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La reco lecture de Mare Nostrum : Vichy, histoire complète d’une dictature française 1940-1944

Article mis à jour le 13 octobre 2025 à 08:17

Sous la plume d’une équipe d’historiens chevronnés, dirigée par Laurent Joly, président du Conseil scientifique du Mémorial du Camps de Rivesaltes, Vichy. Histoire d’une dictature revisite l’histoire du régime de Vichy (1940 – 1944). Vichy. Histoire d’une dictature aux éditions Tallandier.

Le site d’information Made In Perpignan s’associe à Mare Nostrum, devenu la référence littéraire du bassin méditerranéen. Dans le cadre de ce partenariat prestigieux, Jean-Jacques Bedu, président du Prix littéraire Mare Nostrum, dévoile ses coups de cœur.

L’ouvrage va bien au-delà de l’étude de la violence du basculement dans l’autoritarisme. Il met à jour les illusions, la collaboration zélée et les jeux de pouvoir qui ont rendu cette dictature possible, et surtout durable.

Porté par une documentation inédite, un collège d’historiennes et historiens de renom, et un usage parfait des sources privées, ce livre offre un récit haletant, troublant de familiarité.

Comment la dictature de Vichy a-t-elle pris racine en France ?

Comment meurt une République ? La question, immense, lancinante, traverse de part en part l’entreprise magistrale dirigée par Laurent Joly. Dépassant la chronique événementielle, Vichy. Histoire d’une dictature exhume une dictature d’atmosphère, un écosystème de la démission où la peur du chaos, les ambitions personnelles et les haines recuites catalysent l’effondrement. L’ouvrage orchestre la parole d’une dizaine d’historiens qui, chacun dans son domaine de prédilection, explore une facette du régime, de sa genèse intellectuelle à sa fin crépusculaire à Sigmaringen.

Inscrivant ses pas dans le sillage des travaux fondateurs de Robert Paxton et de Pierre Laborie, ce collectif en renouvelle la portée. Le récit tisse les archives d’État avec la fibre intime des témoins, faisant dialoguer les discours officiels avec les frémissements secrets consignés dans les carnets de Léon Werth, de Maurice Garçon, d’Hélène Hoppenot ou de Paul Morand. Ainsi se déploie une fresque où l’histoire politique et diplomatique s’incarne dans la chair des mots, la psychologie des acteurs et la stupeur des consciences. Ce volume dresse l’anatomie d’un « État français » qui, loin d’être un accident, fut la conséquence logique d’une lente désagrégation de la pensée républicaine, une implosion morale avant d’être une défaite militaire.

Qui étaient les architectes du pouvoir vichyste ?

Le récit déploie un engrenage. Son point de départ se situe moins dans la débâcle militaire de 1940 que dans l’atmosphère délétère des années 1930, où le désir d’autorité gangrène déjà les élites. La facilité déconcertante avec laquelle, en quelques semaines de l’été 1940 à Bordeaux puis à Vichy, Pierre Laval orchestre le sabordage du Parlement, donne le ton. Dès lors, le livre dissèque avec une froideur analytique La Trinité funeste du pouvoir : Pétain, Darlan, Laval.

L’ouvrage creuse la psychologie de cette alliance improbable : la gloire nationale du maréchal, vieillard pétri de certitudes autoritaires, obsédé par une régénération nationale par la souffrance ; l’opportunisme viscéral de Laval, affairiste cynique obsédé par son retour en grâce et persuadé de son propre génie de la négociation ; l’anglophobie revancharde de l’amiral Darlan, dont l’orgueil blessé le pousse vers une collaboration sans fard. L’analyse de leurs jeux d’influence, de leurs illusions partagées sur une victoire allemande inéluctable et de leurs aveuglements successifs forme l’épine dorsale de cette histoire.

Collaboration d’État : une mécanique bien huilée

Des moments pivots scandent cette descente. Montoire, au-delà de l’immonde poignée de main, apparaît comme le sceau d’un choix politique, celui d’une collaboration d’État assumée, nourrie par une haine de la démocratie qui précède de loin la défaite. Les rafles de l’été 1942 constituent un point de bascule moral où l’administration française, de sa propre initiative, met son zèle méthodique au service d’un crime de masse, allant jusqu’à livrer les enfants que l’occupant ne réclamait pas.

L’instauration du Service du Travail Obligatoire (STO) en 1943, achève de disloquer le pacte social, d’aliéner le monde paysan et de faire basculer une opinion publique longtemps attentiste. La chronologie limpide du récit cache une architecture complexe, faite d’échos historiographiques qui interrogent les mythes tenaces, à commencer par celui du « double jeu » et du « moindre mal ». L’ouvrage démontre avec force que la politique de Vichy fut un choix, non une fatalité ; un acte de souveraineté perverti, plutôt qu’une simple soumission contrainte.

Quelle était la position de l’opinion publique française ?

La question de l’opinion publique est centrale. L’ouvrage cartographie avec nuance le territoire complexe de l’attentisme, qui n’est ni adhésion ni résistance, mais une vaste zone grise faite de survie, de prudence et de sentiments contradictoires. Le livre déconstruit la propagande du régime qui mettait en scène une France unie derrière son maréchal. Il révèle au contraire une fracture grandissante entre le pays réel, qui écoute Radio Londres et espère une victoire alliée, et l’État français qui s’enferme dans une collaboration de plus en plus idéologique.

Les protestations des évêques, comme Mgr Saliège à Toulouse, lors des rafles, marquent une rupture symbolique. Le STO agit comme le révélateur final, jetant des milliers de jeunes hommes dans la clandestinité et le maquis, et transformant une sourde désapprobation en une hostilité ouverte. Le soutien initial, fondé sur la figure protectrice de Pétain, s’effrite inexorablement, laissant le régime de plus en plus isolé, gouvernant par la seule force de sa police et de sa milice.

Ce que Vichy nous dit de nos fragilités démocratiques actuelles

Vichy. Histoire d’une dictature dialogue puissamment avec notre présent, interrogeant les mécanismes par lesquels une démocratie se lasse d’elle-même. L’ouvrage éclaire avec une lumière crue le rôle des élites dans l’acceptation d’un régime dictatorial. Il fut aussi, et c’est l’un des apports majeurs de ce volume, une guerre sémantique, une subversion du langage où les mots de « patrie », d’« ordre » et de « révolution nationale » servirent à masquer la réalité d’une réaction brutale et d’une soumission volontaire. En substituant aux grands récits simplificateurs – le glaive et le bouclier, la France unanimement résistante ou unanimement collaboratrice – une topographie complexe des zones grises, des accommodements et des résistances silencieuses, l’ouvrage rebat les cartes de notre imaginaire national. Il restitue à la période son épaisseur humaine, sa part de tragique, de lâcheté et de grandeur mêlées.

Par la précision de ses analyses et la puissance de sa narration, il devient un miroir tendu à nos propres fragilités collectives, un avertissement sur la rapidité avec laquelle les certitudes démocratiques peuvent se dissoudre dans l’acide des crises. À travers l’autopsie de cet État milicien, autoritaire et criminel, le livre pose une question qui hante le temps présent : qu’advient-il d’une nation lorsque, par lassitude ou par peur, elle cesse de se rêver en République ? Cette interrogation, vibrante et douloureuse, résonne bien au-delà des quatre années de la dictature de Vichy ; elle nous parle d’aujourd’hui, et peut-être, de demain.

Rappelons le mot de Camus : “Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet, mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles.”

Découvrir ou redécouvrir la précédente recommandation de Mare Nostrum.

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