Article mis à jour le 1 mai 2025 à 12:03
Lundi 5 mai 2025, le festival Confrontation diffusera en avant-première le documentaire de Jérémie Battaglia, « Une jeunesse française », dans l’enceinte de la Casa Musicale à Perpignan.
Ce film de 82 minutes suit deux Français d’origine maghrébine, loin des clichés des jeunes de banlieue désœuvrés rêvant de devenir footballeurs. Jawad et Belka, eux, sont passionnés par la course camarguaise : ils sont raseteurs*. Durant la saison estivale, ils choisissent de risquer leur intégrité physique pour tenter de décrocher la cocarde qui trône entre les cornes affûtées des taureaux de Camargue. Un film qui tord le cou aux préjugés et montre que faire perdurer les traditions n’est pas réservé aux seuls Français dits « de souche ». Photos © Vues du Quebec.
« Le taureau est là pour gagner, mais nous aussi »
Contrairement aux corridas avec mise à mort, ici, le taureau survit au combat avec l’homme. Le raseteur simplement habillé de blanc, loin des habits de lumière des toreros espagnols, doit voler la cocarde placée entre les cornes du taureau. Pour Jawad, « le taureau est un ange, il est capable de vous envoyer au paradis, comme en enfer. Dans l’arène, tu peux t’élever ou tout perdre. » Le jeune homme qui finalise la construction de son foyer avec son épouse est bien conscient du danger de ce sport passion. Quant à Belka, qui a succombé aussi à la passion de la course camarguaise, il confie : « le taureau est un roi, et le raseteur aussi ! ».
Avec ce documentaire, Jérémie Battaglia entend déconstruire l’imaginaire, véhiculé par les médias, sur les jeunes hommes français d’origine maghrébine : voyous, radicalisés, violents… Au fil de ses recherches, le réalisateur a posé ses valises à Lunel, ville marquée par les tensions identitaires. Il y découvre la course camarguaise.
« Lors de ce travail de terrain, j’ai rencontré de nombreux raseteurs d’origine maghrébine, qui représentent aujourd’hui la majorité des raseteurs en activité. Il y a eu Hédi, Brahim, Adil, Jawad, Belka, et bien d’autres. Les longues journées passées dans les arènes m’ont permis d’observer, d’écouter, et de mieux comprendre leur réalité, jusqu’à en faire émerger la métaphore centrale du film. »
Ce film documentaire retrace le parcours de Jawad et Belka qui tentent de trouver leur place dans une société qui les relègue souvent à la marge. Jawad, diplômé mais confronté au plafond de verre de la discrimination, rêve de devenir pompier. Belka, impulsif et flamboyant, tente de se réinventer en piste après une jeunesse cabossée. À travers leurs blessures physiques et leurs doutes intimes, le réalisateur capte avec pudeur la tension entre appartenance et altérité.
Le poids du corps comme seul langage légitime
Plus qu’un documentaire sportif, « Une jeunesse française » est un récit politique et sensoriel. Les mots de Belka résonnent comme un cri de reconnaissance : « Demain, je sors, je suis une personne quelconque. Et dans l’arène, on va te regarder comme si tu étais un footballeur.» Dans l’arène, il s’envole, littéralement, pour éviter les cornes du taureau lancé à pleine allure.
Pour Belka, faire le choix des taureaux était une question de survie. « Ma vie est une revanche, pour moi, c’était le sport ou la prison ». Le jeune homme a eu le déclic après avoir vu Youssef, son ami d’enfance, succomber dans un règlement de compte lié à la drogue. « J’avais le taureau pour me faire tenir. »
Et pourtant, ce n’était pas si simple, ses parents étaient contre cette pratique, ils préféraient le football. Malgré l’inquiétude de sa mère, ses parents ont fini par accepter. Et puis Belka a le goût de la gagne chevillé au corps, il veut prendre sa revanche et marquer le sport. Même s’il regrette qu’à ce niveau-là, la course camarguaise soit si faiblement cotée.
Avant de sortir de ce couloir sombre, attirés par les cris et le sable, les raseteurs évoquent la douleur, les blessures de l’âme et du corps, les sacrifices. « Rien n’a changé depuis les gladiateurs », lâche Belka, conscient de la brutalité d’un sport aussi noble que cruel.
Un film contre les préjugés, ancré dans une réalité française
Porté par une mise en scène immersive et une narration empathique, « Une jeunesse française » s’inscrit dans une démarche de réhumanisation. Jérémie Battaglia, qui a grandi dans une banlieue de Marseille, connaît bien ces trajectoires heurtées. « Je voulais un film qui réhumanise la figure du jeune homme maghrébin, constamment déshumanisée par les discours dominants », explique-t-il dans sa note d’intention.
Sans didactisme, le film interroge aussi les injonctions contradictoires de l’intégration : devoir prouver son attachement à une nation tout en étant constamment rappelé à sa différence. La phrase de Jawad résume cette dissonance : « Moi, je suis français d’origine marocaine, pas marocain d’origine française. »
Le documentaire « Une jeunesse française » s’inscrit dans le programme du festival Confrontation porté par l’Institut Vigo. Pour ses 60 ans, le festival explore, du 2 au 6 mai, les multiples facettes du “cinéma animal”.
*Le raseteur est celui qui, dans la course camarguaise, affronte le taureau. À l’aide d’un crochet, il tente de lui ravir la cocarde apposée entre les deux cornes de l’animal.
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