Article mis à jour le 6 juin 2025 à 11:45
À l’issue de notre article rappelant les accointances politiques du champion olympique d’équitation, une vive polémique a éclaté lors du conseil municipal à Perpignan le 14 mai 2025. Pour rappel, ce samedi 17 mai, un parc du centre-ville de Perpignan portera le nom de ce cavalier né en 1920 à Corneilla-del-Vercol.
En parallèle, l’historien et chercheur rattaché au CNRS*, André Balent, nous a apporté de nouveaux éléments sur le parcours de Pierre Jonquères d’Oriola durant la Seconde Guerre mondiale. Des informations peu connues car rendues publiques en 2015 et qui nous ont conduits à consulter les archives départementales.
Conséquence de ses actes durant cette période trouble, Pierre Jonquères d’Oriola est arrêté le 2 septembre 1944, conduit à la citadelle, avant d’être transféré au camp Joffre à Rivesaltes. Il sera interrogé le 5 décembre 1944 et jugé le 25 janvier 1945 par la Chambre Civique des Pyrénées-Orientales. Reconnu coupable pour son appartenance à la Milice, il écopera d’une peine de 15 ans de « dégradation nationale » au motif « d’indignité nationale ».
Mais comment le jeune Pierre Jonquères d’Oriola en est-il arrivé là ?
Fils de la famille Jonquères d’Oriola, grands propriétaires, notamment d’un domaine viticole à Corneilla-del-Vercol, Pierre a 19 ans quand éclate la guerre. Il s’inscrit dans la filiation politique de sa famille et se dit lui-même « sympathisant » de l’Action Française**. Avec la reddition et le régime de Vichy vient le temps du Service du Travail Obligatoire (S.T.O.). Les jeunes Français sont réquisitionnés et transférés vers l’Allemagne pour participer à l’effort de guerre. La mise en place du S.T.O. par l’Allemagne nazie va indirectement changer son destin. Pour l’éviter, le jeune homme s’enrôle dans le mouvement qui deviendra la Milice.
Lors de son interrogatoire, le procès-verbal numéro 835, que Made In Perpignan a consulté aux archives départementales, consigne ses propos. « J’ai signé mon adhésion au S.O.L. (Service d’ordre légionnaire) le 23 janvier 1943 sous l’instigation de deux ou trois jeunes gens que je ne connaissais pas, et qui après m’avoir présenté le S.O.L. au point de vue social, m’ont fait signer mon adhésion sur une fiche bleue. (…) Lors de la dissolution du S.O.L. et de la formation de la Milice ma classe venant d’être recensée, je me rends au mois de mars 1943 à Perpignan au siège de la Milice où je demandais à signer mon adhésion à la Milice afin de ne pas être envoyé pour le S.T.O. en Allemagne. Je signai mon adhésion sur une fiche verte et j’ai versé une cotisation de 100 francs. J’ai été nommé Franc-Garde le 25 mai 1943, mais cette nomination ne me fut jamais notifiée. »
André Balent rajoute, « en 1943, tout le monde savait ce que signifiait cet engagement , même une simple ‘signature’. » Quant à Nicolas Lebourg, historien spécialiste des extrêmes droites, il précise que la majorité des personnes interpellées à la libération justifient leur engagement dans la Milice pour ce motif.
S.T.O., S.O.L., Milice de quoi parle-t-on ?
Dans son ouvrage « Les adhérents aux mouvements de collaboration dans les Pyrénées-Orientales (1940-1944) » paru aux éditions Annales du midi en 1992, l’agrégé de l’Université, Jean Larrieu, décrypte cette période. Le S.O.L. (pour Service d’ordre légionnaire) est une organisation politique et para-militaire de Vichy. « Dans les Pyrénées-Orientales, les principaux mouvements (de collaboration) ont été le S.O.L., issu de la Légion Française des Combattants créée le 29 juillet 1940 (le 19 septembre à Perpignan), constitué en juin 1942 et transformé en Milice le 20 février 1943 », explique l’historien. La Milice française est une organisation politique et militaire du régime collaborationniste de Vichy.
Comme le rappelle André Balent, dans la Milice, il existait une branche armée « la Franc-Garde. » Ce sont eux qui ont commis toutes les exactions que l’on sait à partir de 1944, et surtout à partir du 6 juin, quand ils ont été mobilisés à l’hôpital de la rue Foch de Perpignan. » Mais, selon l’historien, Pierre Jonquères d’Oriola n’a pas été actif. Dans son interrogatoire Pierre Jonquères se justifie : « en tant que milicien je n’ai eu aucune activité au sein de cet organisme. Je n’ai jamais assisté à aucune réunion, ni manifestation. » Cependant, les documents confirment qu’il a bien fait partie de la Franc-Garde. « C’est grave, mais si on compare son cas à d’autres miliciens, il n’y a pas de crime de sang », confie André Balent.
Pierre Jonquères d’Oriola, de la démission de la Milice à l’arrestation en septembre 1944
Le 4 octobre 1943, Pierre Jonquères d’Oriola écrit une lettre au chef départemental de la Milice. Dans ce courrier référencé 870 par la Milice française, il demande « d’accepter sa démission pour raisons de convenances personnelles. » Malgré l’absence d’accusé réception, Pierre Jonquères d’Oriola déclare, à partir de cette date, « s’être totalement désintéressé de la Milice. »
La chronologie des mois suivants est rapportée dans son procès-verbal d’interrogatoire. « Au mois de janvier 1944, je suis parti à Fontainebleau suivre un cours à l’école de cavalerie de Saumur repliée à Fontainebleau, le 10 juin 1944 après le débarquement des troupes anglo-américaines, je suis revenu chez mes parents à Corneilla-del-Vercol, et j’ai repris mes occupations d’agriculteur. Et je n’ai eu aucun contact avec les miliciens. »
Après la libération de Perpignan en août 1944, Pierre Jonquères d’Oriola est, par arrêté préfectoral, « astreint à résider au centre de séjour surveillé du camp de Rivesaltes jusqu’à la fin des hostilités à compter du 2 septembre 1944, jour de son arrestation. » Selon Nicolas Lebourg, le Comité National de la Libération décide de conserver à la citadelle les personnalités les plus sensibles, et transfère les autres détenus à Rivesaltes. Durant son incarcération, Henri Rolland, son avocat, et lui-même demandent sa libération à plusieurs reprises. Ils joignent à leurs demandes plusieurs courriers et témoignages en sa faveur.
Pierre Jonquères d’Oriola écope de 15 ans de « dégradation nationale »
Des documents qui seront pris en compte lors de son jugement le 25 janvier 1945. En effet, à cette date, le tribunal se réunit et accuse Pierre Jonquères d’Oriola de s’être rendu coupable « d’avoir soit apporté volontairement en France ou à l’étranger une aide directe ou indirecte à l’Allemagne ou à ses alliés, soit porté volontairement atteinte à la sûreté de la nation ou à l’égalité et la liberté des Français. »
Grâce aux témoignages versés au dossier, la Chambre Civique reconnaît à Pierre Jonquères d’Oriola des circonstances atténuantes « mais qu’il ne s’est pas réhabilité en se distinguant par des actions de guerre concernant l’Allemagne ou ses alliés et par la participation active à la Résistance contre l’occupant ou le pseudo Gouvernement de l’État français. » Le tribunal condamne Pierre Jonquères d’Oriola à 15 ans de « dégradation nationale ». Il sera libéré du camp de Rivesaltes par décision du préfet le 17 mars 1945.
Dans son ouvrage, Jean Larrieu rappelle que dans le département des Pyrénées-Orientales, 434 miliciens ou anciens S.O.L seront traduits en justice. 28 condamnations à mort seront prononcées, et seulement 5 exécutées. 26 seront condamnés à des travaux forcés, 22 à de la prison et 358 à la dégradation nationale. La dégradation nationale entraîne la mise au ban du condamné et fait partie des peines afflictives et infamantes.
Sans préciser la date exacte, André Balent indique que Pierre Jonquères d’Oriola bénéficiera d’une des trois grandes lois d’amnistie en France. Il sera le seul champion olympique de saut d’obstacles à avoir remporté deux médailles d’or pour la France lors de deux jeux d’été (Helsinki en 1952 et Tokyo en 1964).
*André Balent est rattaché au CNRS pour le « Dictionnaire du mouvement ouvrier, mouvement social » qui inclut un « Dictionnaire des fusillés et exécutés de la Seconde Guerre mondiale ».
** L’Action française est une école de pensée et un mouvement politique français nationaliste et royaliste d’extrême droite.
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