Article mis à jour le 5 novembre 2024 à 12:00
Chercheur de l’université de Toulouse, le professeur émérite Alain Tarrius s’est spécialisé dans les flux de ces femmes venues de l’Est. Le sociologue publie aux éditions L’Harmattan, «Le marché des femmes balkaniques en temps de guerre».
Sans nom de famille, elles se déhanchent dans les «puticlubs» bien connus de ce côté de la frontière. Le long des routes, juchées sur des talons hauts et court vêtues, ces jeunes femmes ne sont pas arrivées seules dans ce «métier». Au fil de ses recherches, Alain Tarrius a réussi à en questionner de nombreuses, de Sardinella à Magdalena, elles lui ont raconté leur parcours, depuis les Pays baltes aux bordels espagnols, et parfois leur retour dans leur pays d’origine. Désormais, la guerre en Ukraine bouleverse le fragile équilibre que ces femmes avaient réussi à créer.
Quel impact de la guerre en Ukraine sur le trafic des femmes ?
Depuis le début de son étude sur ces femmes venues de l’Est de l’Europe via la mafia Russo-Ukrainienne, Alain Tarrius a mis en évidence leur quotidien en Espagne ; mais aussi leur projet de retour chez elles avec le «butin» accumulé grâce à ce qu’elles appellent pudiquement «le travail hôtelier en Espagne.»
Magdalena est originaire d’une petite ville entre Kiev et Odessa. Fille d’employés municipaux qui militent contre l’influence russe, elle est l’aînée des quatre filles du couple. Magdalena part à 18 ans, diplômée en « entretien des collectivités. »
« Il y avait des femmes de partout autour de la mer Noire, même des Roumaines et des Géorgiennes ; il était évident qu’elles se prostituaient dans les ports d’escale, avec des clients des croisières mais aussi avec des hommes des ports, des marins, des touristes. (…) On se mélangeait et on devenait tous amis, chrétiens et musulmans, Arabes, Turcs, Hongrois, Polonais, Géorgiens et d’autres ; on était un monde à part, le peuple des ports et de la mer (…) ». Après cinq mois à Sotchi, un Géorgien lui dit : « tu n’as plus besoin de faire semblant de travailler à la propreté des bateaux. On t’a trouvé une bonne place dans un club espagnol pour faire ce que tu as si bien appris à Trabzon ».
Après sept ans de travail du sexe en Espagne, Magdalena est rentrée en Ukraine et a ouvert un «bel hôtel international» au sud d’Odessa. Grâce à son pactole accumulé, elle a réussi à créer l’Ovide et emploi 28 membres de sa famille et proches. Questionnée par Alain Tarrius, elle raconte le début de la guerre et le départ de la clientèle de son hôtel. «Les dégâts ne furent pas importants (…), mais plus un seul client jusqu’au retour de la paix.»
« L’ONG retours » créée par Sardinella en pleine mutation
Le sociologue perpignanais a longuement documenté la création par Sardinella de son «ONG retours»*. Après quatre années d’un parcours chaotique entre clubs de troisième ordre et abattoirs**, Sardinella avait renoué avec sa famille et créé l’ONG Retours. Son but ? Faciliter les retours dans les Balkans des filles qui désiraient investir leur cagnotte dans un projet d’entreprise, de commerce ou d’agriculture. Au fil des années, les femmes se constituent une « cagnotte ». Après six années de travail et 380.000€ de gain, ce qui correspond à environ 300€ par jour (120€ pour le gérant du club et 180€ pour la fille).
Depuis la guerre initiée par la Russie, certaines de ces «fuyardes» sont désormais obligées de faire le chemin en sens inverse et de revenir en Espagne. «Dans un premier temps, les clubs prostitutionnels, accueillirent ces (revenantes) sur des emplois nouveaux, accueil des clients, de propreté des bars…»
Sardinella souhaitait que les filles réussissent leur retour en investissant leurs gains accumulés suite à « l’exploitation de leurs corps ». Mais selon elle, après l’invasion russe, les demandes sont arrivées de partout. Selon Sardinella, «le bon ordre de mon réseau était tout bouleversé.» Depuis 2022, ses anciennes protégées se sont lancées dans la création de leur propre micro-réseau prostitutionnel. Après plusieurs années dans le métier, Irina a créé à Vienne son business. Un réseau avec 58 prostituées et «lady-boys» de 18 à 25 ans, agissant à Vienne et dans ses environs, mais contrairement aux établissements espagnols, ici les travailleurs du sexe sont essentiellement des locaux.
Notes
*En février 2023, ONG Retours comptait 400 femmes Roumaines, Ukrainiennes et Albanophones, mais aussi près de 200 routiers qui aident les filles à remonter dans leur pays.
**Les bordels pour travailleurs agricoles immigrés marocains sont appelés des « abattoirs » du fait des conditions particulièrement difficiles pour les filles.
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