Article mis à jour le 6 septembre 2023 à 09:32
Dans le cadre de la 35e édition du festival international de photojournalisme, «Révoltes en Iran – Tu ne meurs jamais» s’expose jusqu’au 17 septembre, au rez-de-chaussée du Couvent des Minimes. Ce lundi 4 septembre, nous avons rencontré Marie Sumalla et Ghazal Golshiri, rédactrice photo et journaliste au journal Le Monde. Les deux jeunes femmes ont fait un travail intense de sélection et de vérification des images des soulèvements populaires diffusées par les réseaux sociaux.
Depuis le 16 septembre et la mort de Masha Amini en raison d’un voile mal ajusté, la jeunesse iranienne marche sur les rues pour réclamer plus de liberté au régime des Mollahs. Mais les médias ne sont pas les bienvenus, photographes et journalistes sont menacés, emprisonnés. Dès lors, comment documenter ces révoltes inédites dans un pays sous cloche ? Marie Sumalla et Ghazal Golshiri se lancent le défi de rassembler l’énorme masse de publications diffusées sur Facebook, Twitter, Tik-tok, Instagram ou WhatsApp. Malgré le verrouillage des réseaux sociaux par le régime iranien, les jeunes parviennent à montrer au monde la répression sanglante exercée par l’État iranien sur son propre peuple.
Cinq jeunes filles deviennent des héroïnes du quotidien en réalisant une chorégraphie sur Tik-tok
En entrant dans la salle baptisée Salvador Dali du rez-de-chaussée du Couvent des Minimes, le son des vidéos extraites des réseaux sociaux emplit l’espace. Ces courtes vidéos montrent la répression à l’état brut, mais pas seulement. En mode clip Tik-tok, cinq jeunes femmes réalisent une chorégraphie au rythme de «Calm Down», tube afrobeats du chanteur nigérian Rema. Si ces vidéos de danse sont le quotidien de nombre de jeunes en Occident, la loi iranienne oblige les femmes à couvrir leur tête d’un voile, et leur interdit de danser en public. Autant dire que ces jeunes femmes se déhanchant avec le nombril ostensiblement à l’air est un acte de résistance hautement symbolique. Et c’est bien de cela dont il s’agit, de résistance et de liberté. Liberté de danser, de lâcher ses cheveux au vent ou de choisir de porter tel ou tel vêtement.
Selon Marie Sumalla ces jeunes filles sont des «héroïnes du quotidien.» «Depuis le début du soulèvement, les différentes formes de revendications, manifestations, occupation de l’espace public sont réprimées violemment. Et six mois après, cette bulle de joie débarque sur Tik-Tok. Pour la journée internationale des droits des femmes en mars 2023, ces jeunes étudiantes disent par cette danse leur envie de faire la fête, de se libérer de cette chape de plomb. Quand elles arrivent avec leur jogging et le nombril à l’air, qu’elles agitent leurs cheveux dans ce quartier populaire d’Ekbatan, c’était magnifique.»
Ghazal Golshiri traite l’Iran et l’Afghanistan pour le journal Le Monde. Elle a enquêté pour en savoir plus sur cette publication devenue virale d’abord sur Tik-Tok, puis sur Instagam et finalement sur tous les réseaux sociaux. Ces jeunes filles pratiquent la danse dans une classe de Téhéran. Et la vidéo a été postée sur Instagram par leur professeure. Après la diffusion de ces images, les danseuses ont été arrêtées et contraintes d’exprimer leurs regrets.
«Femme, vie, liberté», le slogan de la contestation en Iran
L’image de Masha Amini projetée sur un immeuble en construction dans le quartier Ekbatan de Téhéran est l’une des plus fortes pour Ghazal Golshiri. La classe moyenne paupérisée habite à Ekbata, considéré comme le quartier rebelle de Téhéran. «Une personne dont on ne connaît pas l’identité a projeté sur un immeuble de 12 étages le visage de Masha Amini avec le slogan phare du soulèvement, Femme, vie, liberté. Pour moi, c’est un acte de désobéissance civile particulièrement fort. Le soulèvement a été hyperintense et la répression féroce. Il y a eu beaucoup d’arrestations, aujourd’hui encore cinq ou six habitants Ekbatan sont en prison. Ils risquent des peines particulièrement lourdes pour le simple fait d’avoir manifesté. Malgré les risques, tous les soirs à 21h, à Ekbatan, les gens sortent à leur fenêtre et crient «à bas le dictateur, femme, vie, liberté.»
Des photos Facebook exposées à Visa pour l’Image, «no way»* !
Les réseaux sociaux et le photojournalisme font en général très mauvais ménage. Et on ne compte plus les fois où Jean-François Leroy a déclaré pis que pendre contre Instagram, twitter ou Tik-tok. Mais force est de constater que dans le cas des révoltes en Iran, il a fallu déroger à cette règle.
Ghazal suit au quotidien l’actualité iranienne et dès septembre 2022, elle alerte sa rédaction sur la situation. Pour Marie, il faut se mettre en quête d’images pour documenter les articles de Ghazal. «Au service photo, nous cherchons des photos, mais on ne trouve aucune image de photojournaliste. On comprend bien que tout se passe sur les réseaux sociaux. Alors oui, notre premier réflexe est de se méfier, car nous avons une vraie responsabilité vis-à-vis du lecteur. Ensuite, nous allons au minimum vérifier la source, le lieu, la date.
Finalement, nous faisons appel à deux journalistes iraniens qui, depuis 2019, font un travail de fact-checking sur les images d’Iran postées sur les réseaux sociaux. Au bout de cinq mois de cette veille, nous avons amassé une grande quantité de photos de vidéos. Et nous décidons de tout compiler dans un article publié en février : En Iran, cinq mois de révolte filmés par le peuple. Quand Visa pour l’Image nous demande de composer cette exposition, pour compléter l’exposition, nous contactons des photographes de presse qui auraient fait des images sans les poster.»
Comment font les Iraniens pour publier sur les réseaux sociaux malgré le contrôle du régime sur l’internet ? Selon Ghazal Golshiri «Facebook et twitter sont bloqués en Iran depuis 2009. Telegram en 2019, quant à WhatsApp et Instagram, ils sont bloqués depuis 2022. Les Iraniens utilisent des VPN. Ils ont parfois jusqu’à une vingtaine de VPN installé sur leur téléphone. Cela demande un temps énorme, un grand investissement et une grande patience pour pouvoir accéder à l’internet mondial. Mais ils le font ! Car ils ont envie que leur histoire soit écrite de manière vraie. Les Iraniens veulent contrer la volonté du régime d’effacement de la mémoire des victimes et de leurs revendications. »
Quelle est la situation aujourd’hui en Iran ?
Selon Ghazal Golshiri, «aujourd’hui il n’y a plus de manifestations dans les rues, mais ces femmes qui sortent la tête nue, les hommes en shorts montrent que le combat se poursuit. Certains hommes sont solidaires des femmes sans voile qui se font harceler dans la rue. Malgré l’amende qu’ils encourent, certains chauffeurs de taxi acceptent de prendre les clientes sans voile à leur bord. On voit bien qu’il y a quelque chose qui se passe. Et c’est inédit dans les mouvements de contestation en Iran. Le ras-le-bol est généralisé, les gens sont en colère. Ils ont le sentiment que le pouvoir a abandonné la population et que seul l’appareil répressif les intéresse. Il n’est pas impossible qu’une nouvelle explosion de rage survienne en Iran.»
L’ensemble des images de l’exposition sont compilées dans un livre aux éditions GwinZegal & Tipping en vente à la librairie éphémère du Couvent des Minimes.
*no way = pas possible
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