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Anorexie : « Savoir que nous n’étions pas seuls a été notre soutien »

Anorexie : "Savoir que nous n’étions pas seuls a été notre soutien"

Article mis à jour le 16 avril 2024 à 08:25

Depuis 18 ans, l’association ABAS accompagne les adolescents souffrant de TCA (troubles de la conduite alimentaire) et leur famille. Si la boulimie, l’hyperphagie et l’anorexie sont devenues tendance sur les réseaux sociaux, dans les Pyrénées-Orientales, les cas explosent depuis la crise sanitaire.

On les appelle les TCA. L’anorexie mentale, la boulimie nerveuse et l’hyperphagie boulimique sont les principaux types de troubles alimentaires médicalement définis. Dans les Pyrénées-Orientales, le nombre de ces jeunes qui restreignent leur apport calorique en vue de perdre du poids a explosé. Les parents qui ont leur enfant confronté à un trouble du comportement alimentaire ont créé l’association ABAS (anorexie boulimie aide et soutien). Avec l’aide d’un professionnel de la psychiatrie, ce collectif anime des groupes de paroles, donne des conférences et intervient régulièrement dans les établissements scolaires.

L’anorexie dans les Pyrénées-Orientales

Dans les Pyrénées-Orientales, l’anorexie touche 0,5% de la population. Si le pourcentage paraît faible, 2500 personnes se cachent derrière ce chiffre, majoritairement des jeunes filles. Malgré le flux conséquent de patients, le seul établissement spécialisé dans la prise en charge des personnes souffrant de TCA est à Osséja, il s’agit de l’hôpital de jour La Perle Cerdane.

En 2020, le pôle pédiatrique de Cerdagne a ouvert une nouvelle antenne à Cabestany, au centre médical Avicenne. Destiné aux mineurs, ce programme permet aux enfants d’y séjourner à temps partiel. « Depuis l’ouverture de cet hôpital de jour, près de 150 jeunes ont été hospitalisés », affirme le docteur Claude Arnaud, psychiatre et représentant légal de l’association ABAS. Malheureusement, il n’y a toujours aucune prise en charge pour les adultes.

Un accompagnement pluridisciplinaire pour venir à bout de la maladie

L’objectif de l’association ABAS est d’orienter les parents confrontés à la maladie. « Lorsqu’on a affaire à des gamines qui pèsent 28 kilos, forcément, il y a une urgence somatique », explique le psychiatre. Si à l’époque, l’hospitalisation était considérée comme la solution miracle, ce n’est plus le cas aujourd’hui. D’après le professionnel, ce sont les suivis en ambulatoire qui donnent les meilleurs résultats. « La prise en charge de l’anorexie mentale, nécessite un accompagnement pluridisciplinaire. Un psychiatre tout seul ne fait rien », certifie le docteur. 

Au sein de l’association ABAS, chaque spécialiste apporte sa pierre à l’édifice. Diététicienne, psychologue et psychiatre délivrent leurs conseils. « Nous intervenons aussi auprès des parents et des fratries, pour les soutenir et les aider à se positionner face à la maladie », détaille Nadège, membre du collectif. « Petit à petit, tout le monde prend conscience des choses et un déclic se fait. »  

« Le conseil que nous donnons aux parents est que leur accompagnement doit se faire avec bienveillance, empathie et sans jugement, en gardant toujours à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’un caprice mais d’une maladie mentale qu’on ne choisit pas. Plus on connaît la maladie, plus on la comprend. C’est un investissement long pour lequel il faut prendre son temps », insiste Nadège, qui a vu sa fille souffrir d’anorexie.

Une perte de poids fulgurante : « Élisa ne souriait plus »

Il y a trois ans, quand le mot « anorexie » a été prononcé pour la première fois par sa fille, le ciel est tombé sur la tête de Nadège. Élisa a 12 ans quand elle connaît une descente aux enfers assez fulgurante. Tout part d’un petit régime, l’adolescente voulait perdre 2 à 3 kilos… elle en perdra plus de 12. Une perte de poids importante et rapide qui va crescendo.

Qui dit perte de poids importante, dit grande fatigue physique mais aussi intellectuelle et morale. Nadège raconte : « Son teint est devenu gris, sa température corporelle est passée sous les 36°C, elle avait tout le temps froid… Elle a développé des tics, elle répétait involontairement des gestes comme se toucher les yeux, elle n’arrivait plus à nager, la portière de la voiture est devenue trop lourde à ouvrir ou fermer… Élisa ne souriait plus. » 

Autant de signes avant-coureurs que les proches ne perçoivent pas immédiatement. « Au départ, il y a une phase « lune de miel ». La jeune fille a perdu un petit peu de poids, elle se sent bien dans sa peau, elle fait beaucoup d’activité physique, elle est contente et un peu euphorique. En tant que parents, on voit que notre enfant va bien, on ne se rend pas compte que cela s’accompagne d’une perte de poids violente », confie Nadège.

« Le suivi par l’équipe pluridisciplinaire a été sa bouée de sauvetage »

Très vite, les parents d’Élisa contactent l’association ABAS. « Savoir que nous n’étions pas seuls a été notre soutien. » L’adolescente a bénéficié d’un suivi important et régulier. Nadège comptabilise de nombreux rendez-vous avec tous les membres de l’équipe pluridisciplinaire. À chaque fois, Élisa ressort apaisée des séances avec le psychiatre. Les consultations chez la pédiatre se succèdent lorsque son poids descend en dessous de 29 kilos. Et puis, les conseils et le coaching de la diététicienne portent leurs fruits.

Si la perte de poids est rapide, la reprise est longue et irrégulière. Pour Élisa, il a fallu compter plus d’un an. « Je me souviens que nous utilisions le terme « démaigrir » plutôt que grossir. Le suivi par l’équipe pluridisciplinaire a été sa bouée de sauvetage et la nôtre. Nous avons appris tout au long de ce parcours à déconstruire les idées reçues sur les troubles du comportement alimentaire et sur l’anorexie en particulier. Il ne s’agit pas d’un caprice alimentaire ! », alerte Nadège.

« Quand on voit sa fille décharnée et que l’on entend au même moment que l’anorexie est une maladie longue, c’est insupportable. Malheureusement, il a bien fallu se rendre à l’évidence, c’est une maladie longue et c’est une maladie grave. Il n’y a pas de solution miracle, pas de traitement médicamenteux non plus. » L’anorexie nécessite un long cheminement pour s’en sortir. Les professionnels ne peuvent agir seuls, « les parents ont, eux aussi, toute leur place dans le processus de guérison, » insiste Nadège.

« Je ne me sentais plus moi-même et je suis tombée à 30 kg »

La maladie occupe toutes les pensées d’Élisa et celles de ses parents. La jeune fille prépare des gâteaux qu’elle ne mange pas. Elle semble se nourrir par procuration. C’est au travers du livre « Comment aider votre fille à sortir de l’anorexie », que Nadège prend conscience que le rôle des parents est primordial. Son enfant est victime et n’a plus aucun contrôle sur le refus de se nourrir normalement. « Nous apprenons qu’une voix lui dit ce qu’elle doit faire ou ne pas faire. Cette voix n’est pas très gentille, elle parle tout le temps… c’est la voix de l’anorexie. » 

« Il y a un processus qui s’enclenche, à partir du moment où l’on restreint son alimentation, on va entraîner un déséquilibre au niveau de la flore intestinale. Ce dérèglement entraîne le développement d’une bactérie plus vite que la normale. Cette bactérie a besoin, pour sa survie, que les intestins soient vides », traduit le docteur Arnaud. « C’est ça qui crée la voix ! », lance Anaïs, ancienne patiente du psychiatre. « Cette fameuse voix qui nous dit tous les jours, il ne faut pas que tu manges. »

Si aujourd’hui la jeune femme rayonne, cela n’a pas toujours été le cas. « J’ai commencé à tomber dans l’anorexie quand j’avais 18 ans. Quand mes proches ont commencé à voir que je perdais du poids, on a parlé. J’ai nié pendant plusieurs mois », se remémore Anaïs. À cette période, elle perd beaucoup de poids, elle a envie de tout contrôler. « Je ne me sentais plus moi-même et je suis tombée à 30 kg… J’ai tout de suite été prise en charge par le docteur Arnaud avec une équipe pluridisciplinaire. J’ai eu une psychologue et une diététicienne. » 

Anaïs a été hospitalisée à sa propre demande. Lorsqu’on lui a dit que son cœur pouvait s’arrêter, la jeune femme a pris peur. « À peine levée, j’avais mal au dos, j’étais essoufflée. J’ai donc été hospitalisée pendant un mois ou deux. J‘ai eu le déclic de vouloir guérir. » À sa sortie de l’hôpital, Anaïs ne reprend pas une vie normale pour autant. « Mon corps était tellement dénutri que pour retrouver un poids normal, cela a pris plusieurs mois. » Durant cette épreuve, c’est l’accompagnement médical, mais aussi et surtout la présence de sa famille qui a sauvé la jeune femme. « Si ma famille n’avait pas été présente, je ne serais peut être plus là… », murmure Anaïs. 

Réseaux sociaux et troubles alimentaires : une liaison dangereuse

Selon Nadège, la première des choses à faire est de déculpabiliser les parents. « Une des idées reçues les plus installées est que l’anorexie mentale, c’est la faute des parents », dénonce-t-elle. La majorité des femmes atteintes d’anorexie ont entre 15 et 35 ans. La maladie touche tous les milieux sociaux, sans distinction. « Il y a des personnalités qui sont éventuellement plus susceptibles de développer ce trouble. Ce sont souvent des gens qui ont le désir d’être dans le contrôle et qui sont perfectionnistes »,  précise le docteur Arnaud. Et aujourd’hui le problème majeur, ce sont les réseaux sociaux… 

Depuis sa guérison, Anaïs est coach en nutrition. La jeune femme intervient en tant que telle auprès des jeunes filles de l’ABAS. « À toutes les consultations, on me sort toujours un truc d’Instagram », s’affole-t-elle. « Les influenceurs donnent des conseils du style : « il ne faut pas manger de féculents, ça fait grossir ». Le problème c’est qu’il est très compliqué d’enlever ces idées-là aux jeunes filles qui viennent nous voir, alors que ce sont des choses qu’elles ont entendues pendant des années. » 

Anaïs est aussi confrontée à l’avalanche de TikTok « Une journée dans mon assiette ». Sur les réseaux sociaux, certaines influenceuses mettent en scène ce qu’elles mangent et font profiter leur communauté de conseils nutritionnels, parfois dangereux. « L’anorexie et la boulimie sont devenues un effet de mode sur TikTok. Beaucoup de personnes font du contenu pour avoir des vues. Il y a une véritable communauté, les influenceuses se filment même en train de faire des crises de boulimie », se désole la jeune femme. 

Selon le docteur Arnaud, les jeunes filles boulimiques ont souvent envie de ressembler à ces influenceuses. « Elles vont décider de perdre du poids, sauf qu’elles ne vont pas y arriver, et qu’elles vont partir sur des comportements boulimiques. » Le psychiatre évoque l’influenceuse espagnole Aitana Lopez. Des cheveux roses, une forte poitrine et une silhouette modelée par le fitness… cette mannequin a pourtant été créée de toutes pièces par l’intelligence artificielle ! Un modèle impossible à atteindre. 

Trop peu de moyens alloués aux troubles de la conduite alimentaire 

Aujourd’hui, les moyens alloués aux troubles alimentaires sont très faibles et peu de spécialistes ont envie de « se frotter » à l’anorexie. « C’est une maladie qui peut être mortelle et qui fait peur à la plupart des psychiatres », avoue le docteur Arnaud. Si le spécialiste a cessé son activité libérale pour travailler au sein de l’antenne d’hospitalisation de jour, depuis son départ, aucun de ses confrères ne s’occupe des troubles alimentaires chez les adultes dans les Pyrénées-Orientales. 

« Concrètement, les personnes qui nous appellent à l’aide sont orientées vers l’hôpital de jour, s’il s’agit de jeunes mineurs. Si ce sont des adultes, nous les orientons vers des spécialistes, nous avons un petit annuaire », désigne Nadège. Pour l’heure, seulement une psychologue et trois diététiciennes sont formées à la prise en charge des troubles alimentaires sur le département. 

La crise sanitaire a provoqué une hausse des TCA

La crise sanitaire a également renforcé l’obsession de contrôle des personnes anorexiques, sur le plan alimentaire et émotionnel. « Pendant le confinement, on a l’impression que les gens ont essayé de tout contrôler. Si certaines personnes ont pris du poids au premier confinement, au deuxième, elles ont restreint leur alimentation, provoquant un afflux du nombre de TCA », explique le docteur Arnaud. À l’hôpital de Perpignan, le boom des hospitalisations se fait également ressentir, depuis que l’association ABAS a établi un partenariat avec la pédiatrie. 

Aujourd’hui, le trouble alimentaire est mortel dans un cas sur 10. Malgré tout, les membres de l’ABAS sont porteurs d’espoir, il est possible de sortir de l’anorexie avec une prise en charge pluridisciplinaire et un entourage présent.

Pour tout renseignement, l’association ABAS est joignable au 06.34.29.04.57.

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Célia Lespinasse