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Cimetière harki de Rivesaltes, des familles toujours en quête de leurs sépultures « effacées »

Article mis à jour le 29 avril 2025 à 10:36

Ce 28 avril 2025, Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants, faisait face aux familles des harkis décédés dans le camp de Rivesaltes toujours en quête d’un lieu de recueillement.

Comme la ministre s’y était engagée lors de la réunion du 22 février 2025, elle a remis aux familles une synthèse documentaire de 69 pages sur l’ensemble des documents en sa possession. Si pour Patricia Mirallès, la remise du rapport des fouilles marque une étape importante, c’est désormais aux maires des communes de Perpignan et de Rivesaltes de plonger dans leurs propres archives pour faire toute la lumière sur les sépultures de 146 personnes.

Tombes « effacées » pour certains, « profanées » pour d’autres, le poids des mots et l’impossible deuil

Lorsqu’une plume, certainement échappée de la parka d’un des participants, virevolte dans l’air dans l’amphithéâtre du mémorial, c’est tout le poids du deuil empêché qui semble se matérialiser dans ce moment suspendu. Et les mots de Patricia Mirallès se heurtent au silence des familles, marquées par des décennies d’attente et d’incompréhension.

Face aux officiels, une partie des proches des 146 personnes qui trouvèrent la mort entre juillet 1962 et 1964, alors qu’elles étaient sous la protection de l’armée et de l’État français, écoutent les discours. Si aujourd’hui, tous, y compris la ministre, s’accordent à qualifier d’indigne l’accueil de ces familles en France, il n’en demeure pas moins que la recherche du lieu de sépulture de ces 146 personnes, en grande partie des enfants, a été un long combat pour les familles.

Au moment où les experts parlent pudiquement d’effacement, un proche dans la salle prend la parole. « Vous parlez d’effacement, moi je pense que c’est plutôt une profanation ». Et le chercheur botte en touche, « cette qualification ne m’appartient pas ».

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Questionnée sur ce point, Patricia Mirallès réfute le terme. « Même si les corps ont été mis dans des caisses en bois au cimetière, les anthropologues nous ont dit que ça avait été fait avec beaucoup de précautions, ce qui leur a permis d’analyser tous les ossements. Les choses ont été faites, peut-être pas comme il fallait, mais cela a été fait proprement. » Malgré ces propos rassurants, l’association Génération harki a déposé plainte en février 2025 pour « violation de sépulture ».

1986, année charnière dans la disparition du cimetière des harkis de Rivesaltes

Tout a commencé quand, pour cause de conditions de vie plus que difficiles, les plus fragiles des harkis décédaient dans l’enceinte du camp. Dès les premiers décès, les autorités réservent une toute petite partie des 600 hectares militaires pour l’inhumation des défunts, charge à leurs familles d’organiser les obsèques. Les années passant, visiblement les coordonnées de cette parcelle n’ont pas été correctement archivées. Et quand les premières recherches débutent, la trace du cimetière avait disparu.

Après le travail des historiens, les archéologues ont pris le relais et ont comparé des images aériennes. Au fil du temps et des avancées technologiques des prises de vues, des formes ressemblant à des tombes se dessinaient sur une partie du terrain militaire. Fin 2023, les recherches archéologiques étaient lancées. Sans succès, les sépultures avaient été « effacées » précise le responsable des recherches. Les images aériennes datant d’avant et d’après 1986 montrent que l’emplacement des sépultures avait changé de physionomie.

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Au-delà des images aériennes, les documents fournis par le ministère aux familles montrent les échanges de lettres et les rapports entre l’armée, la préfecture des Pyrénées-Orientales, la mairie de Rivesaltes et le conseil départemental. Des documents qui prouvent que dès 1986, les 60 sépultures enterrées sur le camp Joffre ont été déplacées vers le cimetière municipal. Acte que le maire n’a admis que fin 2024, alors qu’il avait lui-même donné son accord dans un courrier datant du 26 février 1985 et adressé au président du conseil général et consigné dans le dossier fourni aux familles.

« En conséquence, j’ai l’honneur de vous faire connaître par la présente, que je vais engager la procédure administrative en vue du transfert desdits corps dans le cimetière communal », signé, le maire, André Bascou.

Les maires de Perpignan et Rivesaltes en quête de leurs archives

Si l’État, via l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), a mené des fouilles localisant les anciens lieux de sépulture, la ministre a rappelé que la suite dépend désormais des collectivités locales. Une partie essentielle des réponses se trouve en effet dans les archives municipales.

Cette étape est capitale. Comme le rappelle Patricia Mirallès, « rien ne doit plus être caché »​. Les familles attendent que les élus assument pleinement leur rôle pour lever les dernières zones d’ombre.

Le maire de Rivesaltes, fébrile lors de la rencontre, doit désormais produire les documents permettant de retracer les transferts opérés en 1986​. Quant à la Ville de Perpignan, elle a sollicité le CHU pour recouper les actes de décès et vérifier les correspondances avec les registres municipaux​.

La ville de Perpignan est également concernée car si 60 sépultures ont finalement été localisées à Rivesaltes, les chercheurs ont mis à jour que les 86 personnes décédées à l’hôpital avaient été inhumées dans les cimetières perpignanais, 39 au cimetière de l’ouest et 32 à celui du Haut-Vernet.

Derrière les avancées, la frustration persiste. Selon Ali Amrane, les municipalités, notamment celle de Rivesaltes, peinent à produire des documents clairs sur les exhumations opérées en 1986. « Le maire accuse l’armée, mais il n’apporte aucun document administratif », regrette-t-il, dénonçant un manque de transparence persistant qui entrave toujours la pleine reconnaissance du drame vécu par leurs proches.

Les recherches ADN et les identifications ont débuté

Ali Amrane, membre du Collectif des familles disparues de Rivesaltes et de Perpignan, rappelle que les anthropologues ont confirmé la découverte de quatre adultes – dont un ancien harki et trois mères – ainsi qu’une cinquantaine d’enfants en bas âge.

Lors des fouilles, les anthropologues ont mis au jour plusieurs éléments personnels, précise la ministre. « Ils ont retrouvé des layettes, un bracelet sur un ossement, ainsi qu’une pièce de monnaie de 1961. » Ces découvertes sont importantes parce qu’elles permettent de dater les sépultures.

AMRANE RESTITUTION FOUILLES CIMETIERE HARKI RIVESALTES
Ali Amrane recherche la sépulture de son frère jumeau

Parallèlement, les travaux d’identification des restes humains retrouvés ont démarré. Selon les anthropologues, ce sont quatre adultes et près d’une cinquantaine d’enfants de 0 à 3 ans qui ont été recensés​.

Les enjeux techniques sont toutefois majeurs : pour réaliser des tests ADN fiables, il faudrait sacrifier certains ossements fragiles, notamment ceux des nourrissons, ce qui pose des dilemmes éthiques cruciaux​. Certains membres du Collectif des familles disparues de Rivesaltes et Perpignan envisagent néanmoins cette voie. C’est le cas d’Ali Amrane, dont le frère jumeau a succombé dans le camp alors qu’il n’avait que deux mois et demi. Si Ali comprend que l’extraction de l’ADN de l’os conduirait à sa destruction, il est nécessaire de savoir. « Il me faut une réponse, qu’elle soit positive ou pas, cela me permettra peut-être de faire mon deuil ».

La réflexion sur le devenir des restes est désormais engagée avec les familles : regroupement des ossements, création de mémoriaux séparés à Rivesaltes et Perpignan… Les décisions seront prises collectivement, en concertation étroite avec les pouvoirs publics​.

Les passeurs de mémoire

Assis devant la retransmission en direct, les élèves de première du lycée Aristide Maillol étaient eux aussi présents pour écouter la parole des élus. En sortant de l’amphithéâtre, la ministre déléguée s’est arrêtée quelques minutes pour leur adresser un mot afin qu’eux aussi continuent de perpétuer la mémoire des harkis. « À chaque fois que vous entendez le mot harki, vous devez vous rappeler que c’est un ancien combattant, quelqu’un qui a permis à la France d’être ce qu’elle est aujourd’hui », affirme-t-elle.

PATRICIA MIRALLES RESTITUTION FOUILLES CIMETIERE HARKI RIVESALTES
Thierry Bonnier, préfet, Celine Sala-Pons, directrice du mémorial et Patricial Mirallès, ministre

Raphaëlle et Lina, toutes les deux élèves, s’accordent sur l’émotion que cet événement leur a procurée. « Il y a plein de gens qui sont passés par ici et qui ont souffert. On n’a pas vécu toutes ces conditions, mais on essaye de leur rendre hommage », souligne Raphaëlle. Malgré leur jeunesse, les élèves ont été touchés par l’émotion encore vive des familles. « Ce que je retiens, c’est qu’il y a beaucoup de trucs qui passent et ces choses restent imprimées dans la mémoire des personnes », concède Lina.

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