Article mis à jour le 18 mai 2019 à 07:26
Certes, il ne quitte pas le territoire puisque sa nouvelle nomination lui permet de rester vivre dans les Pyrénées-Orientales. Mais ce n’en est pas moins une page qui se tourne pour l’enseignant-chercheur en STAPS* devenu le plus jeune président d’université de France en mars 2012. Publié il y a quelques jours, l’arrêté acte sa nouvelle mission au sein du corps de l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR). Un corps qui a vocation à « observer, apprécier l’organisation du système éducatif à tous les niveaux d’enseignement ». Entrevue et questions-réponses autour de son bilan, de ses prétendues ambitions politiques, du développement du territoire, du devenir de la fondation universitaire ou encore du portrait-robot du futur président ou présidente de l’Université de Perpignan.
♦ Un bilan sur ces 7 ans de présidence et 5 ans de vice-présidence ?
Fabrice Lorente l’assure, le temps viendra prochainement de faire un bilan détaillé de son action. Je pourrai répondre à ce genre de questions quand je me serai mis en mode bilan. Pour le moment, je suis sur l’annonce, sur le coup de l’émotion compte tenu de mon attachement à la structure. Mais j’ai besoin de faire le bilan, clôturer cette page correctement. J’ai à coeur de faire un bilan qui tienne la route et qui soit réfléchi. Cela se fera dans une quinzaine de jours.
Toutefois, quand on l’interroge sur les bons et les moins bons souvenirs, il marque un long temps d’arrêt. Comme pour mieux faire le tri sur les très nombreux bons souvenirs, des moments de joie intense de partage avec les équipes. Puis se lance et évoque pêle-mêle, non sans émotion …
Comme fin 2011, l’obtention du programme Miró face à un jury international, composé entre autres de ministres. Trois semaines avant l’élection, ça avait été un tel travail avec les équipes, j’avais bossé jour et nuit. Et quand on l’a obtenu, c’était une grande satisfaction. Un grand souvenir.
Il revient également sur l’appel de la Ministre de l’enseignement supérieur. Un grand soulagement et une grande satisfaction quand elle nous a annoncé que nous avions gain de cause sur le CPER** et les 19M€. Une somme que nombre d’observateurs considérait comme un simple rattrapage de dotation sur une université parfois oubliée.
Maintenant, peut-être le plus beau souvenir que j’ai, parce que c’était tellement compliqué et tout le monde nous voyait perdant sur le coup, est quand on a obtenu l’habilitation de la Commission des Titres d’Ingénieur***(CTI) pour l’école d’ingénieurs Sup’ENR. Parce qu’il y avait de telles forces contraires. Tout le monde, même en interne, était persuadé que nous faisions fausse route. Nous étions très peu à y croire. Certains collègues étaient même réprobateurs sur le projet… Et alors en externe ! On se moquait presque de nous !
Du coup, quand on a eu l’appel de la CTI nous disant que nous étions habilités pour lancer le première école d’ingénieurs d’Europe sur les énergies renouvelables, et que, dès la première semaine, nous avons eu 5.000 candidatures, je me suis dit qu’on était dans le vrai. Qu’on apportait quelque chose de majeur pour le territoire. C’est une vraie plus-value pour Perpignan. Une des grandes joies…
Mais il y en a eu beaucoup d’autres tels l’inauguration de l’incubateur, l’université en centre-ville, le sentiment d’œuvrer ensemble main dans la main avec tout le monde, la Région, le Département, l’Etat, et bien sûr la ville. On sentait un vrai engagement et un vrai projet d’avenir.
Interrogé sur les regrets personnels avant de quitter l’UPVD, Fabrice Lorente confie qu’il y a certaines personnes que je ne regretterai pas dans la communauté, mais d’autres qui vont me manquer. Il y a des collaboratrices et des collaborateurs… (marquant une pose pour reprendre sa phrase avec une légère émotion dans la voix). Ça été mon équipe très rapprochée, d’une grande loyauté, d’une grande proximité, d’une confiance absolue. Ce sont des gens que je regretterai, car ce sont des gens de très très grande qualité. Mon regret, c’est de quitter des gens de grande valeur avec qui j’ai eu une grande proximité professionnelle et qui sont très professionnels.
♦ Transformer la ville de Perpignan à l’image de son action à l’Université de Perpignan ?
Malgré une volonté d’éluder la question des élections municipales de 2020, Fabrice Lorente apporte quelques réflexions.
Je suis lucide, je vois aussi la situation politique locale et cela me préoccupe comme beaucoup de citoyens. Le fait qu’on me presse tous les jours dans le sens d’un engagement politique est à la fois flatteur, mais c’est aussi très préoccupant. Cela montre comme disent certains « que la solution est ailleurs ».
J’ai bien travaillé avec le maire de Perpignan et j’apprécie l’homme, on me prête des ambitions avec lui. Mais je m’entends aussi bien avec la présidente Région Carole Delga, le maire de Baixas, celui de Canet-en-Roussillon, celui de Cabestany. Je suis très proche de plein de maires, pourquoi focaliser sur maire de Perpignan ? On est en train de me ranger dans une case avant même que j’ai dit quoi que ce soit, ne serait-ce que le début du commencement. Mais il y a un temps pour tout et je ne souhaite pas m’exprimer sur ce sujet.
Je fais un choix de carrière, et je m’exprime sur le sujet qui est de mettre fin par anticipation à mon mandat de président, de quitter mon métier de base qui est celui d’être professeur d’université et de rejoindre l’inspection générale. Pourquoi faudrait-il qu’il y ait des éléments cachés ou sous-jacents ? Je suis ravi de tourner la page et très heureux de rejoindre l’inspection. Parce que je pense qu’il y a beaucoup de choses à faire au bénéfice des politiques publiques notamment autour des questions d’éducation, d’enseignement de la maternelle jusqu’au supérieur en passant par la recherche… Je suis très enthousiaste à l’idée de rejoindre ce corps prestigieux, un beau poste, un beau métier passionnant. Je vais découvrir de nouveaux horizons, de nouveaux modes de fonctionnement…
♦ Le départ d’un profil comme le vôtre du département est-il un signe que le territoire ne peut offrir de perspectives professionnelles intéressantes ?
Après un très long moment de réflexion, le futur-ex président de l’université déclare : moi, je ne viens pas du département, j’ai choisi d’y venir. Je n’ai donc pas subi le territoire, je l’ai embrassé (NDLR, Fabrice Lorente est originaire de Marseille). Aujourd’hui, c’est mon territoire, je me sens d’ici. Mais vraiment fondamentalement. J’ai eu un coup de coeur pour le territoire, donc cela ne se pose pas en ces termes parce que l’attachement, le côté affectif qui prend le dessus pour le territoire, n’obèrent en rien les évolutions de carrière. Pour preuve, je vais continuer à vivre ici, tout en ayant un destin professionnel beaucoup plus large.
Je pense qu’avec l’accélération des technologies, des transports, ce territoire peut attirer de nombreux talents. Il y a de tels atouts et si on capitalisait sur certaines filières fortes notamment en s’appuyant sur les zones de forces de l’université…
Plutôt que d’inventer des filières sur lesquelles nous ne sommes pas bons… Le territoire n’est pas bon sur le numérique. À Montpellier ou à Barcelone, il y a des clusters qui sont mille fois plus forts et articulés. Il ne faut pas se tromper de cible de développement. En revanche, là où on est bon et où on est leader, les énergies renouvelables, le solaire, tout ce qui en lien avec les bio-environnement, le milieu marin. On est un leader naturel, parce qu’on a des chercheurs réputés, des ressources naturelles, l’ancrage. Et on a la chance d’avoir une université reconnue, dans ces domaines là, au niveau européen et international.
Si on est enfin capables de capitaliser sur nos zones de force pour en faire un atout économique, je suis convaincu qu’on peut créer de l’emploi, attirer des filières. Mais pour cela, il faut une volonté politique et développer le projet. Je pense que ce département peut devenir une zone d’attractivité économique et d’emploi sur ces domaines-là. Il faut un vrai plan, un plan P-O 2030. Une vision, une stratégie d’avenir, une route, un cap. Quelles sont les 3 filières d’emploi que l’on veut créer dans le département ? Il faut faire de nos faiblesses des forces !
♦ Un regret ? Les ambitions personnelles qui prennent le pas sur l’intérêt collectif
J’ai lu que certains disent que j’ai réussi à fédérer autour de nos projets. Oui c’est vrai. Mais mon regret, c’est que les acteurs de ce département ne soient pas en mesure de laisser de côté certaines ambitions personnelles, petites ambitions personnelles, insiste-t-il, au bénéfice de l’intérêt collectif. Je regrette que quelques petites têtes aient une volonté hégémonique d’empêcher. Et qu’ils passent beaucoup d’énergie à empêcher plutôt qu’à co-construire. D’aucuns diront que c’est une vision naïve des choses… Mais j’y crois parce que cela se fait ailleurs.
Prenant l’exemple d’autres villes universitaires comme Alès, où tout le monde travaille ensemble malgré des divergences de positionnement politique. Là bas, tout se passe bien avec la Région, l’agence de développement économique… J’ai tout fait pour que tout se passe bien, j’ai essayé de tendre la main, d’associer à nos projets … Mais certains n’ont pu s’empêcher de vouloir tout saborder, et je trouve cela indigne. Oui, indigne, tout simplement indigne. Et du coup, on perd du temps, de l’énergie. Se défendant néanmoins d’une quelconque volonté de règlement de compte avec des petits barons des P-O… Mais heureusement qu’il y a un autre élan, un autre allant, des dynamiques qui avancent et qui sont heureusement beaucoup plus nombreuses. Malgré cela, les forces motrices de l’université font que l’on avance quand même.
♦ Démission de la présidence de l’université, mais qu’en est-il de sa fondation**** ?
Selon celui qui a contribué à la création de la fondation UPVD, la question de sa présidence n’est pas encore tranchée. Pour rappel, le mandat de président de la fondation court jusqu’en 2023 et Fabrice Lorente aimerait, si rien de ne s’y oppose, poursuivre sa mission. Car rappelle-t-il : c‘est tout à fait possible qu’un non-universitaire soit président de la Fondation. Moi, j’attends deux choses, la sécurisation des aspects juridiques, d’une part, et l’aval des fondateurs d’autre part. Mais ma volonté est d’essayer de continuer la mission de la fondation .
♦ Le portrait-robot du nouveau président ou présidente de l’université ?
Nicolas Dorandeu, vice-président, sera dès le 1er juin, président de l’université par intérim. Il est chargé d’organiser l’élection, par le Conseil d’Administration, en place d’un nouveau président. Ce dernier restera président jusqu’à la fin du mandat, à savoir en mars 2020. Date à laquelle de nouvelles élections classiques se tiendront.
Interrogé sur le portrait-robot du nouveau président, Fabrice Lorente répond : on ne va pas commencer à parler de noms ! Mais du métier de président, parce que c’est un vrai métier. On ne gère pas un établissement avec 940 personnels et de 80 millions d’euros en claquant des doigts. Un président d’université, c’est forcément un enseignant-chercheur. Un enseignant-chercheur n’est pas formé, ni qualifié pour devenir le chef d’une structure comme celle-ci.
Bien sûr, il n’est pas seul. Mais il faut avoir une vision, et mettre les mains dans la gestion quotidienne, les ressources humaines …. Donc, je pense qu’aujourd’hui il faut quelqu’un qui ait conscience de cela, qui ait un minimum d’expérience et de proximité dans la gestion. Qu’il ait du recul, du bagage, et qu’il ait un vrai projet d’avenir fédérateur. Il faut aussi qu’il ait une appétence particulière pour tout ce qui est partenariat externe. Parce que le salut de l’Université de Perpignan passera par l’ouverture de la structure au monde environnant. Il faut quelqu’un quoi soit en capacité de créer ce lien, de l’entretenir, de le développer. Moi, je dois avouer qu’aujourd’hui, si une personne de mon équipe rapprochée décidait de se présenter, il aurait tout mon soutien. Fabrice Lorente d’insister : « tout mon soutien ».
♦ Nota bene
*STAPS : Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives
**CPER – Un contrat de plan État-région (CPER) est un document par lequel l’État et la région s’engagent sur la programmation et le financement pluriannuels de projets importants d’aménagement du territoire tels que la création d’infrastructures ou le soutien à des filières d’avenir. Les CPER sont des contrats sur 6 ans. (Source wikipédia)
***Commission des Titres d’Ingénieur (CTI) est une structure autonome au sein du ministère de l’enseignement supérieur chargée des formations d’ingénieurs de France.
****La Fondation UPVD a été créée en 2008. Elle est chargée de faire le lien entre l’université et le monde socio-économique. Elle a aussi pour mission de collecter des fonds pour l’université dans le cadre de projets innovants.
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