Article mis à jour le 30 juillet 2019 à 09:25
Le 23 juillet dernier, l’Assemblée nationale a adopté le CETA* par 266 voix contre 213. Très controversé, l’accord libéralise les échanges commerciaux entre l’Union européenne et le Canada. Depuis, les députés La République En Marche signataires sont pointés du doigts, et 9 d’entres eux ont vu leur permanence ciblée. C’est le cas dans notre département. Où la permanence de Romain Grau (député de la 1ère circonscription) a été vandalisée. Quant à Sébastien Cazenove, député de la 4ème circonscription, une benne de fruits pourris a été déversée devant son bureau à Thuir.
Mais quel est exactement l’objet du courroux de ceux qui sont vent debout contre cet accord ? Un accord sensé, à terme, et selon une étude de 2009, faire progresser le PIB de l’Union Européenne de 0,02 % à 0,08 % ? Nous nous sommes penchés sur le traité de plus de 2.000 pages dont 90% sont déjà en vigueur depuis 2017. Notamment l’importation de viande. La ratification des 10%, restés en suspend, porte sur le tribunal arbitral. Selon certains avis, ce dernier permettrait aux investisseurs de remettre en question les normes sanitaires, environnementales et sociales des États. Et ce, sans que l’État en question ne puisse s’y opposer.
♦ Des bœufs nourris aux farines animales…
Commandé par les ministères français des finances, de l’écologie, et de l’agriculture, un premier rapport de 2018 a pour objet de mesurer les effets du CETA après une année de libéralisation des échanges. Cette évaluation a mesuré les effets sur des filières agricoles jugées « sensibles » à ces changements de marché. Ont été étudiés, entre autres, les filières de la viande bovine, porcine, celle de l’éthanol agricole, et celle du sucre.
Pour la viande bovine, la synthèse de ce rapport précise pudiquement que : « la filière pourrait être affectée si l’accord donnait lieu à l’entrée sur le marché de morceaux de haute qualité à moindre coût, déstabilisant l’équilibre économique entre les différents morceaux de carcasse ».
En Europe, et depuis la crise de la vache folle des années 90, les farines qui contiennent des restes d’animaux (sang, os, poisson…) sont interdites pour le nourrissage des herbivores selon le principe de précaution. Des farines qui « ne présentent aucun danger sanitaire, dans la mesure où, depuis l’ESB**, les processus industriels d’inactivation du prion ont été rendus systématiques » selon Lionel Fontagné, professeur d’économie à la Paris School of Economics de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne interrogé par France Info. Or selon ce dernier, cette interdiction est « plus une question éthique que de santé publique ».
Au Canada, il n’existe aucune interdiction des farines animales, et le CETA ne se prononce pas non plus sur ce sujet-là.
♦ … mais pas de bœufs aux hormones… Ou presque
Le rapport de la mission interministérielle rappelle que : « quel que soit le régime de libre-échange en place, l’Union européenne conditionne l’entrée des produits étrangers au respect de certaines des normes sanitaires et phytosanitaires applicables aux produits européens ». En clair, au Canada les animaux peuvent recevoir des doses d’hormones de croissance, mais cette viande, même après entrée en vigueur de l’accord, ne devrait pas pouvoir franchir la frontière.
Mais le diable se niche dans les détails. Certes, l’hormone de croissance administrée dans le seul objectif de stimuler l’animal est bien interdite. Mais le syndicat de la filière de la viande bovine (Interveb) pointe l’opacité quant à la possibilité d’inoculer des « antibiotiques qui contiendraient des activateurs de croissance ».
Idem sur l’utilisation d’antibiothérapie préventive par l’alimentation des bovins, une pratique courante outre-atlantique et qui pourrait engendrer une antibiorésistance généralisée.
Ces pratiques au Canada ont pour effet de réduire de 10% le coût de la viande canadienne par rapport à la viande française. Or, pour le moment, les quotas mis en place n’ont pas ou peu été utilisés. En effet, les éleveurs canadiens n’ont pas encore changé leur mode d’élevage notamment au niveau de l’administration d’hormones. Selon le rapport, les éleveurs canadiens se conformant à la législation sanitaire européenne pourraient voir leur coût de production augmenter. Et ainsi réduire les risques de concurrence vis-à-vis des éleveurs locaux.
Outre le marché français, ce sont aussi les potentiels acheteurs européens de la viande française qui voient débarquer un nouvel acteur. Nouvel acteur potentiellement moins cher. Engendrant une concurrence accrue pour la filière bovine française déjà grandement sous tension. Mais aussi, espèrent les pro-CETA une baisse des prix pour le consommateur.
♦ Quid des avantages ?
Si la filière viande France peine à voir les avantages, la filière fromage a, quant à elle, déjà vu ses ventes augmenter de 7%, selon Eurostat (agence européenne de statistiques). En effet, la filière bovine laitière bénéficie de l’ouverture du marché canadien aux produits laitiers européens grâce à l’introduction par le traité d’un contingent d’importation à droits nuls de fromages européens. À hauteur de 1.700 tonnes à horizon 2022.
Entre 2017 et 2018, les quotas de ces produits ont été parfaitement remplis. C’est-à-dire que les canadiens ont bien acheté tout le quota de fromage prévu sans aucun droit de douane. Effet attendu selon Jean Fouré, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales, « car il n’y a pas comme pour le bœuf un problème réglementaire qui empêche le commerce« .
♦ Problème de traçabilité ?
Les détracteurs du CETA mettent en lumière, outre l’opacité de certains points, les problématiques de traçabilité. Les contrôles effectués à la sortie des produits au Canada qui seraient satisfaisants, notamment en terme de recherche d’hormones. Mais des lacunes ont été révélées sur les analyses à l’entrée dans l’UE.
« Aucune recherche d’hormones n’est réalisée sur les viandes importées. La recherche d’antibiotiques n’est réalisée que pour la viande d’agneau et de cheval. La recherche de farines animales, quant à elle, n’est effectuée que dans l’huile de poisson », selon un article de France Info.
France Info rapporte également les propos tenus sur le sujet des contrôles par lors d’une table ronde à l’Assemblée nationale. « À partir du moment où on signe le Ceta, on diminue le taux de contrôle. Sur les viandes, on est à 20% de taux de contrôle des matières en moyenne. Avec l’accord Ceta, on descend à 10% ».
D’où le risque accru de faire entrer sur le marché unique des produits non-conformes aux standards sanitaires exigés pourtant aux éleveurs locaux.
♦ Le tribunal arbitral pourrait-il mettre en péril la souveraineté de la France ?
En cas de litiges, le CETA prévoit qu’une multinationale puisse porter plainte contre un État auprès d’un tribunal spécifique, totalement indépendant des juridictions nationales. Si le désaccord se maintient, ce tribunal pourrait affaiblir la souveraineté d’un Etat membre.
En clair, selon certaines ONG altermondialistes et écologiques, « il s’agit d’un système injuste qui donne droit au big business de contester nos normes sociales, environnementales et sanitaires ».
Pour répondre à cette réticence, certains pays membres et la Commission européenne cherchent à :
- renforcer l’indépendance de ce tribunal spécifique,
- la transparence de ce système d’arbitrage,
- limiter les motifs pour lesquels un investisseur pourrait contester un État,
- et réduire l’impact de ses décisions.
Mais pour le moment, les modalités du système doivent encore être précisées par la Commission européenne et le Canada.
♦ Le veto climatique pour contrer le tribunal arbitral ?
Pour tenter de contrer l’action du tribunal arbitral, Nicolas Hulot, ministre de l’Écologie de 2017 jusqu’à sa démission fracassante à la rentrée 2018, avait voulu mettre en place « un veto climatique ». Plus précisément un texte qui permettrait aux États de remettre en question une décision de l’instance indépendante. Et ce, à partir du moment où cette décision serait contraire aux règles écologiques, sanitaires ou sociales. Or, il semblerait en lisant la tribune du même Nicolas Hulot, publiée le 29 juin, que ce veto climatique ne soit pas suffisant.
Dans sa tribune, le défenseur de l’environnement dénonce une signature déterminante pour l’avenir. Selon lui, cette ratification ouvrirait la porte à un nouveau monde. Qui « favoriserait le moins-disant environnemental, sanitaire et social » et « pénaliserait encore plus les agriculteurs en les exposant à toujours plus de concurrence internationale et déloyale ».
Une situation que les agriculteurs transfrontaliers de notre département vivent et dénoncent depuis de très nombreuses années. Sans réelle avancée…
Pour prendre connaissance du CETA dans son intégralité, cliquez sur le lien fourni par le site de la Commission européenne.
*CETA est l’acronyme de Comprehensive Economic and Trade Agreement. Le CETA est le nom donné à l’accord économique et commercial global, établi entre le Canada et l’Union européenne.
**ESB ou l’encéphalopathie spongiforme bovine, appelée aussi maladie de la vache folle.