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Alzheimer : la consultation mémoire initiée par l’hôpital de Perpignan

Alzheimer : la consultation mémoire initiée par l'hôpital de Perpignan

Article mis à jour le 14 mai 2023 à 13:56

Dans le cadre de la journée mondiale de l’Alzheimer, nous avons rencontré l’équipe de la consultation mémoire de l’hôpital de Perpignan. La gériatre Geneviève Barnier-Figue est à la tête de cette consultation destinée à diagnostiquer des troubles de mémoire ; une prise en charge globale qui permet de confirmer ou d’infirmer un diagnostic. Mais aussi de mettre en place des solutions pour préserver les capacités des personnes le plus longtemps possible.

Nous avons également recueilli la parole de Sylvette, aidante de son ex-mari, Lionel Pedraza, photojournaliste qui s’est immiscé dans l’intimité d’un couple de retraités touché par la maladie, et Guy Le Rochais, président du Pôle Alzheimer de Perpignan. Pour finir, nous vous invitons à découvrir comment la technique EMDR est aujourd’hui utilisée à Perpignan pour certains troubles de la mémoire ; « une stimulation sensorielle bi-alternée (droite-gauche) qui se pratique par mouvements oculaires ».

La consultation mémoire pour anticiper les troubles

En moyenne, 1.500 personnes bénéficient de la consultation mémoire, 500 patients nouveaux chaque année à Perpignan. En moyenne, les patients ont 80-82 ans nous confie la gériatre. « Mais il n’est pas rare de voir des personnes de 90 ans qui sont en excellent état général ; et qui ont un vieillissement réussi ! Ils viennent cependant nous voir avec une plainte de mémoire ».

La plainte de mémoire est la perception qu’une personne peut avoir du moins bon fonctionnement de sa mémoire. Il peut s’agir de difficulté d’accès aux noms propres, aux lexiques de mots peu usités, de troubles de concentration, ou encore de difficultés d’apprentissage.

Selon la médecin gériatre, le délai de prise de rendez-vous est parfois long ; 4 mois en moyenne. La consultation dure environ 1 heure ; heure durant laquelle le patient répond à de nombreuses questions sur ses troubles, ses antécédents ou son histoire personnelle. La docteure Geneviève Barnier-Figue revient également sur l’histoire familiale ou l’état moral. « Parfois, les troubles de mémoire peuvent être liés à une dépression ou a un traumatisme dans l’histoire personnelle ».

Au-delà des tests psychologiques, des examens médicaux sont aussi pratiqués

Bilan sanguin voire IRM, ces analyses permettent d’écarter d’autres pathologies. En amont du retour de ces examens, la prise en charge peut néanmoins débuter avec un orthophoniste. Depuis le début des consultations mémoire, l’équipe médicale a constaté une évolution dans le profil des patients.

« Il y a toujours des patients qui viennent trop tard. C’est très culturel. Nous avons la chance de soigner des personnes de tout type, de toute origine, de tout niveau culturel, ou social. Je parle espagnol, je reçois beaucoup de patients qui parlent espagnol ou catalan. Des collègues qui se débrouillent plus en anglais ont reçu des anglais ; ou même un suédois une fois ». Après le retour des examens et de l’analyse des tests, le bilan est posé. « Parfois, il peut s’agir de la maladie d’Alzheimer, ou d’une maladie associée ».

Des tests de « débrouillage » pour établir le profil de la maladie

Après la consultation, et si cela s’avère nécessaire, le patient entreprend un bilan neuropsychologique. Sur les 1.500 consultations mémoire, seul un tiers des patients sont aiguillés vers ce bilan nous précise Naoual Mestassi, psychologue clinicienne auprès de la consultation mémoire. « De nouveaux tests de débrouillage sont pratiqués ». 

Les tests de débrouillage se pratiquent avec du papier et un crayon. Lors de cette évaluation, il est demandé au patient de mémoriser une série de 16 mots, de répondre à des questions (le mois en cours, la saison, le jour de la semaine…), de dessiner une horloge avec une heure précise, ou de décrire son moral. « Il s’agit de prendre une photo du fonctionnement du cerveau de la personne à un instant T » confie la psychologue. Ces tests permettent de diagnostiquer plus finement le profil de la maladie du patient.

« Car, il existe de nombreuses maladies de la mémoire. La maladie d’Alzheimer est la plus connue ; mais les troubles de la mémoire peuvent aussi être liés à un syndrome dépressif. Dans ce cas, en traitant le syndrome dépressif, on va aussi améliorer la mémoire. Certaines personnes avec un trouble bipolaire peuvent aussi présenter des troubles de la mémoire ».

« Ensuite nous faisons un retour au patient ou à son entourage », précise Naoual Mestassi. Parfois, les familles sont en réelle souffrance avertit la psychologue. « Nous abordons avec les familles la culpabilité, ou la colère envers le proche qui ne peut plus faire les choses comme avant ».

Soutenir et former les aidants familiaux

Alors que vient d’entrer en vigueur le 30 septembre le congé de proche aidant, la responsable de la consultation mémoire nous décrit le rôle primordial de l’aidant et la nécessité de sa formation. « La formation des aidants est primordiale ; sinon ils risquent de rentrer en conflit avec le malade, alors qu’il ne faut surtout pas. Cela pourrait au contraire accélérer les symptômes de la maladie. Alors qu’il faut s’appuyer sur les gestes que le patient peut encore faire seul. Comment une épouse peut-elle comprendre que son mari ne peut plus faire des gestes qu’il a toujours réalisés ? C’est à ce moment-là que la formation intervient pour faire comprendre aux familles que leur proche est malade ».

La gériatre d’insister sur les aidants. « C’est compliqué parce que la famille doit accepter de jouer un nouveau rôle. Les proches doivent faire le deuil de la personne qu’ils ont toujours connue. La vie de leur proche leur échappe, mais aussi la leur ».

Le témoignage de Sylvette, ex-femme et aidante de Robert

Nous avons pu échanger avec Sylvette, 73 ans et divorcée de Robert, 85 ans diagnostiqué Alzheimer depuis 5 ans. Amatrice de nature, de montagne, Sylvette n’avait plus le goût a rien en décembre 2019.

« Entre ma maman en EHPAD et Robert, je passais mes journées sur la route ». Il faut dire que Sylvette habite à La Cabanasse à 100 kilomètres de Canet ; le lieu de résidence du père de sa fille. Pour ne pas arranger les choses, les effondrements successifs de la Route Nationale 116 l’ont contrainte à faire un détour de 140 kilomètres par Axat durant des mois.

« Ce qui m’a fait tilt, c’est quand nous avons eu la tempête Gloria [NDLR, janvier 2020]. Moi qui adore la neige et le ski de fond, je me suis enfermée chez moi alors que nous avions énormément de neige. J’ai passé un hiver très difficile. Je suis une sportive, une montagnarde, j’adore la randonnée et je n’avais plus le goût à rien. C’est là que j’ai vu que ça n’allait plus du tout. J’ai écrit une très longue lettre au docteur Barneri ; expliquant ce que je ressentais quand j’étais à ses côtés, que je ne reconnaissais plus Robert maintenant. L’équipe médicale a diagnostiqué une dépression et m’a aidée ».

Outre sa dépression, Sylvette est inquiète car elle voit la maladie de Robert évoluer. « Il ne veut plus manger que des desserts, il fait 1 mètre 80 et 58 kilos. Il a des difficultés pour prendre sa douche. Pour la mémoire, je le fais beaucoup travailler sur les mots fléchés ; mais je viens de m’apercevoir qu’il ne sait plus chercher dans le dictionnaire. C’est un détail, mais la dégradation est rapide depuis la première consultation. Il s’enfonce par paliers ». 

♦ Un phénomène de déni récurrent chez les proches

Photojournaliste de Villelongue-dels-Monts, Lionel Pedraza a travaillé sur le sujet pendant 6 mois avant le confinement. Il s’est immiscé dans l’intimité d’un couple de retraités touché par la maladie : elle est diagnostiquée Alzheimer depuis plus de deux ans ; lui, il l’accompagne au quotidien, et devient son « aidant ». « Je pense que le plus gros enjeu dans cette situation est de ne pas se voiler la face lorsqu’on apprend le diagnostic », partage Lionel Pedraza qui se concentre sur ce phénomène de déni, très courant auprès des proches. 

« Tous les deux ont décidé de continuer à vivre le plus normalement du monde. Mais lui croit encore que sa femme peut aller mieux, alors qu’on connaît tous l’issue. Il se bat pour chercher des solutions contre la maladie. Cet aidant est en quelque sorte dans un déni positif. A contrario, je connais un médecin qui ne comprenait pas que sa propre mère était malade : quand l’affect prend le dessus, ça devient difficile ».

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Trouver le courage de sortir du huis clos familial

Président du Pôle Alzheimer de Perpignan, Guy Le Rochais appuie les propos de Lionel Pedraza concernant le déni. Il souligne l’importance de « ne pas rester seul face à la maladie. Rencontrer d’autres personnes qui ont vécu cette situation, cela aide à réaliser le diagnostic d’un proche. Bien sûr, il y a des étapes différentes ; et nous ne sommes pas tous identiques face à la nouvelle. Mais pour aller mieux, il faut trouver le courage de sortir du huis clos familial et venir voir des associations comme les nôtres ».

Fondé en 1998, le Pôle Alzheimer Perpignan regroupe trois entités différentes et dédiées aux malades, aux aidants et aux familles.

  • L’association France Alzheimer Pyrénées-Orientales se charge gratuitement de l’aide, du soutien et de la communication auprès des familles.
  • La Plateforme de répit et d’accompagnement fait de même avec les aidants familiaux.
  • Enfin, le Grand Platane réserve un accueil thérapeutique aux malades, en journée, à Perpignan, Millas et Argelès-sur-Mer.

« Nous expérimentons en ce moment un nouveau service gratuit d’aide pour les aidants », complète Guy Le Rochais. « Nous envoyons des professionnels de santé à domicile pour les remplacer. Le but est simple : leur libérer du temps pour eux-mêmes ». Lionel Pedraza de rebondir : « Il ne faut pas oublier que les aidants familiaux ont généralement le même âge que le malade : ils ont aussi leurs problèmes de santé à gérer. L’accompagnement peut alors devenir très difficile ».

Une grande détresse observée pendant le confinement

Les frais liés à la prise en charge d’un malade peuvent rapidement monter en flèche ; et l’administratif peut se transformer en un parcours du combattant. « Au début, par pudeur, les proches ne se font pas aider », confie le président du Pôle Alzheimer. « Ils viennent nous demander s’ils ont le droit à quelque chose. C’est un sentiment très anxiogène ». Les malades peuvent par exemple bénéficier de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie ; une aide calculée en fonction de l’état de santé et des revenus.

« Ils peuvent bien sûr bénéficier des services de la CPAM, en demandant une infirmière à domicile par exemple, ou encore une équipe spécialisée Alzheimer comme un ergothérapeute. Mais il faut aussi savoir que les jeunes malades, les moins de 65 ans, entrent dans la catégorie handicap ».

Guy Le Rochais de conclure : « Pendant le confinement, nous avons observé une grande détresse : les aidants étaient épuisés, certaines familles ont dû placer leur proche en Ehpad, et certains Alzheimer ont subi une forte régression de leur état. » Guy le Rochais martèle, « il ne faut pas rester seul face à la maladie ! ».

Désensibilisation et retraitement par EMDR

Au sein de la consultation mémoire, Magalie Guillou est formée à l’EMDR ; une thérapie mise en place par Francine Shapiro en Californie. En 1987, la psychologue américaine se rend compte que balayer des yeux le paysage environnant réduit son état émotionnel. Elle se sent moins stressée, moins perturbée. En 1989, elle développe un protocole aujourd’hui utilisé pour certains troubles de la mémoire. De nombreuses études scientifiques ont depuis été menées sur l’Eye Movement Desensitization and Reprocessing.

« Cette thérapie ne traite pas le symptôme, la bouffée d’angoisse qui submerge le patient par exemple. Mais lors d’un stress post-traumatique, le patient peut revivre l’événement. On sait que cela peut entraîner des états dépressifs, des troubles de la concentration, des phobies, des angoisses. Moi, je vais traiter le souvenir douloureux. »

« Le stress post-traumatique est en fait une information dysfonctionnelle non traitée et stockée dans un réseau de mémoire inadaptée. Grâce à l’EMDR, on va traiter cet événement pour qu’il soit rangé dans le bon endroit dans la mémoire du patient. Le travail n’est pas psychologique ; c’est-à-dire que la patient ne va pas essayer de comprendre ce qu’il s’est passé. Mais on agit vraiment sur le système neveux central, au niveau du système limbique ». »

Comment se déroule une séance d’EMDR ?

La première phase consiste à expliquer la thérapie au patient. Ensuite, comme l’explique Magalie Guillou, viennent la préparation, la mise en place de l’environnement, le placement des chaises en quinconce. « Je vais demander au patient de suivre, avec ses yeux, le mouvement régulier de mes mains. C’est toujours sur 3 temps (passé, présent et futur). Je pose des questions, et je l’active pour qu’il se replonge dans l’événement douloureux. À ce moment-là, il est ici avec moi ; mais il revit son événement. Et comme lors de la phase du sommeil paradoxal, le patient va pouvoir retraiter le souvenir douloureux ». 

Grâce à l’EMDR, le patient va garder ses souvenirs ; mais ils n’engendreront plus les symptômes associés. À titre d’illustration, certains patients peuvent, à l’écoute des bruits des feux d’artifice, ressentir le stress vécu lors d’un épisode de guerre. Cette thérapie va leur permettre de conserver leur souvenir ; mais ils ne ressentiront plus le stress à l’écoute d’un bruit similaire.

La docteure Geneviève Barnier-Figue témoigne d’une typologie de patient qu’elle reçoit, ceux qui ont vécu la Retirada. En février 1939, après la chute de la République espagnole, fuyant les troupes de Franco, le département a vu l’arrivée dans le département de 400.000 réfugiés. La gériatre s’est intéressée à ces patients qui ont aujourd’hui entre 85 et 95 ans. « Après tous les traumatismes, privation, peur, travaux pénibles, les gens de la Retirada n’ont jamais consulté. Aujourd’hui, ce sont les enfants qui viennent en consultation mémoire avec leurs parents ou leurs grands-parents ».

Mais la gériatre confie que « malheureusement, parfois ils viennent trop tard, nous ne pouvons plus rien faire… C’est culturel, cela fait partie de l’éducation ; il faut s’occuper de son père ou de sa mère, sans demander de l’aide ». « Mais non ! » s’insurge la médecin. « Ce n’est pas normal, c’est la triple peine pour ces gens. Une vie dure, des faits de guerre durs, et ils ne se soignent pas comme ils le pourraient ».

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Maïté Torres