Article mis à jour le 28 décembre 2023 à 12:34
« Un journaliste se doit d’être objectif », combien de fois n’avons-nous pas entendu cette phrase en intervention en classe ?
C’est la principale critique que les élèves (et les adultes aussi !) font aux médias : manquer d’impartialité, ne pas assez respecter la sacro-sainte objectivité. Mais en tant que journaliste, peut-on faire fi de toute subjectivité (spoiler : non) ?
Un (ou une) journaliste a la tâche de recueillir, vérifier, synthétiser et transmettre au public des informations, c’est-à-dire des faits nouveaux et inattendus, qui sont d’intérêt général. Et il fait tout ça dans le respect du contradictoire. Voilà pour la théorie. Jusqu’à il y a encore quelques années l’impérieuse objectivité journalistique était encore enseignée dans les écoles de journalisme.
Le mythe de l’objectivité confronté au réel du métier
Lénaïg Bredoux, codirectrice éditoriale à Médiapart en parle très bien dans l’épisode de La Poudre du 6 décembre dernier, quand elle répond à Lauren Bastide. « Il y avait encore tout à fait cette idée très automatique de dire qu’on était des journalistes objectifs, que l’objectivité était notre idéal. On n’avait aucune réflexion sur ce que signifiait d’être situé (…) c’était un angle mort. » Plusieurs générations de journalistes sont donc entrées dans le métier avec cette ambition de ne raconter que les faits dans leur stricte matérialité, ni plus ni moins. Moi-même, qui suis sortie d’école il y a dix ans, j’avais encore ce mythe en tête. Sauf que dans les faits, c’est plus compliqué que cela.
Quand nous arrivons sur le terrain pour recueillir des informations, nous sommes, de fait, confrontés à de la subjectivité : celle de nos sources d’abord, qui auront une vision (et donc une interprétation) différente des événements, selon leur positionnement social, leur implication ou leur statut. Ainsi des ouvriers en grève tiendront à propos de leurs conditions de travail un discours très différent de celui de leur patron. Notre travail en tant que journaliste sera d’aller voir les deux bords pour ensuite rapporter les différentes visions de l’événement.
Mais nous faisons aussi face à notre propre subjectivité
Les récits des ouvriers ou du patron ne résonneront pas de la même manière en nous selon notre trajectoire sociale (notre milieu d’origine, notre bagage culturel, les études suivies, notre orientation politique, en bref notre histoire). Et cette subjectivité doit être prise en compte pour encore mieux analyser notre terrain de reportage et ne pas tomber dans le piège de nos propres biais.
À la notion d’objectivité, Hubert Beuve-Méry, le fondateur du Monde, lui préférait le terme « d’honnêteté ». Tout journaliste devait selon lui pratiquer une « subjectivité honnête ». Cette boussole me paraît encore plus efficace. En étant honnête avec notre positionnement vis-à-vis de notre sujet de reportage, cela nous rend aussi plus humble, et donc nous permet de faire un meilleur travail. Alors que si on débarque avec nos grands sabots en invoquant une sacro-sainte objectivité, il est fort probable que nous passions à côté d’un bon témoignage ou d’un propos qui mériterait d‘être creusé.
Les faits, les faits, encore les faits
Et puis le journaliste a un remède implacable pour ne pas se laisser aveugler par sa subjectivité : les faits. Là encore, je cite Lénaïg Bredoux : « on produit de l’information, on ne produit pas de l’opinion. » Non seulement le journaliste se doit de respecter le principe du contradictoire, mais aussi d’être fidèle aux faits, et non à ses propres interprétations. Rester attaché aux faits permet aussi de désamorcer certains discours de langue de bois politique en interview, ou encore de déjouer certaines stratégies de communication. Les faits ne peuvent être déformés, quoique en disent certains qui voudraient nous faire croire à des « faits alternatifs. »
On peut ainsi émettre une hypothèse : si le public demande plus d’objectivité aux journalistes, peut-être est-ce parce qu’il n’est pas dupe. Il voit bien que certains médias font passer des débats d’opinions pour des débats d’information, que certains éditorialistes (dont la fonction est de donner un avis sur l’actualité) entretiennent le flou sur leur statut de journaliste. Dans ces émissions, l’objectivité est parfois convoquée comme argument d’autorité, mais c’est une pirouette de plus pour avancer une certaine vision du monde. Je pense par exemple à une chaîne d’information en continu qui a banni l’expression « violences policières » de son antenne, alors qu’elle représente une réalité pour une partie de la population.
Peut-être que derrière le « plus d’objectivité ! » le public attend avant tout davantage d’honnêteté. Des journalistes capables de reconnaître leurs erreurs mais aussi leurs biais, d’entendre les critiques (quand celles-ci sont exprimées avec respect). Une meilleure honnêteté dans nos pratiques journalistiques permettrait de soigner la confiance du public envers la sphère médiatique.