Article mis à jour le 8 mars 2025 à 17:24
Ce 7 mars 2025, Salomé Saqué, journaliste du média en ligne Blast et auteure de Résister, éditions Payot et Rivages, déjà écoulé à plus de 200 000 exemplaires, était à Perpignan. Avant sa rencontre avec le public de la Maison de ma Région, Made In Perpignan a pu échanger avec cette jeune écrivaine, qui prône un journalisme factuel.
Au cœur de la librairie Torcatis, Salomé Saqué, l’auteure, s’installe et redevient momentanément Salomé la journaliste impatiente d’en savoir plus sur une ville sous mandat RN, la plus grande de France aux mains du parti de Louis Aliot, Marine Le Pen et Jordan Bardella. Au-delà de la situation de Perpignan, l’écrivaine revient sur son ouvrage, qui donne quelques pistes pour combattre l’extrême droite sur le terrain des idées, et sans violence.
Made in Perpignan : Quel a été le déclic pour écrire Résister ?
Salomé Saqué : Je travaille sur l’extrême droite pour la rubrique économie de Blast. Ces dernières années, la percée de l’extrême droite a suscité mon intérêt de journaliste. En 2023, dans l’optique des élections européennes, j’avais commencé à documenter ce mouvement politique. Et puis il y a eu les législatives, pendant lesquelles l’urgence et la gravité de la situation ont fait que mes collègues et moi, dont Paloma Moritz, nous nous y sommes penchés beaucoup plus sérieusement : l’histoire du parti, ses rouages, et la banalisation de ses idées dans l’espace médiatique.
Après les législatives, j’étais abasourdie, beaucoup de gens avaient l’impression d’être sortis d’affaires, que les personnes qui défendaient les droits humains et la démocratie avaient gagné ; mais moi, je voyais bien que ce n’était pas le cas, que les idées du RN avaient déjà infusé. Certes, on n’a pas eu de premier ministre d’extrême droite, mais les idées, elles, étaient bien là. La démocratie avait été abîmée. Des alliances se sont créées entre les Républicains et le RN, et tout ça allait laisser des traces.
MiP : Dans la dernière partie du livre, « Résister, aujourd’hui », les idées deviennent des armes de résistance non-violente pour renforcer le lien social, le débat et l’esprit critique. Pourquoi avoir voulu ce manuel de « survie intellectuelle » ?
Salomé Saqué : Mon travail, c’est de produire du contenu informatif. Je vais rappeler les faits, les faits, les faits, encore les faits. Beaucoup de gens m’ont écrit pendant les législatives. Ils me disaient qu’ils avaient très peur de ce qui se passait, et me demandaient quoi faire. Mais moi, je ne sais pas ce qu’il faut faire, je suis juste journaliste. La seule partie que je maîtrise, c’est l’information.
Plus qu’un manuel, c’est une sonnette d’alarme, un condensé d’informations. J’essaye surtout de revaloriser l’indignation, cette émotion qui peut avoir quelque chose de très noble. En tant que citoyens, nous avons parfaitement le droit d’être en désaccord avec ce qui se passe et de le dire.
Le livre a été écrit pendant l’été 2024, et plus le temps passe, plus les discours de haine se multiplient, plus c’est violent, plus c’est sidérant, et plus nous sommes face à une actualité absolument inimaginable il y a encore quelques mois. Là, au moment où on enregistre cette interview, on parle même de risque de guerre avec la France, pour reprendre les mots du président de la République. C’est notre travail de journaliste de rappeler quelles sont les possibilités qui s’offrent à nous, quels sont nos droits, et quelle est aussi l’histoire des mouvements sociaux. Rien n’est jamais gravé dans le marbre, rien n’est acquis. On a le droit de stopper l’histoire, de dévier son cours.
Ce livre n’est absolument pas un monument de littérature. Son objectif est d’être extrêmement clair, et que les personnes qui le lisent puissent se réemparer des arguments. Ce n’est pas un livre d’analyse poussée, ni un livre académique ou universitaire.
MiP : Le RN est majoritaire dans les Pyrénées-Orientales, espérez-vous que le livre puisse attirer ces électeurs ? Considérez-vous qu’il n’est plus possible de les convaincre des dangers de l’extrême droite ?
Salomé Saqué : Non, je ne pense pas qu’il soit impossible de les convaincre. En 2017, en France, aux élections législatives, il y avait huit députés RN, en 2024, ils sont 142. Cela veut dire que les électeurs qui ont basculé du côté du RN n’ont pas toujours eu ces opinions.
Néanmoins, j’ai bien conscience, de par la polarisation du débat public, que le simple fait que je sois journaliste pour un web média, peut être un repoussoir. Avec ce livre, je voulais pouvoir offrir des éléments à ceux qui ne vont pas forcément être des militants d’extrême droite, mais qui ne vont pas non plus voir le danger de ces mouvements politiques. Ce sont des personnes qui, souvent, vont être attachées aux droits humains, à la démocratie. Mais qui vont se dire que finalement, le RN « ce n’est pas si grave ». Parfois, certains y sont même opposés, mais ils se disent que puisque c’est en route, il vaut mieux qu’ils arrivent au pouvoir, qu’ils fassent n’importe quoi et qu’ils repartent vite. Sauf que ceux qui pensent comme cela oublient le risque de bascule dans un régime autoritaire.
C’est aussi à ces gens-là que je veux parler. Si mes paroles peuvent atteindre des électeurs du Rassemblement national ou d’extrême droite, j’en suis ravie. Mais je ne me fais pas trop d’illusions, et finalement, on ne peut pas parler à tout le monde.
MiP : Certains électeurs ne se retrouvent dans aucun parti, et ne veulent plus aller voter pour « faire barrage ». Est-ce que votre livre a vocation à leur redonner l’envie de voter ?
Salomé Saqué : Pour moi, il y a plusieurs modes d’engagement politique, dont celui qui consiste à aller voter. Moi, à titre personnel, je vote. Je rappelle dans le livre ce qui se passe si on laisse ce type de parti arriver au pouvoir. Mais je n’appelle pas à voter directement, je dis simplement « voilà ce qu’on risque ».
C’est à vous de faire votre choix. Mais faites-le en conscience. Être citoyen et lutter contre l’extrême droite, ce n’est pas que seulement agir par le vote, il y a beaucoup de choses qui se passent ailleurs que dans les urnes. Il y a par exemple le combat sur le plan des contre-vérités, du discours haineux qui infuse. Nous ne pouvons pas laisser des réalités parallèles s’installer.
Il faut aussi garder un tissu social fort, conserver une capacité de dialogue avec les personnes qui nous entourent. Parce que même dans les territoires qui ne sont pas gouvernés par le RN, on constate une polarisation dans des familles, dans des groupes d’amis, parmi des collègues. Il y a des endroits où le dialogue est devenu impossible. Et ça, c’est aussi une des grandes victoires de ces extrêmes droites à travers le monde. Elles ont tellement polarisé le débat, réussi à imposer des fake news, des contre-vérités, qu’il est devenu très difficile de communiquer. Même si c’est vrai que l’extrême droite n’a pas l’apanage de la diffusion de fake news.
Ce livre arrive après les combats de beaucoup de gens avant moi. Je pense à tout le tissu associatif qui est très fort, à toutes les initiatives locales, les comités de quartier. Je pense au monde du syndicalisme et aux victoires collectives obtenues. Il y a le monde de la discussion en ligne, qui a éclos vraiment ces dernières années. Les réseaux sociaux sont un terrain comme un autre, c’est un endroit où on diffuse des idées, c’est un endroit où on façonne des sociétés. Là encore, on a une marge d’action en tant que citoyen.
MiP : Comment est-ce qu’un discours comme celui de Résister peut parler à des gens qui croient à la théorie du grand remplacement, et qui se sentent déclassés ?
Salomé Saqué : Penser que la cause de la paupérisation personnelle, c’est l’immigration, est un contre-sens économique et historique. Penser que le Rassemblement National porte vraiment des mesures qui sont des mesures sociales qui vont favoriser une plus juste répartition des richesses est aussi factuellement faux.
On ne constate pas dans les territoires qui sont gouvernés par le Rassemblement National une diminution des inégalités, une croissance folle des richesses, malgré des politiques qui iront dans le sens de la discrimination. Je pourrais citer le livre du journaliste Vincent Edin, qui s’appelle En finir avec les idées fausses propagées par l’extrême droite, et qui traite de cette question-là. L’extrême droite a cette capacité à s’appuyer sur des fantasmes, qui sont les leurs. Elle les répand comme si c’était une vérité vérifiée. Je pense évidemment à la théorie du grand remplacement démontée par les universitaires et par les statistiques. Et ce n’est pas un hasard si l’extrême droite est une des seules formations politiques qui s’attaque aussi fortement au monde académique et universitaire.
Il y a des recommandations à la fin du livre sur comment discerner un média honnête d’un média qui ne va pas l’être. La vraie victoire, ce n’est pas de dire aux gens quoi regarder, c’est leur donner les outils pour discerner le vrai du faux. Moi, je ne suis personne pour vous dire quelle est la feuille de route parfaite. Mais par contre, tout sauf l’indifférence. Parce qu’historiquement, on voit bien à quoi mène cette attitude.
Je suis très heureuse de constater que dans beaucoup de territoires, les personnes que j’ai rencontré m’ont donné plein d’idées auxquelles je n’avais pas pensé. Quand j’arrive là, à Perpignan, la première chose que je fais, c’est de poser des questions. Je ne vis pas dans une ville gouvernée par le Rassemblement National. Donc, j’ai beaucoup de choses à apprendre, des gens d’ici, qui luttent et qui sont réfractaires à ces idées. C’est mon but final, cette mise en commun des compétences, des idées, du savoir. C’est pour ça que je plaide.
Et c’est pour ça d’ailleurs qu’il est pour moi très important de ne pas aspirer à incarner une quelconque résistance. Ma vision du monde passe par le collectif, le partage des savoirs, où on ne met pas tout sur les épaules d’un individu. Parce que je ne pense pas qu’il y ait un individu qui sache tout mieux que les autres. Et certainement pas moi.
MiP : Est-ce que ce n’est pas un peu ce qui est en train de se passer ? Depuis la sortie de votre livre Sois jeune et tais-toi, suivi de Résister, vous êtes devenue une figure publique incontournable.
Salomé Saqué : C’est pour ça que je le rappelle. Parce que j’aimerais qu’il y ait plus de confrères et de consoeurs qui prennent des positions similaires, pour mieux contrer cette vague obscurantiste.
Et puis, ce livre m’a coûté cher en termes d’impact médiatique, et de tranquillité d’esprit, disons-le. Je suis cyber harcelée au quotidien. Aujourd’hui, je veux rappeler que je ne serais pas autant ciblée si je n’étais pas seule. Alors, je ne suis pas la seule, mais on n’est pas assez nombreux et nombreuses.
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