Article mis à jour le 19 novembre 2020 à 19:16
C’est la sortie sur les écrans du film d’Édouard Bergeon Au nom de la terre et surtout le discours de l’acteur Guillaume Canet qui a fait réagir Jean-Paul Pelras. Jean-Paul est une « figure catalane » de la résistance paysanne. Agriculteur déchu par la crise du maraîchage dans les Pyrénées-Orientales, il est depuis devenu journaliste et auteur. Fin septembre, il a rédigé un éditorial dans le journal l’Agri. Il y accusait Guillaume Canet de prôner « une forme de moralisation qui ne cherche pas à défendre le paysan, mais plutôt à lui dicter une autre façon de travailler ».
La suite est assez rare pour la souligner, Guillaume Canet a contacté l’auteur de l’édito. L’occasion pour Jean-Paul Pelras d’une discussion avec l’acteur, de réaliser une interview de l’acteur, et de se féliciter que l’Agri soit lue jusqu’à Paris.
♦ Près de 2 millions de spectateurs pour « Au nom de la terre »
Le film est inspiré de l’histoire personnelle du réalisateur. Ce dernier a souhaité porter « un regard humain sur l’évolution du monde agricole de ces 40 dernières années ». « Pierre a 25 ans quand il rentre du Wyoming pour retrouver Claire sa fiancée et reprendre la ferme familiale. Vingt ans plus tard, l’exploitation s’est agrandie, la famille aussi. C’est le temps des jours heureux, du moins au début… Les dettes s’accumulent et Pierre s’épuise au travail. Malgré l’amour de sa femme et ses enfants, il sombre peu à peu… »
Le réalisateur porte à l’écran l’histoire de son père et de son grand-père, et va au-delà. Il s’agit pour Édouard Bergeon « d’un message politique, mais dans le sous-texte. C’était très important de ne pas surligner mais d’être précis dans la reconstitution des décors, du matériel, des pratiques de l’époque. Par exemple, on voit que le grand-père pique ses moutons aux antibiotiques. Ce sont de petites touches mais elles sont parlantes. Si le film pouvait éveiller la conscience de nos concitoyens, ce serait formidable ».
♦ Promotionnel ou émotionnel, Jean-Paul Pelras trouve « suspect » le discours de Guillaume Canet
Guillaume Canet qui interprète Pierre, le père du réalisateur, a écumé les plateaux pour faire la promotion du film. Le 22 septembre, il déclare au micro d’Europe 1.
“Je ne sais pas ce que bouffe mon fils à l’école le midi et ça m’emmerde considérablement. On mange mal, on ne veut plus payer pour manger et on ne veut plus cuisiner pour manger”.
Jean-Paul Pelras, agriculteur devenu journaliste, reste encore aujourd’hui considérablement marqué par sa vie de paysan. Tantôt fils d’agriculteur, tantôt jeune exploitant agricole, tantôt syndicaliste engagé dans la lutte du métier face à la concurrence espagnole, Jean-Paul Pelras ne cache pas son amertume face à la métamorphose imposée au monde agricole. Particulièrement sourcilleux quand il s’agit d’agri-bashing, il ne pouvait rester silencieux face à ce discours qu’il cherche à décrypter.
« Où est le message, une fois le côté émotionnel évacué, une fois le pathos exploité par la machine à cash cinématographique ? »
♦ « Au nom de la terre », ce que veut voir le public et non la réalité ?
Jean-Paul Pelras prévient d’un scénario catastrophe, celui où la France ne pourra plus nourrir ses citadins. Il dénonce le discours hors-sol qui voudrait nourrir « intramuros les citadins avec du circuit court et des millions de ménages gagnant le smic avec du bio ». Il déplore l’ingérence dans ce message. Un message qui ne tient pas compte des causes multifactorielles et qui se bercerait d’un idéal totalement irréaliste.
Jean-Paul Pelras s’interroge. “Pourquoi la société est-elle prête à entendre ce que raconte un acteur sur le quotidien des agriculteurs. Alors qu’avant d’avoir tourné ce film, il n’était peut-être jamais monté sur un tracteur ? Alors que, depuis des décennies, les paysans essayent d’alerter en vain sur l’érosion et sur les difficultés économiques que traverse leur profession« .
La réponse est simple, pour celui dont l’engagement syndical l’a conduit à passer 14 jours en prison. Il s’agit de donner à voir au public ce qu’il veut voir et non la réalité. Une réalité qui pourrait selon Jean-Paul Pelras décevoir le public à défaut de le convaincre.
♦ L’appel de Guillaume Canet et l’explication entre les deux hommes
« Bonjour Monsieur, Guillaume Canet au téléphone »… Jean-Paul Pelras a d’abord cru à une mauvaise blague. Guillaume Canet n’a guère apprécié l’édito du 26 septembre 2019. Après une franche discussion à propos de l’engagement et du parcours de chacun, s’est ouvert un dialogue. Deux hommes qui avaient, chacun à leur façon, par procuration ou directement, côtoyé ou vécu “la difficulté agricole”.
Guillaume Canet « n’a pas caché sa déception et le regret de ne pas avoir été, avec l’équipe du film, toujours compris par certains responsables ou interlocuteurs du monde agricole ». Après cet échange téléphonique, Jean-Paul Perlas a réalisé une interview de Guillaume Canet.
♦ L’interview de Guillaume Canet par Jean-Paul Pelras
Ce dernier a répondu à 10 questions adressées par le journaliste. Extraits choisis. Alors que Jean-Paul Pelras rappelle la distorsion de concurrence entre la production agricole française et celle venue du Maroc ou d’Espagne, Guillaume Canet insiste sur le discours distillé lors des avant-premières au public.
« Les consommateurs sont eux-mêmes extrêmement responsables de la situation et de la difficulté des agriculteurs aujourd’hui en France. Leur rappeler qu’ils sont concernés car ils ont tous une assiette devant eux et cette assiette ce sont les agriculteurs qui la remplissent. Ils ont une grosse responsabilité dans la situation. Il faut qu’ils prennent conscience qu’en achetant ce genre de produits importés, ils fragilisent, voire anéantissent, l’agriculture française ».
Guillaume Canet revient également sur la nécessaire prise de conscience individuelle dans la crise vécue par le monde agricole. Indiquant que lui-même tentait par sa voix de faire du bruit et d’alerter sur la situation alarmante que vivent les agriculteurs en France.
Interview à lire dans son intégralité dans le journal l’Agri du 21 Novembre. Relire notre article écrit lors de la sortie du livre « Le journaliste et le paysan » aux éditions Talaia.
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