Aller au contenu

Quand le masculinisme fait reculer l’égalité des genres. Quelle résonance dans les Pyrénées-Orientales ?

Masculinisme sur les réseaux sociaux, quelle résonance dans les Pyrénées-Orientales ?

Article mis à jour le 9 mai 2025 à 11:12

Sans qualifier le mouvement de sectaire, la Miviludes* ou le Haut Conseil à l’Égalité alertent sur cette idéologie qui ramène l’homme et la femme à leur seule spécificité physiologique et qui cherche, plus ou moins ouvertement, à ranimer la guerre des sexes. L’explosion des mascu’ sur Tiktok, Instagram ou X inquiète, focus depuis les Pyrénées-Orientales. Crédit photo © Richard Wang / Unsplash.

Diffusée en mars 2025 sur la plateforme de streaming Netflix, la série britannique Adolescence cartonne. Le synopsis : Jamie âgé de treize ans est accusé du meurtre d’une camarade de classe. Sans se baser sur une affaire en particulier, les créateurs disent s’être inspirés de plusieurs faits divers. Le grand public découvre l’influence dramatique des discours masculinistes auprès des jeunes garçons. Célibataires, ils le seraient à cause du féminisme. Selon les mascu’, ces « incels » (involuntary celibate), ou célibataire involontaire en français, pâtiraient de l’avènement du genre féminin. Des femmes qui leur refuseraient la possibilité d’accéder à la jouissance via des relations sexuelles.

« Le masculinisme s’est créé sur la rancœur de la femme »

Le professeur politiste Francis Dupuis-Déri définit le masculinisme comme un « mouvement social ultra-conservateur qui prétend que les hommes souffrent d’une crise identitaire parce que les femmes en général, et les féministes en particulier, dominent la société et ses institutions ». Cette prise de pouvoir du féminin aurait pour conséquence la relégation, voire la castration, des hommes.

De son côté, Kentra, influenceur perpignanais proche de l’essayiste d’extrême droite Alain Soral, donne sa propre définition. Selon Kentra, Thomas Paillet à la ville, le féminisme serait né d’une sorte de dégoût des femmes à l’encontre des hommes. Le masculinisme n’en serait que la réponse logique. « À une époque où l’on sépare de plus en plus l’homme de la femme, le masculinisme s’est naturellement créé sur la rancœur de la femme », explique-t-il.

Dans son rapport sur l’année 2022, la Miviludes, sans classer le mouvement comme sectaire, cible certaines branches. En 2023, le Haut Conseil à l’Égalité entre les hommes et les femmes a également alerté l’Union européenne sur les dérives des masculinistes.

Les réseaux sociaux, la caisse de résonance favorite des masculinistes

Dans les Pyrénées-Orientales, l’augmentation de cette idéologie est plutôt nuancée. « C’est difficile à estimer », explique Monique Hernandez, membre du Collectif Droits des femmes 66. La plupart des contenus masculinistes sont, aujourd’hui, présents sur les réseaux sociaux. « Ce qui nous interpelle globalement, c’est qu’il semblerait que les réseaux sociaux diffusent énormément de messages masculinistes », confirme-t-elle.

Un sentiment partagé par la vice-présidente du Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM) Francine Caumel. « C’est épatant, les gens se laissent prendre par des publicités, par les influenceurs ». Sage-femme de carrière, Francine Caumel dénonce ces algorithmes qui cantonnent l’utilisateur à un seul type de contenu. Un procédé qui favoriserait la normalisation de ces discours et de ces comportements. « Vous avez l’impression que c’est une mode qui est énorme, qu’il y a plein de gens qui pensent comme vous ».

Dans l’écosystème des influenceurs masculinistes, Andrew Tate est parmi les plus connus. L’ancien kickboxeur a fait sa renommée en diffusant des vidéos à caractère sexiste, lui valant notamment son bannissement de Twitter pour propos misogynes. Depuis le rachat de la plateforme par Elon Musk, de nombreux comptes toxiques ont été réhabilités. Kentra, qui a lui-même vu sa chaîne Youtube pénalisée, dénonce ce bannissement : « Dans le monde où on est, chacun pense ce qu’il veut ». Si la pensée est effectivement libre, la diffusion d’un discours incitant à la haine, la violence ou la discrimination, notamment sur les réseaux sociaux, est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 45 000 € et un an de prison.

Des formations pour ces hommes qui ne trouvent plus leur place

Adolescence, montre l’exemple d’un jeune homme tombant dans cette idéologie. Ces derniers sont davantage susceptibles de plonger dans la manosphère, la communauté masculiniste en ligne. Durant l’adolescence, les jeunes sont en quête de leur identité et d’une appartenance à un groupe. Cependant, ce ne sont pas seulement eux qui sont ciblés. Interviewées, Monique Hernandez et Francine Caumel ont évoqué des profils assez différents.

Le rôle du CCMM est, entre autres, de recueillir les appels de personnes ou de leurs proches et de les diriger vers des structures adaptées. La vice-présidente explique recevoir des appels de femmes dont le conjoint participe à des stages de formations. Des stages qui permettraient de retrouver la fierté perdue d’être un homme. Dans ces camps, les hommes sont aidés pour résoudre leur rapport à leur masculinité. Selon Francine Caumel, les appels à l’aide viennent de la part de couples déjà installés depuis plusieurs mois ou années.

Dans son rapport, la Miviludes insiste, ces stages agissent sur le plan physique, mais aussi psychique des participants. Selon certains témoignages, les hommes sont coupés du monde pendant un week-end sans accès à leur téléphone portable. Le sommeil et la nourriture sont limités, et les participants sont confrontés à leurs blessures intérieures lors de réunions de confessions. Via un communiqué de presse, ManKind Project France, un organisme proposant ce type de stages, s’est clairement désolidarisé du phénomène masculiniste.

Au-delà des stages, les formations sont aussi dispensées sous forme de coaching en ligne. Des hommes qui s’affichent comme mentors pour comprendre les ressorts des femmes et comment les séduire. Cette communauté de coachs a un nom, c’est ce que l’on appelle les Pick up Artists.

Monique Hernandez souligne qu’en raison de sa présence en ligne, le public intéressé par ce contenu est large. « C’est plutôt les jeunes qui sont sur les réseaux sociaux. Encore que maintenant la notion de jeunes sur les réseaux sociaux, ça va jusqu’à 40, 45 ans voire 50 ans ».

Une société où les hommes auraient plus de mal à évoluer

Les réseaux sociaux, c’est justement la spécialité de Kentra. Via ses micro-trottoirs, il questionne sur la Guerre en Ukraine, le conflit israëlo-palestinien ou les rapports entre les hommes et les femmes. Perpignanais et Perpignanaises donnent leur avis au micro de l’influenceur. Ensuite, grâce à la magie du montage, prennent vie les clichés les plus éculés sur les femmes : vénales, seulement attirées par la puissance… bref des témoignages qui vont tous dans le sens de la pensée de « Kentra empereur », son pseudo sur Instagram. “Est-ce que votre partenaire doit bien gagner sa vie ? “ ou encore “si votre partenaire vous avoue qu’il a eu plus de 30 relations avant vous, est-ce que c’est un problème ? ”.

Pour parler du masculinisme, Kentra cantonne l’homme et la femme sur le plan biologique, à leurs capacités physiques. « Les femmes veulent faire croire que certaines d’entre elles sont plus fortes que des hommes. C’est comme si moi, en tant qu’homme, je me comparais aux femmes sur la capacité de reproduction », explique-t-il.

Pour illustrer son propos, il prend l’exemple de métiers qui seraient plus adaptés aux hommes qu’aux femmes. « Si je suis chef d’entreprise et que je monte une société dans le BTP, je ne vais pas embaucher une femme puisque je devrais lui prendre un exosquelette ». Pour Kentra, le secteur du bâtiment ne tournerait que grâce à ces hommes pleins de testostérone qui leur permettrait de porter de lourdes charges. Au XXIe siècle, sans besoin d’exosquelettes, de nombreux métiers, dont ceux du bâtiment, ne se basent plus sur la force physique, du plombier au carreleur, en passant par le contremaître ou le couvreur, tous ces métiers se déclinent désormais au féminin.

Au-delà du physique, l’influenceur dénonce aussi le mal-être des hommes. Il cite la « drague de rue » pénalisée depuis deux ans, ou encore la peur de certains hommes d’être poursuivis en justice. « N’importe quelle femme peut porter plainte contre vous », déclare-t-il. Pour rappel, depuis 2023, la loi punit l’outrage sexiste ou sexuel aggravé. Bien loin d’une simple drague, cette loi vise le harcèlement de rue, celui qui se conclut par des insultes à l’encontre de celle qui n’a pas voulu répondre positivement aux avances du « dragueur ».

Une myriade de masculinistes impossible à quantifier

Monique Hernandez se souvient d’un débat organisé à l’université de Perpignan la veille du 8 mars, journée des droits des femmes. « Il y a un jeune garçon qui s’est présenté comme masculiniste repenti. Cela sous-entend qu’il y en a d’autres. » Si les spécialistes s’accordent sur l’essor de l’idéologie masculiniste, aucune étude ou rapport ne recense le nombre d’adeptes du masculinisme. « Je ne me permettrai pas de donner de chiffres parce qu’en fait, on n’en sait rien », explique Monique Hernandez.

Cependant, les études montrent que le discours sexiste prend de l’ampleur. Selon un sondage du Haut Conseil à l’égalité, un quart des Français jugent qu’il est difficile d’être un homme et l’idée progresse particulièrement chez les jeunes. Dans cette même étude, il est indiqué que 28 % des 25-34 ans estiment que les hommes sont davantage faits pour être patrons, ou encore que 70 % des hommes pensent qu’ils doivent prendre soin financièrement de leur famille pour être respectés dans la société.

Interrogé sur ces chiffres Kentra ne paraît pas étonné. « C’est sûr que recevoir des ordres d’un patron qui est un homme, disons un mâle blanc, hétéro, de plus de 50 ans, il y a un côté logique, j’ai envie de dire ». Selon l’influenceur, la capacité des hommes à s’imposer physiquement serait primordiale dans le management ou la gestion d’une entreprise. Si cette vision patriarcale pouvait s’entendre au XIXe siècle, en 2025, nombre de patrons sont des patronnes et leurs employés, hommes ou femmes, n’attendent pas de leur cheffe qu’elle fasse preuve de ses capacités physiques !

Dans les discours masculinistes, il y a une valorisation de la virilité. Des groupes d’extrême droite peuvent parfois reprendre ces codes. « Aujourd’hui, il y a des gens d’extrême droite qui se forcent à manger de la viande rouge et à faire de la musculation pour montrer qu’ils sont plus forts », déclare Kentra. Mais pour lui, ce lien est plutôt caricatural. En citant « Bouddha, Jésus, Socrate, des gens qui n’étaient pas très musclés », le youtubeur explique que l’influence d’une personne se joue aussi sur l’intellect.

Un mouvement qui ne date pas d’hier  

Monique Hernandez se souvient d’un des premiers événements marquants du mouvement masculiniste. Il y a une dizaine d’années, des pères séparés ou divorcés, montaient sur des grues pour pouvoir récupérer leurs droits sur leurs enfants.

« Sur le coup, un papa qui se préoccupe d’avoir ses enfants et revendique de les garder, ça paraissait sympathique. Puis on s’est rendu compte quelques années après qu’en fait c’était beaucoup de mouvements masculinistes cachés », explique Monique Hernandez. « C’était souvent des hommes violents dont les femmes étaient parties avec les enfants pour échapper à la violence conjugale. »

*Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires

Participez au choix des thèmes sur Made In Perpignan

Envie de lire d'autres articles de ce genre ?

Comme vous avez apprécié cet article ...

Partagez le avec vos connaissances