À Perpignan, une douzaine de téléphones grave danger sont du ressort du tribunal judiciaire. De plus en plus attribué en France, ce dispositif rassure et peut même sauver des vies. Laura* et Fanny* racontent leur rapport avec l’appareil.
Au tribunal de Perpignan, derrière l’attribution des téléphones grave danger (TGD) se cachent, Nora Benyakoub, assistante spécialisée aux violences intra-familiales et Jean-Claude Miquel, vice-procureur en charge du contentieux atteinte aux personnes. Dans leur bureau, les deux collègues voient les dossiers s’accumuler. Des couples, des femmes célibataires, … mais surtout, la détresse. Tous les jours, Nora et Jean-Claude font état des violences, physiques ou psychologiques, subies par ces victimes, la plupart du temps des femmes.
Qu’est-ce que le téléphone grave danger ?
Inspiré du système espagnol ATENPRO** mis en place en décembre 2005, le TGD est un téléphone portable disposant d’une touche dédiée permettant à la victime de joindre un service de télé-assistance, accessible 7j/7, 24h/24. Derrière, un opérateur évalue le danger. Au besoin, il contacte les forces de sécurité par un canal spécifique. Une fois l’alerte déclenchée, la victime est géolocalisée et les forces de l’ordre peuvent intervenir rapidement.
Généralisé en 2013 sur le sol français, le nombre de téléphones est en constante augmentation depuis cinq ans. Signe d’une prise de conscience collective de l’ampleur des violences conjugales, ce dispositif a vu ses conditions d’attribution assouplies. Dans le cadre d’une procédure pénale et sous réserve de l’accord de la victime, il est octroyé à l’issue d’une plainte ou d’un signalement par le procureur de la République. Ce dispositif inclut un accompagnement global avec une prise en charge psychologique, sociale et juridique de la victime.
Dans les Pyrénées-Orientales, une douzaine de TGD sont du ressort du tribunal judiciaire. Pour Nora et Jean-Claude, leur plus belle victoire a été cette femme. Après deux années sous TGD, elle est venue le rendre. « Quand elle s’est présentée devant nous en disant : « Je n’en ai plus besoin », tu sais que tu as réussi ton travail », nous confie Jean-Claude Miquel.
« Des anges gardiens au bout du fil »
Souvent donné à l’insu de l’autre partenaire et facile d’utilisation, Laura* parle du TGD comme d’« une présence rassurante ». Après avoir quitté son conjoint, Laura est sans cesse menacée. Pressions psychologiques, violences, elle vit un enfer : « J’ai été aveuglée par son amour. J’avais l’impression d’être une princesse à ses yeux. Sous emprise, je ne me rendais pas compte, mais j’étais la seule qui essayait de construire quelque chose, lui ne faisait que tout détruire ». Rapidement, Laura tombe enceinte, quitte son travail et s’isole.
Suite à des années de calvaire et à bout de force, cette mère de famille décide un beau jour de se libérer. Laura avoue ce qu’elle traverse auprès d’une assistante sociale. On ne tardera pas à lui fournir un téléphone grave danger. Sur le plan juridique, Laura et son ex-conjoint ne doivent plus se voir. Il y a interdiction de vie commune pour des raisons évidentes et « Monsieur » ne doit pas être informé du dispositif. « Au total, j’ai déclenché l’alerte trois fois. À chaque fois, mes anges gardiens étaient au bout du fil. », se remémore Laura. De l’autre côté, des professionnels formés aux situations d’urgence n’hésitent pas à rassurer les victimes et leur expliquent comment réagir.
« Un jour, je me suis dit : c’est terminé. Le téléphone m’avait donné assez confiance en moi et même si les premiers temps ont été angoissants, j’ai fini par m’en libérer. J’étais devenue une autre personne, je n’étais plus une victime », confie Laura. Elle reprend goût à la vie, retrouve un compagnon et décide de s’établir, sans crainte, dans une nouvelle vie.
Aujourd’hui, Laura sait que les décisions de justice prononcées contre son ex-compagnon ne sont pas définitives. Combattante, elle se dit « prête » à recontacter, sans honte, les personnes l’ayant sorti de sa détresse.
La victime actrice de sa sécurité
En 2022, 3 556 téléphones ont été attribués en France contre seulement 300 en 2019. Le fonctionnement du téléphone grave danger rend la victime actrice de sa propre sécurité. À l’initiative du déclenchement de l’appel, Laura a actionné l’appareil a trois reprises quand Fanny était simplement rassurée d’avoir un lien direct avec les forces de l’ordre.
Certains récits dévoilent les dilemmes auxquels les bénéficiaires du TGD sont confrontés. Emprise, relation toxique, « schéma qui se répète », les affaires sur le bureau de Nora et Jean-Claude sont parfois complexes. La synergie entre victime et auteur peut poser problème. Les efforts déployés par les acteurs judiciaires pour briser cette dynamique deviennent alors limités. « Nous ne pouvons pas empêcher les victimes de retourner auprès des personnes violentes, voire de retourner auprès de la source du problème », se désole Jean-Claude.
Fanny* a bénéficié du TGD pendant cinq mois. « Une fois l’alerte donnée, les opérateurs savent de quel dossier il s’agit. C’est un gain de temps énorme. Moi ça m’a beaucoup rassuré de l’avoir. Quand j’ai fait la demande du TGD, deux jours plus tard il était dans mon sac. Peu de victimes connaissent le TGD, pourtant, c’est un dispositif rassurant et qui fonctionne bien », affirme Fanny.
Néanmoins, près de huit ans après sa généralisation, le nombre de TGD attribués en France est presque trois fois plus faible que celui des utilisatrices du système ATENPRO espagnol. L’explication à cette différence réside dans les modalités d’accès. En France, il est donné sur décision de justice, en Espagne, ce sont les services sociaux et les services d’égalité au sein des municipalités qui en portent la responsabilité.
*Les prénoms ont été modifiés
**Servicio Telefónico de Atención y Protección para víctimas de violencia contra las mujeres
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