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Education aux médias : Biais cognitifs, ces parfaits alliés de la désinformation

Ces biais cognitifs jouent un rôle important dans la désinformation.

Article mis à jour le 14 février 2024 à 17:01

Depuis les années 70, les chercheurs en ont identifié prés de 300. Les biais cognitifs, ces raccourcis créés par notre cerveau pour se faciliter la tâche, sont aussi les meilleurs alliés de la désinformation.

S’ils contribuent parfois à nous sauver la vie en nous permettant de prendre une décision vitale rapidement, ces mêmes biais cognitifs nous font parfois trébucher sur la voie de la désinformation. Ils vont fausser notre raisonnement et nous faire préférer nos propres croyances aux faits. Nous en avons sélectionné trois, qui font partie des plus courants dans le domaine des médias et de l’information : le biais de confirmation, le biais de négativité et l’effet de cadrage.

Le biais de confirmation

C’est le biais le plus répandu, en ligne ou IRL (= in real life / dans la vie réelle). Nous avons davantage tendance à rechercher, sélectionner et apporter du crédit aux informations qui confirment d’abord nos opinions et nos croyances. C’est ce que l’on appelle le biais de confirmation. Il intervient à toutes les étapes ; de la recherche d’informations à la mémorisation en passant par la sélection. Notre vécu, nos préjugés, nos croyances agissent comme un filtre, comme le gouvernail de notre attention. Et il y a une bonne raison à cela : faire face à la masse d’images et d’informations qui nous assaillent au quotidien ; et qui exigent une débauche d’énergie pour être traitées par notre cerveau. Alors, il prend des raccourcis, des chemins de traverse, pour faire le tri à moindre coût.

L’actualité médiatique, que ce soit la pandémie de Covid-19, le changement climatique, ou encore la grève des éboueurs à Perpignan, est ainsi passée à la moulinette de nos opinions, de nos propres visions du monde. Du côté des lecteurs d’abord (nous n’aurons pas les mêmes sources d’information que nous soyons militant de gauche ou de droite pour prendre l’exemple le plus évident), mais aussi du côté des journalistes. La sélection des faits pour l’article final ne sera pas le même chez un journaliste de Libération ou du Figaro.  Pour se prémunir des risques de ce biais, les journalistes ont plusieurs options : l’échange collectif, pour toujours confronter nos choix avec ceux des autres, les débats au sein de la rédaction, et bien entendu, l’impérieuse nécessité de toujours se rapporter aux faits.

Si ce biais touche tout le monde, comment ne pas tomber dans le panneau ?

En acceptant d’observer les faits et les arguments qui vont à l’encontre de nos croyances, et même en les recherchant activement. Et puis, prendre conscience de ce mécanisme est déjà un premier pas vers la prudence, afin de minimiser son impact.

Car en ligne, c’est surtout les géants du Net (Google, Meta…) qui utilisent le biais de confirmation pour nous inciter à rester le plus longtemps possible sur leurs plateformes.  Comme leurs algorithmes examinent nos comportements sur internet, ils peuvent ensuite nous proposer du contenu qui va dans le sens de nos idées. Du contenu qu’on valide, qu’on partage, et qui nous fait encore plus passer du temps en ligne, pour le plus grand bonheur des annonceurs (qui nous bombardent de publicité).

Alors pour se prémunir du biais de confirmation en ligne, il est important de continuer de suivre, d’aimer, de regarder du contenu et des comptes de ceux avec lesquels nous sommes en désaccord. Garder de l’espace dans nos vies réelles et virtuelles pour la discussion, et accepter d’avoir tort parfois.

Le biais de négativité

Ce biais, bien connu et aussi exploité par les médias sociaux comme Tik Tok, Instagram ou Facebook est une autre porte d’entrée vers les fake news et la désinformation.

 « Ah ces journalistes, ils sont bons pour parler des trains qui arrivent en retard, mais jamais de ceux qui arrivent à l’heure ! ».

Combien de fois avons-nous entendu cette phrase, lancée sur le ton de la critique, pour dénoncer une couverture médiatique toujours plus anxiogène et qui laisse une grande place aux mauvaises nouvelles. Le biais de négativité peut être une des explications à ce sentiment que la presse et les médias ne se concentrent que sur ce qui va mal.

Ce mécanisme reflète la tendance du cerveau à percevoir les éléments négatifs comme étant plus importants ou plus significatifs que les éléments positifs. Ainsi en déroulant ce raisonnement jusqu’au bout, les journalistes sont victimes de ce biais de négativités. Ils ont donc plus tendance à se concentrer sur les trains qui arrivent en retard. Mais les lecteurs aussi s’attarderont davantage sur une mauvaise nouvelle que sur une information qualifiée de positive.

Au temps de nos ancêtres, ce biais de négativité nous a sauvé la vie plus d’une fois. En effet, avoir un cerveau entraîné à se concentrer sur ce qui pourrait représenter une menace est plutôt utile pour se prémunir du danger d’animaux sauvages rôdant autour du campement.

Quand l’algorithme abuse du biais de négativité 

À l’heure des réseaux sociaux et d’internet, ce biais est allègrement exploité par les artisans de la désinformation. La première composante d’une fake news, une fausse information créée dans un but de manipulation, c’est de faire éprouver un fort sentiment qualifié de négatif (la colère, la peur, la tristesse, le dégoût…). Les algorithmes font ensuite le reste. Une étude menée par des chercheurs de la Harvard Business School a révélé que sur X (ex-Twitter), les informations ou les tweets à connotation négative se propagent plus rapidement et engagent davantage les utilisateurs que ceux qualifiés de positifs.

Cette étude se base sur l’analyse de 140 358 tweets postés par 44 agences d’informations au début de l’année 2020. Elle montre bien la préférence des médias sociaux à favoriser le contenu émotionnellement chargé, qui permet de maintenir les utilisateurs plus longtemps sur leurs plateformes, exploitant ainsi notre biais cognitif envers la négativité​​.

Alors comment s’en prémunir ? On peut travailler à notre rapport à l’information, décider de ne pas la consommer de façon passive, scrollant sur les réseaux, et donc en se laissant vulnérable à toutes les émotions fortes qui seront véhiculées dans des formats courts et percutants. Ou encore, choisir quels médias méritent notre attention. Nous pourrions aussi définir des temps où l’on va activement s’informer, et ceux durant lesquels nous allons désactiver les notifications pour se prémunir de la sur-sollicitation médiatique. Quand on navigue sur X, ou Tik Tok, on est rapidement confronté à un contenu qui nous fait ressentir de la peur ou de la colère. Nous pouvons alors essayer de prendre de la distance, un peu de temps avant de réagir, de croiser les sources avant éventuellement d’interagir avec un post ou une image.

L’effet de cadrage

Selon la manière dont une information est présentée va provoquer en nous une émotion plus ou moins intense, c’est ce qu’on appelle l’effet de cadrage. La manière de présenter une information, et donc de la « cadrer », peut influencer le jugement d’une personne. Pour s’en rendre compte, on peut citer la célèbre expérience menée par les chercheurs Amos Tversky et Daniel Kahneman (Prix Nobel d’économie en 2002) et publiée dans un article de la revue Science en 1981.

Deux groupes de personnes doivent se prononcer sur la décision à prendre lors d’une hypothétique maladie pouvant causer la mort de 600 personnes.
Dans le premier groupe, les sujets ont le choix entre deux solutions :

  • l’option A qui permet de sauver 200 personnes,
  • l’option B qui a 33 % de chances de sauver 600 personnes, mais 66 % de risques de ne sauver personne.

72 % des sujets ont choisi l’option A, à cause du risque de ne sauver personne dans l’option B. Pourtant dans les deux propositions le nombre de survivants attendu est le même, soit 200 personnes.
Dans le second groupe, la formulation est modifiée avec le choix suivant :

  • l’option A qui provoque la mort de 400 personnes,
  • l’option B qui a 33 % de chances pour que personne ne meure et 66 % de risques que tout le monde meure.

78 % des sujets ont choisi l’option B. Dans les deux cas les probabilités de survie sont les mêmes.

La manière de cadrer la proposition, qu’on fasse référence aux « pertes » ou aux personnes sauvées engendrera des prises de décision différentes, pour un même résultat.

Ainsi, le choix des mots et de leur hiérarchie a son importance dans un discours politique ou dans un article journalistique. Présenter le débat sur le nucléaire en le cadrant sur le fait que c’est une énergie décarbonée n’aura pas le même effet sur l’opinion que si on aborde en premier lieu les conséquences dévastatrices en cas de problème (et dans cette phrase, le choix du mot « dévastatrice » n’a pas été choisi au hasard et influence déjà votre perception du débat).

Comment reconnaître l’effet de cadrage ? 

Pour se prémunir de cet effet de cadrage et bien le repérer, il est toujours intéressant de voir comment certains débats d’actualité sont présentés selon la sensibilité du média ou de la plateforme sociale. Toujours diversifier ses sources d’information, pour aiguiser et cultiver son esprit critique. Une des manières de ne pas tomber dans le piège de l’effet de cadrage réside aussi dans la reformulation des termes du débat, ou de l’information.

Nous n’en avons vu que trois et pourtant il existe encore de nombreux biais cognitifs qui influencent notre consommation de l’information dans notre quotidien. Savoir les reconnaître est primordial à l’heure où la surcharge d’informations et de contenus érode notre capacité à discerner le vrai du faux. Pour développer notre agilité critique, rien de mieux que de sortir de sa zone de confort en se confrontant à d’autres opinions que les siennes. Il est important de  toujours rester curieux de la richesse et de la diversité médiatique, essentielle pour préserver la démocratie.

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Alice Fabre