Alors que la compagnie internationale Rasposo est installée près de l’école Georges Dagneaux à Perpignan pour son spectacle Hourvari, deux circassiens détonnent du reste de la troupe. Par leur âge. Achille a neuf ans, Orphée six ans. Leur vie et leur scolarité se superposent aux déplacements de ville en ville.
Ce sont deux mondes séparés par un grillage. D’un côté, la cour de récréation de l’école Dagneaux qui résonne de cris et de mouvements. De l’autre, sur le terrain de sport, l’emplacement du cirque avec une roulotte plus intime, mais une école aussi.
C’est jour de classe pour Achille et Orphée, les deux seuls enfants de la compagnie Rasposo. Leur maman n’est autre que la directrice artistique Marie Molliens. Pour les apercevoir à leurs petits bureaux, il faut grimper quelques marches et se faire accepter du chien qui dresse une oreille quand un inconnu se présente. La caravane parée de bois est aménagée en salle de classe, avec un charme qu’on ne retrouve pas dans le béton.
Une institutrice pour deux petits de six et neuf ans
Les deux enfants ont la chance d’avoir pour enseignante Joëlle Rivier, professeure des écoles à la retraite, qui suit la compagnie spécifiquement pour leur faire classe. Tandis qu’Orphée s’efforce de classer des nombres par ordre croissant, Achille s’attache à retenir les phases de la lune. Rassuré, le chien se rendort. Au loin, la sonnerie de l’école retentit. Le tumulte du monde est à la fois tout près et inaccessible. Nous sommes dans une bulle.
Le rôle était assez inattendu pour Joëlle. « J’ai pris la retraite à 57 ans et j’ai une amie costumière qui connaissait la compagnie Rasposo et m’a fait passer l’annonce ». Sans vraiment imaginer la vie de circassien, Joëlle s’est lancée.
« Comme tout le monde, le cirque me faisait rêver. Mais je ne mesurais pas ce que c’était. Après coup, j’ai réalisé que j’aurais pu ne pas m’entendre avec l’équipe, et ça aurait été un enfer car nous vivons tous ensemble. Et finalement c’est extraordinaire. »
Sous le contrôle du CNED, Achille et Orphée ont cinq heures de cours chaque jour. Un soulagement pour la maman Marie Molliens. Auparavant, elle s’efforçait de dispenser des cours elle-même, entre la gestion du cirque et son propre travail d’artiste comme funambule. Les tentatives de faire suivre les enfants par les écoles des différentes communes ont échoué. Contrairement aux forains, les circassiens ne restent pas assez longtemps quelque part pour que les petits puissent prendre leurs marques.
« Pendant le numéro, j’ai un petit peu peur qu’elle tombe »
Achille voue une admiration évidente à sa mère. « Ma mère fait du fil » explique-t-il, fier de raconter qu’elle donnait des représentations et marchait sur le câble quand il était encore dans son ventre. Comme son frère Orphée, Achille est né dans le cirque qui constitue son univers. « Au lieu d’avoir un grand bâton, elle utilise une ombrelle, qui sert à faire plein de figures et à ne pas tomber. Je l’ai déjà vue tomber. Pendant le numéro, j’ai un petit peu peur qu’elle tombe. »
Les deux enfants participent au spectacle, mais c’est clairement Achille qui en est le plus passionné. Avec son stylo, au-dessus du cahier de cours, il mime le mouvement de la bascule qui projette les acrobates. Son unique boîte de Playmobils représente… un cirque. Comme sa maman, il pratique lui aussi « le fil ».
Les deux enfants intègrent les spectacles © Ryo Ichii
« Au début, ma cousine me tenait la main et à force, quand j’avais sept ans, j’ai pu traverser tout seul. Ma grand-mère m’a fabriqué une ombrelle et je fais des figures. »
Depuis la saison précédente, il a intégré le spectacle. « Comme on est des enfants, on ne peut jouer que trois fois par semaine, sinon on ferait comme les autres, jusqu’à sept fois. » Quand sa mère embauche de nouveaux artistes, il s’essaie à leurs disciplines. « Ma mère engage souvent des disciplines dangereuses pour la fin du spectacle » annonce-t-il avec fierté. « Par exemple la roue de la mort, c’est comme des cages à hamster en ferraille, c’est vraiment très très haut. J’ai pu essayer un peu, mais ma mère ne voulait pas que je fasse un tour complet. Et là, elle a engagé des basculistes. » Il espère trouver le temps de s’y entraîner.
Un enfant devenu fasciné par le cirque, au point qu’il est difficile de l’en détacher
Achille joue aussi de la batterie, la compagnie disposant d’un orchestre en live. Pour l’enseignante Joëlle, c’est un défi de l’intéresser aussi au reste du monde.
Si Achille semble se destiner aux métiers artistiques, le doute plane encore pour Orphée, qui multiplie les centres d’intérêt. « Orphée est un vrai inventeur » explique Joëlle. « Il a toujours plein d’idées. » Entendant cela le petit garçon de six ans en propose aussitôt une nouvelle. « Parfois on a les mains sales quand on fait de la peinture. Si on avait un robinet dans la classe, on pourrait se laver les mains. » Orphée participe lui aussi au spectacle. « Je fais du vélo, et aussi du fil. C’est mon papa qui fait la parade (NDLR : qui se met en protection en cas de chute). Parfois quand je suis un petit peu fatigué, je ne fais pas le fil. »
Joëlle doit régulièrement envoyer les devoirs au CNED. « C’est très exigeant, il y a des dates butoirs, on peut avoir des contrôles d’inspection. Et c’est une bonne chose, l’objectif est que ces enfants apprennent des choses. »
Un rythme entre déplacements et représentations
Hors de l’école et des représentations, la vie des enfants de cirque consiste aussi à s’adapter à une cadence spécifique, dans cette hétérotopie où l’on glisse des applaudissements d’une foule au trajet en camion en passant par les apéros conviviaux entre circassiens.
« Le souci premier c’est le sommeil et les rythmes » explique la maman, qui fait des spectacles depuis 15 ans.
« On fait toujours très attention à ça, car il y a tous les jours où on roule, c’est quasiment la moitié du temps. Contrairement aux artistes célibataires, nous en tant que parents on a peu de temps pour faire du tourisme. Il y a la journée où on arrive, celle où on repart… Quand j’ai eu mes enfants, j’étais enceinte en tournée. Depuis qu’ils sont nés ils voyagent. Mon plus petit avait déjà fait 5 pays alors qu’il n’avait pas trois mois. Pour eux c’est leur vie normale. »
Elle évoque combien ses enfants apprennent de leur vie, mais aussi du monde du travail, parfois rude, au contact des travailleurs du cirque. Marie Molliens reconnaît une inquiétude pour la socialisation. « Ils rencontrent peu d’enfants. »
Une maison en dur deux à trois mois par an
Deux ou trois mois par an, la famille se pose néanmoins dans sa maison fixe, dans un petit village près de Chalon-sur-Saône.
« Je me suis rendu compte que quand on change de ville à chaque fois, je perds les amis que je me fais » regrette Achille. « Du coup, je préfère ne plus me faire des amis en tournée et retrouver mes amis à la maison. »
Il raconte comment il a désormais une roulotte plus grande que la précédente, où la famille était serrée. « Aujourd’hui, on a quatre pièces, un salon, il y a la douche et les toilettes, la chambre des parents, et puis nous deux dans des lits superposés. Parfois, quand il y a l’anniversaire de quelqu’un, tous les gens du campement se réunissent à une grande table. »
Les parents ignorent de quoi sera fait l’avenir, surtout quand les enfants devront passer au collège. Il y aura peut-être alors moins d’itinérance pour eux. « Trouver des professeurs de collège, c’est plus compliqué qu’une institutrice. On devra peut-être adapter nos tournées. On est beaucoup en questionnement. »
En attendant, Achille et Orphée poursuivent les représentations à Perpignan pour quelques jours encore. Avant de décoller vers d’autres horizons.
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