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Médias : le journalisme, les récits informatifs et les codes de la fiction

Médias, ce que le journalisme emprunte à la fiction

Article mis à jour le 11 janvier 2024 à 10:49

Si le journalisme s’attache à rendre compte des faits, il utilise aussi quotidiennement les ressorts narratifs de la fiction pour mettre en récit l’information.

Nous sommes depuis notre enfance exposés à de la fiction. Que ce soit par les romans que nous découvrons enfants, les dessins animés du week-end, puis plus tard les films hollywoodiens et bien entendu les séries. Depuis l’émergence des plateformes de streaming il y a quelques années, des centaines d’œuvres de fictions sont désormais disponibles en un clic (et quelques euros par mois) chaque jour. La fiction est partout en abondance, omniprésente.

Quel lien entre fiction et journalisme ?

Les journalistes ont toujours cherché du côté des codes de la fiction pour proposer des récits informatifs qui captivent leurs lecteurs. Une frontière, qui ces dernières années a eu tendance à se brouiller. Dans les médias, il n’est ainsi pas rare de parler «d’épisodes », de « suspens », ou de « feuilletons journalistiques » ; autant de termes utilisés habituellement pour une œuvre fictionnelle. Certains médias, comme Les Jours, ont même fait du séquençage de leurs enquêtes en épisodes leur marque de fabrique.

Mais surtout, les ressorts narratifs permettent aux journalistes d’agencer les faits de sortes à captiver le lecteur. L’objectif est le même : trouver une intrigue pour maintenir une certaine tension afin que le lectorat reste captivé par la narration des faits. Comme un épisode de série ou un film, l’information est parfois plus percutante quand elle est n’est pas racontée suivant l’ordre chronologique. Quand on couvre les conséquences des inondations, comme en ce moment dans le nord de la France, on peut d’abord décrire les dégâts et ne rappeler le début du sinistre que dans un deuxième temps.

Quels éléments pour qu’une information devienne un récit médiatique ?

Mais avant toute chose, pour qu’une information soit jugée pertinente à être mise en récit, il faut qu’elle puisse être signifiante. Les Anglo-saxons utilisent le terme de « newsworthiness » (et parlent d’ailleurs de « story » pour les reportages). Plusieurs critères sont alors examinés pour définir ce qu’on appelle la « narrativité » de l’information, et vous allez le voir, certains d’entre eux se retrouvent aussi dans les œuvres de fiction.

Il y a d’abord la temporalité : le surgissement d’un fait soudain, dans un temps court, peut lui donner un avantage sur sa mise en récit. Et c’est ce qui peut expliquer que certains événements comme le changement climatique, qui se déroule sur le temps long, ait (et continue d’ailleurs) à avoir du mal à se faire une place importante dans le traitement médiatique.

Vient ensuite le nombre de personnes impactées par le fait en question. Là aussi pour être lue et regardée, une histoire doit parler au plus grand nombre, et faire référence à des émotions ou situations cathartiques vécues par tous et toutes. Autre critère de narrativité qui emprunte aussi au domaine fictionnel : le degré de conflit et de surprises d’une situation, qui peut être comparé à l’élément perturbateur d’un récit qui va ensuite devoir trouver sa résolution.

Mais alors comment différencier la fiction de l’information ?

Mais une différence reste de taille entre un récit journalistique empruntant aux codes de la fiction et une œuvre purement fictionnelle. Dans cette dernière, on peut récrire l’histoire en partant de la fin. Or cela n’est pas possible avec l’information, et l’actualité en général, qui se déroule en temps réel.

Là où une série pourra faire évoluer l’histoire de manière intelligente pour nous rendre accro aux personnages et à l’intrigue, il n’est pas rare que le journaliste se casse la tête pour savoir quoi raconter de nouveau à propos d’un fait d’actualité qui n’évolue plus (comme avec les enquêtes par exemple, quand l’auteur du crime est interpellé, que le temps long de la justice prend le relais). Autre précision de taille : le journaliste ne peut pas tricher avec faits. Il se doit de les respecter, là où la fiction est bien évidemment plus libre.

Quand la fiction devient informative

Enfin, n’oublions pas qu’il arrive aussi que des œuvres fictionnelles portent un message documentaire. C’est le cas par exemple de The Wire (Sur Écoute en français), excellentissime série d’Ed Burns et David Simon diffusée sur HBO entre 2002 et 2008. Sur plusieurs saisons, les auteurs nous donnent à voir la vie de la police de Baltimore, ses relations avec les trafiquants de drogues, mais aussi l’organisation du port maritime, avec les dockers, les syndicats et les relations entre le monde politique et économique. The Wire a été unanimement saluée pour son aspect quasi-documentaire, mais reste pourtant une œuvre de fiction avec des personnages inventés.

Nous pourrions citer aussi Le Bureau des Légendes, diffusé sur Canal + entre 2015 et 2020, créé par Éric Rochant. Une série qui raconte la vie d’un service de la DGSE française, et sur laquelle de nombreux consultants sont intervenus pour que les situations relatées soient les plus crédibles possibles.

Savoir reconnaître les biais narratifs dans les médias, c’est pouvoir identifier les coulisses de la mise en récit d’une information. Et donc comprendre les choix qui ont été faits pour en parler. Choix qui sont aussi signifiants et disent quelque chose de la ligne éditoriale du média. Mieux identifier les ressorts narratifs dans un article journalistique, c’est aussi encore un peu plus développer son esprit critique.

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Alice Fabre