Aller au contenu

S’enrôler, refuser, s’exiler ? La réponse de ces jeunes de Perpignan face au climat de guerre en Europe

Alors que l’Europe fait face à une montée des tensions et à une redéfinition des équilibres internationaux, l’invasion russe en Ukraine cristallise les fractures géopolitiques. Dans son allocution récente, Emmanuel Macron a durci le ton, estimant que « la défaite de la Russie est indispensable à la sécurité européenne ». Une déclaration qui soulève une question directe : si la France entrait en guerre, seriez-vous prêt à vous engager ?

Selon les résultats de la dernière étude #MoiJeune, réalisée par 20 Minutes en partenariat avec OpinionWay, 48 % des 18-30 ans se disent prêts à s’engager pour défendre la France en cas de guerre. ​Rappelons qu’en cas de conflit majeur, la France mobiliserait d’abord ses forces armées professionnelles et ses réservistes. La mobilisation générale des civils, prévue par l’article L. 2141-1 du Code de la défense, serait envisagée uniquement en cas de menace grave pour la sécurité nationale.

Quid des Perpignanais et des Perpignanaises ? A défaut d’un véritable sondage, nous avons réalisé un micro-trottoir auprès d’une trentaine de jeunes étudiants et étudiantes entre 18 et 30 ans. Les résultats révèlent une tendance toute autre.

Seuls cinq d’entre eux se disent prêts à envisager un enrôlement. Parmi eux, on trouve deux jeunes femmes de 19 et 23 ans issues de familles militaires. Et un jeune homme de 20 ans, pour qui « c’est important de défendre sa patrie », et qui est pourtant… un étudiant étranger.

Pour tous les autres, les raisons du refus de s’engager sont multiples, entrecroisées, et souvent à contre-courant des réalités géopolitiques, historiques, sociétales et militaires. Un « non » en bloc comme réponse à une question perçue comme un défouloir, qui reflète une grande frustration envers la société française, plutôt qu’un réel questionnement face à la possibilité d’une mobilisation générale.

Une conviction : l’inutilité de la guerre, et le pacifisme

Pour une étudiante de 19 ans, « ce n’est pas notre guerre. C’est une guerre de puissants, d’ego et de pouvoir. Nous, on ne l’a pas demandée, cette guerre. On va être utilisés comme de la chair à canon ». « Je ne suis pas une personne qui tue », explique une autre. « Je ne veux pas avoir de sang sur les mains. Et puis si les Russes arrivent à nos frontières, je m’en vais au Canada ».

L’un des arguments les plus souvent entendus reste l’absurdité de la guerre elle-même. Une réflexion qui illustre à quel point la jeunesse interrogée n’a même pas intégré l’hypothèse d’un conflit armé. « Ce n’est pas comme si c’était « le monde en guerre contre les extraterrestres ». On est tous des Hommes avec un grand H. Ça veut dire qu’on n’a pas à être d’un côté ou d’un autre », affirme un trentenaire en contournant la question.

Un étudiant de 24 ans évoque ses racines russes et ukrainiennes. « Pour moi, c’est vraiment une guerre fratricide ». « Je ne pourrais pas aller à la guerre, alors que la personne en face est exactement dans la même situation que moi, obligée de se battre. Et qu’elle n’a pas forcément les mêmes idées politiques que son gouvernement », ajoute une jeune femme. « Les gouvernements n’ont qu’à se battre entre eux et nous laisser tranquilles, nous le peuple ».

« Je pense que les conflits ne se résolvent pas sur un champ de bataille, mais sur le terrain diplomatique », persiste à croire une étudiante de 26 ans, qui admet néanmoins être réaliste. « Ce qui me préoccupe, c’est cette recomposition des pouvoirs mondiaux qui se fait avec le rapprochement des États-Unis et la Russie. On se retrouve avec l’Ukraine et Zelensky au milieu. Et du coup, l’Europe doit se repositionner dans cette reconfiguration des pouvoirs géopolitiques. Alors, est-ce qu’on soutient le réarmement et l’économie de guerre de l’Europe ou non ? C’est la question à se poser. Je trouve personnellement que le réarmement, on doit le faire », conclut-elle paradoxalement. Quid du recrutement des hommes et des femmes qui utiliseront cet armement ?

L’absence de sentiment patriotique, et une grande défiance envers le gouvernement

« Imaginons que les Russes arrivent à Béziers (sic). Et bien je ne me défendrais même pas. Parce que la France, c’est un pays qui, sans dire de gros mots, m’embête énormément », affirme cet étudiant de 20 ans, la voix tendue. « Le gouvernement nous prend pour des gros teubés. Ce pays, moi, dès que j’ai de la thune, je me casse ». Un sentiment de frustration profonde, partagé par beaucoup d’autres, qui bloque la réflexion.

Un peu plus loin, cette étudiante d’origine guadeloupéenne ne cache pas sa colère – teintée de ressenti envers l’Etat français – à la simple évocation de servir son pays. « Pour se battre pour notre patrie, il faudrait déjà qu’il y ait un retour de la France envers nous. L’Etat français a laissé tomber les outremers, qui sont juste là pour faire venir de l’argent en métropole par le tourisme ». Et de conclure « si les Russes arrivent aux frontières, je retourne chez moi en Guadeloupe ».

Autre sujet : la considération des femmes, dans une époque marquée par #MeToo et le procès de Mazan. Pour certaines, la société les a trahies, alors la question se pose : « Pourquoi des femmes iraient se battre alors que la société ne fait pas attention à nous ? Les témoignages de viols, de violences physiques ou morales ne sont pas pris au sérieux. Comment peut-on les écouter alors qu’ils ne nous écoutent pas ? ».

Autour d’elle, ses amies acquiescent ; la confiance est rompue. L’une d’elles enchaîne. « Vu que je suis voilée, je ne me sens pas du tout en sécurité quand je sors dans les espaces publics. J’aime la France, je suis née ici, j’ai grandi ici, mais je pense qu’on ne fait rien pour moi. Donc je ne vois pas pourquoi j’irais me battre ».

La peur de mourir et le sentiment d’impuissance

« C’est un peu égoïste de ma part, mais aller sur le front… C’est flippant » confie une étudiante de 19 ans. Une autre s’auto-flagelle : « je pense que je n’aurais rien à apporter à l’armée française en termes de compétences ». Certaines et certains ont le regard fuyant lorsqu’ils formulent l’anxiété qui les envahit à l’évocation d’une mobilisation générale. « Je pourrais m’engager, même si j’ai très peur de mourir, honnêtement, on ne va pas se mentir. Mais je pense que je le ferais, parce que je trouve que c’est important de se battre pour des droits acquis. Et je ne me verrais pas vivre sous une dictature, c’est impossible », affirme une jeune femme.

« Je ne pense pas avoir assez grand de pouvoir pour changer les choses. Et même avec un entraînement militaire, je suis très fainéant, en fait », sourit ce jeune homme de 20 ans. « On a eu cette discussion avec mon père hier soir », renchérit sa voisine. « Il m’a dit ‘au pire tu feras la plonge pour l’armée’. Finalement, pourquoi pas, si je peux aider comme ça ? Je ferais la cuisine ».

La sensation que l’Histoire se répète en décourage plus d’un. Si mobilisation générale il y avait, « je serais juste hyper déçue. Parce qu’on n’apprend pas de nos erreurs ? On les reproduit constamment. C’est décevant de la part de l’humanité. Si ça commence à être réaliste, si les Russes arrivent en France, j’aurais peur. C’est sûr et certain. Mais ma première réaction ne serait pas d’aller au front, mais plutôt de m’enfuir », explique cette étudiante de 21 ans. Pour d’autres, « c’est le point culminant de toutes les peurs qu’on a pu avoir ces dernières années. C’est difficile de voir qu’on en est encore là ».

Participez au choix des thèmes sur Made In Perpignan

Envie de lire d'autres articles de ce genre ?

Comme vous avez apprécié cet article ...

Partagez le avec vos connaissances