on a l’impression qu’on existe plus. »
Une épidémie d’automutilation chez les patients anorexiques
Dans les Pyrénées-Orientales, les unités de prise en charge des TCA sont prêtes à exploser. « J’ai trois nouveaux patients par semaine », souligne Claude Arnaud. Et les médecins sont de plus en plus confrontés à un phénomène inquiétant : l’automutilation chez les patients souffrant d’anorexie. « Ces patients représentaient autrefois un cas sur dix », estime le docteur Arnaud. « Aujourd’hui, c’est près de la moitié ! »
Face à ce risque, le collectif ABAS poursuit son action de sensibilisation via des groupes de parole, des conférences et des interventions dans les établissements scolaires. Notamment sur les dangers des réseaux sociaux et tout ce qui touche à l’estime de soi. « Laisser croire qu’on sera une meilleure personne si on est très maigre est éminemment dangereux », rappelle le docteur Arnaud.
Aujourd’hui, le trouble alimentaire est mortel dans un cas sur 10. Malgré tout, les membres de l’ABAS sont porteurs d’espoir, il est possible de sortir de l’anorexie avec une prise en charge pluridisciplinaire et un entourage présent.
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