Deux ans après, la communauté juive des Pyrénées-Orientales reste profondément marquée. Si l’émotion demeure vive, son président, Jacob Sberro, appelle avant tout à la sérénité : ne pas « importer le conflit », faire confiance à la République et refuser toute confrontation locale. Entre inquiétude face à la montée de l’antisémitisme et espérance d’une paix durable, il témoigne d’un climat où la vigilance se mêle à la lassitude.
Le 7 octobre 2023, le Hamas lançait depuis la bande de Gaza une attaque d’une ampleur inédite contre le sud d’Israël. En quelques heures, 1 219 personnes, en majorité des civils, furent tuées et 251 autres enlevées. Ce jour-là, Israël entrait dans une guerre qui allait s’étendre à l’ensemble du territoire gazaoui, provoquant un conflit parmi les plus meurtriers de ces dernières décennies. Deux ans plus tard, plus de 65 000 Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne, la bande de Gaza est dévastée et la société israélienne profondément marquée. L’onde de choc du 7 octobre continue de se faire sentir bien au-delà du Proche-Orient, nourrissant tensions politiques, crispations identitaires et montée des actes antisémites dans de nombreux pays, dont la France. Entretien avec Jacob Sberro, président de la communauté juive des Pyrénées-Orientales.
Quelle trace a laissé le 7 octobre au sein de la communauté juive, ici, dans les Pyrénées-Orientales ? Aujourd’hui, quels sentiments dominent ?
Le 7 octobre a été pour nous un séisme émotionnel énorme. On est marqués pour très longtemps. A l’heure actuelle, nous les dirigeants communautaires, nous faisons tout pour ne pas importer le conflit. On veut apaiser au maximum la communauté. Le discours que je tiens chaque semaine, consiste à dire de ne pas faire de vagues. La République s’occupe de nous. Les institutions et les forces de l’ordre nous protègent, donc je dis : « pas d’inquiétude ». Bien sûr, il peut y avoir des fous, ça existe et on le voit malheureusement trop souvent. Donc on reste très vigilants. Mais on veut surtout apaiser : nous ne sentons pas un danger imminent, et nous n’avons pas reçu de menaces. Nous sommes des juifs français, des Français juifs et on fait confiance à la République.
Comment observez-vous les derniers événements sur place et la perspective d’un accord de paix sous l’égide de Donald Trump ?
L’espoir renaît ces jours-ci. D’abord celui d’assister à la libération des otages encore détenus. Et ensuite, celui que cette guerre s’arrête, parce que ça n’a pas de sens. Tous les jours il y a des morts des deux côtés, c’est affreux. Il faut que cela cesse. On espère la paix, pour qu’on puisse vivre en toute amitié avec les Palestiniens. On peut vivre tous ensemble, il faut juste qu’on ait l’intelligence de se mettre d’accord car on ne peut pas, pendant des décennies, se tirer dessus. Ce n’est pas possible. Donc le seul souhait que l’on puisse émettre aujourd’hui, c’est que la guerre se termine. Je n’ai pas tous les tenants et aboutissants du plan Trump mais s’il permet de faire que cette guerre cesse, ce sera merveilleux.
Depuis le 7 octobre, il y a une augmentation des actes antisémites au niveau national. Des exemples locaux ont aussi été recensés, comme à Cabestany où un tag antisémite a été découvert en août dernier. Quel impact ce climat a-t-il ?
On fait en sorte que la communauté soit apaisée et qu’on ne mélange pas tout. Il faut éviter d’importer, comme certaines personnes le font, le conflit en France. Monter les communautés les unes contre les autres, ça n’a aucun sens. Ici, tous les samedis, il y a des manifestations pro-palestiniennes. Et moi, on me demande pourquoi nous ne faisons pas de contre-manifestation. Je dis que non, qu’on n’est pas là pour semer le trouble. Vous voulez quoi ? Qu’on fasse quoi ? Les bagarres entre nous ? Nous, on laisse faire. Et la police fait son travail. On ne va pas faire de contre-manifestation. On ne veut pas de vagues. Au sein de la communauté, on vit notre religion dans le calme, sereinement.
Dans les synagogues, parle-t-on de la politique de Benjamin Netanyahou ?
Sincèrement, on n’en parle pratiquement pas. Chacun a ses opinions. Aujourd’hui, pour être franc, on est solidaires d’Israël. Quand votre peuple est en guerre, vous êtes solidaires. Après viendra le moment de la discussion et des compromis politiques, mais pour l’instant, on est en guerre et on se serre les coudes. Israël se bat pour sa survie, c’est un petit pays attaqué de toutes parts*. Le temps de la politique viendra après. Pour l’instant, la seule chose que l’on veut, c’est que la guerre cesse.
Politiquement, on observe en France un rapprochement entre certaines instances juives et le RN. Quel est votre positionnement, notamment vis-à-vis du maire de Perpignan, Louis Aliot, et de ses actions ?
En tant que président de la communauté israélite des Pyrénées-Orientales, je ne parle jamais de politique. Moi-même, je n’en ferai jamais. Nous sommes une communauté israélite, on fait notre religion, et on ne cherche pas à savoir quels sont les penchants politiques des uns et des autres. Chacun fait ce qu’il veut, chacun vote ce qu’il veut, ça ne m’intéresse pas. Il n’y a aucune consigne, ni sur le plan local, ni sur le plan national. Chacun fait ce qu’il veut. Dans les communautés, il y a des gens qui votent à gauche, et d’autres à droite ou au centre, comme partout. Franchement, il n’y a pas de vote juif ou de vote communautaire chez nous. Ça n’existe pas. Nous, ce qu’on veut, c’est une cohésion dans la communauté juive et surtout une cohésion dans la vie de la cité pour ne pas créer de troubles.
Vous dites qu’il ne faut pas importer le conflit en France, notamment en faisant référence aux manifestations pro-palestiniennes. Quel est votre regard sur la polémique créée par le maire de Perpignan, Louis Aliot, lors de Visa pour l’image ? Pour rappel, la mairie de Perpignan avait organisé une exposition parallèle consacrée aux « massacres du 7 octobre 2023 », une initiative présentée comme une réponse au festival accusé d’avoir un biais « pro-palestinien ».
J’ai été invité et je me suis rendu à l’exposition proposée à la mairie. Après, j’ai entendu dire que les images étaient sujettes à polémique. Je n’ai pas trop de certitude par rapport à tout ça. Le maire a fait un discours pour parler de choses qui se sont malheureusement passées le 7 octobre. Aujourd’hui, tout le monde est au courant de ce qu’il s’est passé, ça a été l’horreur absolue. Après, l’histoire autour des images et de leur utilisation, sincèrement, je n’ai pas trop suivi. Je ne peux pas parler de quelque chose dont je n’ai pas tous les tenants et aboutissants.
Plusieurs médias ont récemment documenté l’exil massif de citoyens israéliens. La communauté, ici, a-t-elle accueilli des familles venues d’Israël depuis le 7 octobre ? Et dans l’autre sens, certains locaux ont-ils fait leur Alya (immigrer en Israël) ?
Des Israéliens qui quittent le pays pour venir en France, je n’en connais pas beaucoup. Par contre, je sais que de nombreux juifs français ont envie de partir. C’est une réalité. Il y en a qui vont partir incessamment, puis il y en a d’autres qui projettent de le faire. C’est triste parce que la France est un pays merveilleux, qu’on adore. Mais c’est vrai qu’il y a des soucis avec des idées nauséabondes et antisémites qui surgissent et rejaillissent. Il ne se passe pas un jour sans qu’un juif soit agressé. Ce climat crée de la peur.
Pour les commémorations, ce mardi 7 octobre, comment allez-vous organiser la journée ?
Le maire de Perpignan, Louis Aliot, va planter un arbre, à 11h, au square Bir Hakeim, près du palais des Congrès. Nous ne pourrons pas y assister, car nous serons en prière pour la fête de Soukkot (fête religieuse juive, ndlr). Donc nous allons nous retrouver à la synagogue et prier pour tous les morts, toutes les victimes. On ne va rien faire de plus. Vous savez, on est tellement meurtris… On aspire surtout à la libération des otages et à l’idée de retrouver une sérénité lorsque la paix régnera.
*Depuis le 7 octobre, l’armée israélienne a bombardé (en plus de la bande de Gaza et de la Cisjordanie) des cibles au Liban, en Irak, au Yémen, en Syrie, en Iran et au Qatar.
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