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Coupe du monde de rugby : le ballon ovale au cœur de la prison de Perpignan

Coupe du monde de rugby, quand le ballon ovale franchit les murs de la prison de Perpignan

Article mis à jour le 17 décembre 2023 à 11:43

Ce 5 septembre, à quelques jours du coup d’envoi de la coupe du monde de rugby, plusieurs détenus du centre pénitentiaire de Perpignan affrontaient la sélection nationale de rugby pénitentiaire et les joueurs espoirs de l’Usap.

En cette après-midi caniculaire, sur le terrain caillouteux de la prison de Perpignan, il n’y avait plus de détenus, surveillants ou joueurs professionnels. Georges, Lucas, Kevin, Ferdinand, Nordine ou Nounours étaient tous joueurs de rugby. Quant à John et Laurie, ils avaient déposé leur habit de moniteurs de sport pénitentiaire au vestiaire pour enfiler celui du coach. Un instant suspendu derrière les barbelés du centre pénitentiaire qui, autour du ballon ovale, aura permis d’arrondir les angles entre les hommes.

«Drop en zonzon» pour promouvoir la pratique du rugby et ses valeurs au cœur des prisons

Né en 2009, ce dispositif n’avait étonnamment jamais franchi les murs de la prison de Perpignan. Malgré cet oubli fait à la cité des deux rugbys, l’initiative a ravi l’ensemble des participants, détenus, surveillants, mais aussi les joueurs espoirs de l’Usap mobilisés pour l’occasion. Hugo, Christophe, Matéo et Guillaume, tous membres de l’équipe espoir de l’Usap, appréhendaient un peu de franchir les portes de la prison de Perpignan. «Mais au final, tout s’est effacé quand on est arrivés sur le terrain.»

Le sport comme souffle de liberté derrière les murs de la prison de Perpignan

Comme une volée de moineaux, la vingtaine de détenus sortis de leur cellule, de la maison d’arrêt ou du centre de détention, profite de leur arrivée sur le terrain débroussaillé pour l’occasion. Le sport, et cette activité amène comme un souffle de liberté pour ces détenus parfois entassés à trois dans les cellules exiguës de la prison de Perpignan. Pendant ces quelques heures, ces hommes, de 20 à 50 ans apprécient l’après-midi dédiée au rugby et tentent d’oublier punaises de lit et promiscuité.

Après, un premier tour de piste, Laurie apostrophe. «Bon les gars, j’attends de vous un comportement irréprochable. Que ce soit sur l’activité, ou au moment du goûter, on se fait plaisir. Je compte sur vous, parce que si vous n’êtes pas sages, vous m’aurez dans le collimateur. On se fait honneur, on se fait plaisir.» Derrière ce discours se cache Laurie. Du haut de son mètre soixante, la jeune femme mêle propos maternels et autoritaires. Une attitude qui n’a pas l’air de gêner les participants ; au contraire, le respect et l’amitié se lisent dans leur regard. Ces hommes, parfois à l’envergure imposante écoutent et apprécient visiblement l’attitude de la jeune femme.

Laurie n’a pas encore franchi le cap des quarante ans, elle est pourtant catégorique, le sport est un vecteur de réinsertion. «À travers le sport, on essaye de leur rappeler qu’il y a toujours des règles, tout comme dans la vie. Quand ils descendent, j’attends d’eux calme et silence. Je leur dis, « ici vous pouvez crier, mais dans la vie il y a des règles, et si vous êtes là c’est qu’à un moment vous avez oublié ces règles. » Si à travers les valeurs du sport ou mon discours, je peux en convaincre un sur dix, c’est déjà ça.» Laurie et John sont surveillants, ils ont passé un concours de moniteur sportif pénitentiaire, et ont troqué l’uniforme par le survêtement. Désormais, ils font partie du pool de trois moniteurs de sport pénitentiaire de Perpignan.

Pas le temps de palabrer, le ballon ovale n’attend pas

Après ces quelques mises au point, Matthieu, Kamel, Brice ou Kevin s’échauffent. Certains jouent des muscles en alignant les tractions sur la traverse de la cage de foot, d’autres préfèrent faire quelques passes, avec les ballons ronds ou ovales. La plupart sont plus adeptes du foot que du rugby. Mais peu importe la forme du ballon, les sourires illuminent les visages. Après près d’une heure d’échauffement sous la chaleur, une pose s’impose. Le temps de quelques blagues.

En attendant l’équipe nationale de rugby pénitentiaire et les espoirs de l’Usap, Kader, Ferdinand ou Loïc s’essayent au jeu de l’âge avec Laurie. À la question de la monitrice sur son âge, le plus jeune, bob vissé sur la tête répond, «vous me donnez quel âge madame ?» Laurie tente, «28 ans ? », «J’en ai 22.» Certainement l’effet du bob et de la barbe. Laurie renvoie la question, «et moi, vous me donnez quel âge ?» Le jeune homme hésite mais tente, «41 ans ?» Mi-agacée, mi-blagueuse, Laurie s’emporte. «Si vous parlez comme ça aux filles, ça va pas le faire. Je n’ai pas encore fêté mes 40 ans. Pour la peine, vous serez privé de sport !» lance Laurie en mode plaisanterie, et les rires fusent.

John est ravi de constater le succès de l’activité. «On a la foi, on monte des activités avec très peu de budget, et ça nous fait plaisir de voir qu’ils sont volontaires pour le sport.» Au-delà de cette première étape pour le rugby en prison, les détenus de la maison d’arrêt, condamnés à des courtes peines, ont accès à la musculation deux fois dans la semaine. Idem pour ceux détenus au centre de détention, ils accèdent au gymnase flambant neuf et au terrain deux fois par semaine, contre une seule pour ceux de la maison d’arrêt. L’activité sport est très populaire et le nombre de places est limité. «Ils aiment le sport, ça a un effet libérateur. Aujourd’hui, ils vont passer tout l’après-midi en dehors de leur cellule, contre une seule sortie en promenade.»

Coup d’envoi et match de rugby au toucher

Après l’échauffement, place au match. Sur le terrain deux équipes de 15 bonshommes. La seule différence ? Les sans dossards affrontent ceux équipés des dossards jaune ou orange. Derrière les barreaux de la prison ou sur un terrain classique, les mots restent les mêmes : «touche», «en avant», «essai». Seuls la mêlée et le drop manquent, ici on joue à la touche à deux mains. Laurie se transforme en coach, «en arrière les gars, gardez votre liiiigne !». Après les coups de sifflet qui marquent les touches, certaines personnalités se révèlent. Ainsi Greg conteste systématiquement, et tous le moquent, «t’es le râleur de service c’est ça ?». Greg rie et assume presque, «ouais, mais il a pas touché à deux mains ! Ouais, bon d’accord,» finit-il par concéder.

Après quelques belles accélérations et essais marqués, le sifflet marque la fin du match. Têtes rougies et trempées par l’effort, tous se saluent sportivement avant de débriefer les bonnes actions. Les échanges bifurquent vers la coupe du monde de rugby et les pronostics des uns et des autres. Pour certains usapistes, c’est l’Afrique du Sud qui va gagner la compétition.

Goûter pour tous. Au menu Coca cherry, Tropico, bonbons, ou barres de chocolat. Selon Laurie, certains n’ont pas de chocolat en dehors des colis de Noël. Pendant que chacun profite de sa boisson, Laurie et John débriefent. Les deux moniteurs remercient les intervenants extérieurs. «Merci à tous d’être venus, c’est important pour vous mais surtout pour eux.» Quant à Laurie, elle rappelle que l’activité fut aussi l’occasion de tisser des liens avec notamment l’Usap. Un rendez-vous est déjà calé pour envisager de nouvelles collaborations entre le rugby et la prison.

Après une photo de groupe et quelques tapes dans le dos, chacun repart vers son quotidien. Les détenus retrouvent leur cellule encombrée, les membres de l’équipe de rugby pénitentiaire leur centre de Toulouse, Béziers ou Agen, et les espoirs de l’Usap les bancs de leur école de formation pour devenir éducateurs sportifs et joueurs professionnels.

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Maïté Torres