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« La France de papiers » : À Perpignan, ils se battent pour les droits des étrangers

Article mis à jour le 26 février 2024 à 15:00

Dans le quartier du Bas-Vernet, à Perpignan, l’association Germà – « frère» en catalan – bat son plein. Depuis 2021, elle accueille les exilés venus des quatre coins du globe. Ses bénévoles leur apportent un soutien à tous les niveaux. Entre réponses juridiques, création de lien social ou solidarité directe, reportage au sein de Germà. Photos © Alix Wilkie.

« La France de papiers » est une série d’articles proposée par la rédaction de Made In Perpignan. Pendant deux mois, notre équipe s’intéresse à l’arrivée des étrangers sur le sol français dans les Pyrénées-Orientales. Entre procédures juridiques, intégration sociale et travail, le mythe d’un Eldorado français est-il encore d’actualité ? En collaboration avec l’association Germà, plongeons au cœur de ce « sac de nœuds » administratif. Une réalité à laquelle ces exilés sont confrontés, qu’ils doivent accepter et surmonter.

La maison de « tous les miracles »

À l’intérieur du bureau, l’odeur de la « clope » l’emporte sur celle du thé. Sur la table, autour du cendrier encore fumant, des papiers s’entassent. C’est tout sourire que Timéa et Gaëlle font face à Medhi, Hassan ou encore Asma*. Mais il y a aussi, Moussa, Abdul, Sarah, bref la liste est longue. Tous sont venus chercher de l’aide dans cette maison de « tous les miracles » ou presque…

Travailler à Germà, c’est aussi enchaîner les situations d’urgence. Être pressé par les délais courts des procédures ou encore trouver un logement pour ces trois familles soudainement à la rue. « J’ai l’impression de voir Les Lettres persanes** en direct dans mon boulot. C’est magnifique de voir la vision qu’ils ont à nous apporter de l’Europe, ça fait vraiment réfléchir», confie Timéa. À l’initiative de l’association et présidente de celle-ci, Timéa fait partie de cette trentaine de bénévoles qui font vivre la structure. Avec ses « quinze copains étrangers » et ses « quinze copains français », elle fonde Germà en 2021. Ancienne travailleuse sociale rémunérée, elle débute sa carrière dans un centre de demandeurs d’asile puis se spécialise en droit des étrangers.

Germà l’association où le mot fraternité prend tout son sens

Avant de monter son association, Timéa était salariée. Désormais bénévole, elle pense que l’État cherche à minimiser les aides. Révoltée, elle s’explique : « On est en permanence en train de récupérer les catastrophes que fait subir l’État français aux étrangers. Certains ne sont même pas au courant qu’ils peuvent bénéficier d’aides. ». Un problème, donc, qui serait politique. « Ce n’est pas normal d’avoir créé une association pour simplement faire mon travail, de bosser onze heures par jour sans être payée. Cela reste un choix et je le fais avec grand plaisir ».

En lien avec tout le réseau associatif local et institutionnel, Germà est un relais pour ces 600 personnes en demande d’accompagnement. Avec 400 dossiers en cours et 200 en attente de réponses, l’ennui n’a pas sa place ici. « Dis, on connaîtrait pas quelqu’un qui parle pachtoune ? », peut-on entendre depuis le salon. La question émane de Gaëlle. Bénévole depuis la création de l’association, elle s’occupe, tous les après-midi, des longues procédures informatiques, des demandes de visa, mais aussi de la communication ou de la gestion du planning. Ce jour-là, la barrière de la langue est un problème. Mais pas de panique. Au total, près de 70 langues sont parlées au sein du groupe. En un coup de fil, une solution est trouvée.

Comme une grande famille, Timéa accorde un point d’honneur au premier article des statuts de son association : « Nous sommes des bénévoles unis autour de la valeur de fraternité ». « Germà » vient donc de la traduction de « frère » en catalan. Un nom qui n’a pas été choisi au hasard.

Réfugié, étranger, immigré, exilé, migrant, tant de mots pour définir l’humain

Si les mots ont un pouvoir, autant les utiliser correctement. « La langue comme les mots ont une histoire. Une langue qui n’évolue plus, qui se fige, est une langue morte » affirmait l’écrivaine Thérèse Moreau. On a fait le point avec les bénévoles de l’association sur le vocabulaire spécifique au droit des étrangers.

Les Nations-Unies utilisent le mot « migrant » pour parler de toutes personnes ayant quitté son pays pour vivre de manière prolongée dans un autre État. Pour Timéa, c’est une notion vaste mais qui ne correspond à aucune réalité. Elle comptabilise simplement les flux de population. En France, on emploie l’expression de « migrant » souvent de manière péjorative. La présidente de l’association s’explique : « C’est un terme fourre-tout qui permet de faire des généralités souvent négatives. Bizarrement on ne dit jamais « les migrants ont des capacités linguistiques et d’adaptation impressionnantes ». Pourquoi toujours associer ce terme à des problèmes derrière ? ». Dans cette série d’articles, nous faisons le choix d’opter pour le mot « exilé », « immigré », « étranger » plutôt que celui trop connoté de « migrant ». 

Il était une fois, une énième loi immigration

Tout commence par une loi. Celle du 26 janvier 2024. Avec l’adoption de la loi immigration par le Parlement, c’est le droit des étrangers qui est pris pour cible. Si les Sages du Conseil constitutionnel ont procédé à la censure des 32 articles sur 86, la suppression de ces « cavaliers législatifs » ne change en rien la situation des étrangers. Préférence nationale, quotas, prise d’empreinte sans consentement autant de notions que les neuf juges du Conseil constitutionnel ont souhaité expurger de la loi de Gérald Darmanin. La réduction de leurs droits et des conditions d’intégration plus restreintes sont au cœur du débat dans une France qui se droitise.

L’enjeu d’aujourd’hui réside dans l’embrouillamini du droit français. Entre la spécificité des situations et la mouvance de la discipline, il y a de quoi s’arracher les cheveux. Et les limites sont également posées par le gouvernement. Si certains bords politiques montrent leur approbation face à l’intégration des étrangers sur le sol français, d’autres plus à droite cherchent à complexifier leur régularisation. Alors comment trouver sa place au sein de la société française ? Ou, tout simplement comment rester sur le territoire français en toute légalité ? Voilà ce que Timéa, et son équipe tentent de résoudre.

*Certains prénoms ont été modifiés.
** Montesquieu publie en 1721 « Les Lettres personnes ». Roman épistolaire rassemblant la correspondance fictive échangée entre deux voyageurs persans.

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Alix Wilkie