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Florent Manelli, auteur et militant gay entre Perpignan et Paris

Florent Manelli, auteur gay entre Perpignan et Paris

Article mis à jour le 5 août 2024 à 12:24

Florent Manelli est auteur, illustrateur et militant gay, mais il est avant tout Perpignanais. Aux éditions Points, Pédés est un recueil de huit essais qu’il a coordonné. L’ouvrage revient sur la pluralité des vécus gays, sur l’importance de la solidarité communautaire et sur la tendresse d’un homme pour sa ville natale. Retour sur un parcours engagé, entre Perpignan et Paris. Photo © Sev Pieto

Ton parcours a commencé à Perpignan et tu as passé ton enfance et ton adolescence ici. Quels souvenirs gardes-tu de cette période ?

J’ai vécu vingt ans à Perpignan. C’est beaucoup de souvenirs à des moments de ma vie très différents. Je me souviens de l’été, de la plage entre Canet et Saint-Cyprien et de grandes randonnées avec mes parents dans les Pyrénées.

Les souvenirs d’école à Porte d’Espagne aussi, le collège-lycée du Cours Maintenon et de Bon Secours. Quand je me baladais seul dans ce centre-ville que je connais maintenant comme ma poche, j’avais l’impression de devenir adulte. Je me sentais hyper libre.

Quant à mes années de prépa à Bon Secours, elles étaient centrées sur ce que je voulais faire après. Je ne voyais pas d’avenir professionnel ou étudiant à Perpignan. Et j’ai commencé à me détacher de cette ville et de ses codes à ce moment-là.

Tu écris dans ton texte issu de Pédés, que tu te sentais profondément seul à ce moment de ta vie, jusqu’à t’interdire d’aimer.

Mon texte s’intitule « Paris-Perpignan. » Je voulais raconter quelque chose sur ma sexualité, sur ma ville et ma vie, quelque chose qui a été théorisé par le philosophe Didier Eribon sur la fuite des homosexuels des petites villes vers les grandes. Je l’ai moi-même expérimentée en quittant à l’âge de vingt ans Perpignan pour Paris.

Dans le texte, je raconte au travers d’un voyage en train, le chemin de moi-même vers moi-même, une réconciliation de ma ville choisie vers ma ville subie, celle de ma naissance, et l’équilibre que je trouve aujourd’hui, quinze ans après être parti, entre ces deux lieux.

Donc oui, ma vie à Perpignan a été difficile : j’avais très envie de m’émanciper de toute l’homophobie que je pouvais expérimenter, qui était plus ou moins frontale. Je voulais vivre enfin ma sexualité, me fondre dans la foule, me retrouver là où tout se passe, vivre, enfin, dans une grande ville où je pourrais rencontrer des hommes comme moi. En arrivant à Paris, s’est ouvert à moi un champ des possibles que je n’avais jamais pu imaginer à Perpignan.

Comment ta vie a-t-elle changé ?

Vivre à Paris, c’était ressentir très fort au fond de moi l’excitation de l’inconnu, un rythme où les choses s’enchaînent, où il se passe toujours quelque chose. J’avais cette exaltation constante de me dire « Mon Dieu, mais c’est un rêve ! »

Ma vie a changé parce que j’ai rencontré des garçons comme moi qui avaient fui leur ville pour Paris. Ils cherchaient d’autres corps masculins pour vivre des relations amoureuses, sexuelles, trouver de la chaleur quelque part.

Paris m’a permis de m’émanciper, de trouver ma voix, mes voix : des voix créatives, politiques, militantes, professionnelles aussi. Paris a façonné en très grande partie ce que je suis aujourd’hui.

« Ce voyage est un moment suspendu, une parenthèse, un purgatoire entre des retrouvailles et l’inconnu, la chaleur des habitudes et l’électricité de la nouveauté, la routine et les souvenirs à créer, les amitiés à se faire et à défaire, les repères connus et ceux à trouver. C’est aussi un pont entre la ville qui m’a vu naître et celle qui m’a construit, entre une vie subie, en quelque sorte, et une vie choisie. » Pédés (pages 146-147)

Tu viens de parler du trajet de train qui relie Paris à Perpignan comme d’une espèce de pont entre deux villes/vies, mais aussi comme d’un moment teinté d’excitation et d’appréhension. Comment qualifierais-tu ton rapport à Perpignan ?

Aujourd’hui j’ai une tendresse immense à l’égard de Perpignan et sa région, peut-être parce qu’en vieillissant il y a un peu de nostalgie qui vient se mêler, mais peut-être aussi parce que j’ai cette espèce de fierté de l’identité régionale. Je connais quelques mots de catalan, je comprends les expressions d’ici. Et je me réjouis de manger les plats locaux, de retourner dans des endroits que j’avais un peu abandonnés pendant quinze ans…

Je me reconnecte avec des choses que j’avais mises à distance pendant longtemps. J’avais besoin de me créer une autre identité à Paris, d’effacer mon accent, de me mêler à la foule dans une forme d’anonymat. Aujourd’hui je comprends mieux et j’embrasse ce qui fait mon identité de manière plus large.

Tu parles aussi dans “Paris-Perpignan” de l’absence de récits LGBT positifs qui t’a marqué, mais aussi beaucoup de « pédés » de ta génération. Ton travail d’illustrateur et d’auteur tente de bousculer ces « années de lavage du cerveau hétérosexuel », et c’est par exemple ce que tu tentes de faire dans 40 LGBT+ qui ont changé le monde ?

Oui, c’est un travail qui a commencé en 2017, à l’époque où j’ai découvert que la Grande-Bretagne célébrait le mois de l’histoire LGBT. Je suis tombé de ma chaise quand j’ai réalisé à 27 ans que ma communauté et moi avions une histoire. J’étais en colère de me dire qu’on me l’avait possiblement cachée, mais très ému devant toutes ces vies.

Je me suis donc dit que si ça n’existait pas, il fallait que je le fasse : je savais dessiner, j’allais écrire pour que d’autres personnes qui vivent la même chose que moi – le manque de représentations – aient un objet comme une porte d’entrée vers cette histoire, vers ces représentations positives qui permettent de vivre un peu plus sereinement que dans le passé.

40 LGBT+ qui ont changé le monde. Les deux tomes datent respectivement de 2019 et 2020, et ont abouti à une exposition de 50 portraits traduite en anglais.

Le premier tome, sorti en 2019, rassemble quarante portraits avec des biographies, des collages, des dessins. C’est très accessible, très pop, assez joyeux aussi : je voulais vraiment le livre grand public. Un peu plus d’un an après est sorti le deuxième tome.

La visibilité des existences LGBT est un phénomène majoritairement urbain et qui peine à s’étendre en province. As-tu toutefois intégré dans ton livre des parcours ruraux ?

Je pense que des formes de résistance existent dans le monde rural : avec par exemple des marches des fiertés des campagnes. Il y a même des territoires où des personnes queers retournent à la campagne pour vivre ensemble. Il y a donc comme cela des poches de résistance et de vie LGBT dans les campagnes.

Par rapport à 40 LGBT+ qui ont changé le monde, on a assez peu de traces de vies LGBT dans les campagnes, parce qu’elles s’affichaient et que les registres sont moins documentés. Les personnes dont je parle dans 40 LGBT+ sont peut-être nées à la campagne, mais elles se sont mobilisées dans les grandes villes.

As-tu rencontré des figures catalanes dans tes recherches ?

Non, mais c’est peut-être quelque chose à rechercher dans les archives. En revanche, il y a des personnes qui militent à Perpignan : je pense au centre LGBT qui fait un travail remarquable localement. Quand je suis parti, je n’aurais jamais pu imaginer qu’il y ait une pride à Perpignan, c’est donc la preuve que les choses bougent !

Tu précises avec les co-auteurs de Pédés que si le travail de ces militants est si urgent et nécessaire, c’est que l’homophobie blesse et tue encore. Tu écris que si les luttes LGBT sont une question de bataille culturelle, elles sont pour les personnes concernées un enjeu vital.

Oui. En fait, la visibilité reste puissante, mais elle ne peut pas tout. Au contraire : rendre visible une communauté quand l’arsenal législatif, médical ou même social n’est pas au même rythme et dans un contexte LGBTQIphobe, cela peut être dangereux. C’est ce qui s’est passé lors des débats sur le mariage pour tous en 2013 : SOS homophobie a constaté une explosion des agressions homophobes.

Donc cette visibilité est très importante, mais reste un outil qui doit accompagner un mouvement de fond. Les avancées légales, médicales, sociales, dans les entreprises, dans les institutions… sont essentielles.

Tu parles d’avancées politiques mais qu’en est-il du langage ? Ton dernier livre collectif s’intitule Pédés. Pourquoi avoir choisi ce terme ?

C’était important d’avoir un titre qui redonne de la couleur à un mot qu’on a tous entendu. C’est la première insulte dans les cours de récréation, qui nous assigne, nous soumet à une place, elle nous invalide. L’injure – comme l’écrit Didier Éribon – nous précède. Avant même que l’on puisse se définir, on nous traite de pédé. Il y aurait chez nous quelque chose que le système juge bizarre, déviant, dysfonctionnel.

On avait envie de se réapproprier ce mot. C’est le principe de la réappropriation du stigmate : dépouiller de sa violence un mot dégradant. Nous voulions lui redonner une couleur joyeuse, engagée, émancipatrice, et ancrée à gauche aussi.

C’est « Pédés » au pluriel aussi : tu as fait le choix d’un ouvrage collectif qui célèbre les existences homosexuelles dans leur diversité. Pourquoi avoir réuni plusieurs auteurs dans ce livre ?

Dans Pédés, huit textes se répondent en miroir. Ils racontent différentes manières d’être au monde en tant que pédé. Adrien Naselli aborde la question de la classe sociale et de l’homosexualité : il parle de son cousin gay ouvrier dans un petit village, et de lui, journaliste à Paris. Tous les deux expérimentent des choses très différentes de ce mot-là.[…]

On voulait raconter quelque chose de pluriel dans ce livre. Moi, je ne pouvais l’imaginer autrement que de manière collective : j’aurais trouvé ça extrêmement triste de ne raconter qu’un seul point de vue. Il fallait ramener du collectif au sein d’une communauté trop souvent en prise avec ses propres luttes internes et qui manque parfois de solidarité. On n’est jamais pédé seul, on l’est dans un groupe et un contexte social.

« Je suis pédé, ce n’est pas qu’une question de fierté, c’est désormais un cri que je pousse dans le silence assourdissant de l’indifférence, dans la brutalité des clichés, dans la violence de l’oppression. Je le hurle à chaque coin de rue parce que c’est comme cela que je me sens vivant désormais, que j’existe, que chaque matin je peux poser un pied devant l’autre. » Pédés (page 157)

Tu as parlé de la visibilité et comment elle peut être une arme à double tranchant. Que doit-on mettre en lumière quand on parle d’homosexualité ? Qu’est-ce qu’être pédé ? Est-ce simplement un homme qui aime un autre homme ?

Non, je dirais même qu’il ne s’agit certainement pas de cela. Je crois qu’il s’agit de parler de la manière de vivre dans une société qui n’est pas faite pour nous. Et qui n’a jamais pensé notre existence dans ses institutions, dans ses espaces médicaux et médiatiques.

Nous voulions montrer comment les gays, au fil du temps, ont façonné leurs propres espaces. leurs propres codes vestimentaires, verbaux, culturels, leurs propres manières de relationner ou de faire famille. En tant que pédés, nous avons un rapport au sexe, au corps, au travail, à l’espace public qui est différent. Toutes ces références font le ciment de ce que nous sommes aujourd’hui.

Il s’agit donc avant tout de cultures politiques ?

Oui, dans Pédés, les vies racontées ont une dimension politique au sens large. Elles remettent en question une norme cis-hétérosexuelle* vers laquelle nous n’avons pas nécessairement envie de tendre. Nous voulons célébrer toutes nos cultures et tous ceux qui nous ont permis d’être flamboyants et de marcher un peu plus libres qu’avant. Être pédé, c’est une joie, c’est un bonheur. Ces dernières années, et encore plus après avoir coordonné ce livre, il y a des jours où je me dis : « Je remercie le Ciel d’être pédé ! »

*Se dit de personnes cisgenres (soit non transgenres) et hétérosexuelles (soit non homosexuelles). On parle de système dans la mesure où être cisgenre ou hétérosexuel est de l’ordre de la norme (on ne se définit pas comme tel). Cf. La Pensée Straight de Monique Wittig.

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Valentin Arnal