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« La France de papiers » : De Perpignan à Paris, la route d’un exil interminable

Article mis à jour le 28 février 2024 à 20:57

Victoire* est une mère ivoirienne installée à Perpignan depuis trois ans. Elle et sa famille se battent pour obtenir une situation régulière ici. Mais le chemin à parcourir pour obtenir l’asile est encore long. Photo © Alix Wilkie

Pour ce second volet de la série « La France de papiers », la rédaction de Made In Perpignan s’est intéressée aux répercussions des décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) dans les Pyrénées-Orientales. Sur la base d’une organisation centralisée, cet établissement, basé à Paris, instruit les demandes d’asile. À Perpignan, nous avons rencontré Victoire. Elle a sollicité l’aide de Germà dans sa demande de papiers et pour se préparer à l’épreuve qui l’attend à la capitale.

La méthodologie précise du récit Ofpra

Timéa ne s’habituera jamais aux pleurs. À ses rendez-vous, elle distribue les mouchoirs. Lors des entrevues dans le cadre des demandes de papiers, le passé finit toujours par ressurgir. Le chemin de l’exil commence d’abord « au pays » explique Timéa, « lorsque les évènements sont tels, qu’il n’est plus possible d’habiter sur sa terre ». Guerre, famine, persécution, mariage forcé, nombreux sont les cas où il est impérieux de chercher refuge ailleurs. Entre fuir et se sauver, la frontière est parfois étroite.

Aujourd’hui à Germà, Timéa reçoit Victoire. Elle est ivoirienne et découvre l’épreuve du « récit Ofpra ». Comme passage obligé avant l’audience à l’office, c’est le premier moment où l’étranger explique son histoire. Face à Victoire, Timéa note scrupuleusement les propos et les raisons qui l’ont contraint au départ. Victoire développera davantage son récit devant l’officier de protection à Paris.

Après les mots rassurants de Timéa, la jeune femme se lance. Avec son conjoint, ils ont atterri à Perpignan après un long périple. Face aux croyances de leur communauté et à leur amour impossible, le choix a été vite fait. Victoire était promise à un homme bien plus âgé qu’elle, prêt à tout pour la « posséder ». Un coup monté arrangé par la famille, et ce, depuis sa naissance. Un jour découvrant « l’entourloupe », Victoire prend la fuite. Son compagnon et elle partent, vers ce qu’ils imaginent être un avenir plus serein.

L’entretien entre Victoire et Timéa s’interrompt. Samuel* apporte le thé pour sa « Patata ». C’est Timéa. Elle a gagné ce surnom pour la bonne humeur qu’elle dégage et qui aide parfois à surmonter ce genre d’épreuve. Maintenant que le récit est écrit et envoyé, il faut attendre la réponse de l’Ofpra.

En terrain inconnu

Un mois est passé et Victoire a reçu sa convocation pour monter à Paris. Deux protections sont octroyées par l’Ofpra : le statut de réfugié attitré pour dix ans et la protection subsidiaire, valable quatre ans. Victoire, elle, souhaite simplement l’ouverture de droits. Qu’importe la durée, « c’est déjà ça d’assuré ».

Mi-février, le périple se poursuit. Depuis Perpignan, elle prend un bus de nuit. Un trajet de 11h l’attend et il s’annonce fatigant. Au petit matin, Victoire arrive à la gare de Bercy. Les idées encore embuées par le sommeil, elle doit affronter les dédales souterrains du métro parisien pour enfin arriver à Fontenay-sous-Bois, dans le 94. Un imposant bâtiment blanc et vitré lui fait face. Son rendez-vous est prévu à 9h. Mais dans la salle d’attente, elle n’est pas la seule. « C’est souvent le cas à l’Ofpra », nous explique Timéa.

« Il y a plus de rendez-vous calés que d’officiers de protection disponibles. Cela arrive qu’il y ait des reports. Les gens venant de loin sont quand même prioritaires ». Victoire patiente donc dans la salle d’attente. Finalement, elle passera trois heures après l’heure indiquée sur sa convocation. « J’étais très stressée et je n’avais quasiment pas dormi », nous confie Victoire. Elle sort de son audition groggy. « Quand j’ai eu terminé, je n’étais pas contente de moi. Je me demandais vraiment si ça allait marcher ».

Victoire avait la possibilité de se faire assister par un avocat, mais par manque de moyens, elle était seule face à l’Ofpra. Plus d’une cinquantaine d’associations sont habilitées à accompagner les demandeurs en prêtant une assistance gratuite, mais Germà n’en fait pas partie. De retour à Perpignan, Victoire recevra rapidement une réponse à sa demande d’asile. Elle est négative. Les motifs ? Une histoire trop peu détaillée.

« Je veux me battre »

Selon les chiffres provisoires de 2023, « […] quelque 123 400 premières demandes d’asile sont dénombrées », peut-on lire sur le site du gouvernement. Les trois-quarts des demandes de protection internationale sont liés à l’asile.

Contacté sur le rejet de la demande de Victoire, l’Ofpra affirme qu’aucune preuve du récit des exilés n’est demandée. « Les déclarations du demandeur d’asile constituent le matériau principal d’appréciation de sa situation individuelle et de ses craintes. Il est donc nécessaire que ces déclarations soient les plus circonstanciées possible », précise le service presse de l’Ofpra. « Pour apprécier la crédibilité d’un récit, l’Office vérifie la cohérence interne du récit du demandeur, mais aussi la cohérence de celui-ci au regard des informations connues sur le pays d’origine du demandeur ».

Mais pour Victoire, « c’est compliqué de se faire comprendre ». Il faut déjà se replonger dans son récit via des questions parfois très intrusives. Le français et ses tournures de phrases complexes peuvent être un frein pour le demandeur. Même si l’assistance d’un interprète est possible, encore faut-il que les retranscriptions soient conformes aux propos. Victoire affirme ne pas avoir été bien traduite à certains moments de son audition. Une chose est sûre, elle « veut se battre ». Son nom d’anonymat dans l’article n’a pas été choisi au hasard. Aujourd’hui, l’avenir est incertain pour elle. Elle doit à nouveau rencontrer l’association Germà dans le cadre de son recours et se tenir « prête pour la suite. »

*Les prénoms ont été modifiés.

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Alix Wilkie