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«Mémoires culinaires» : un voyage photographique et vivant dans la cuisine des Corbières-Fenouillèdes

MEMOIRES CULINAIRES LIVRE PNR CORBIERES FENOUILLEDES

Article mis à jour le 9 août 2025 à 09:35

Paru aux éditions Plume de carotte, « Mémoires culinaires » est bien plus qu’un livre de recettes, il est le récit de la vie qui se partage autour de ces plats. Des bunyetes ou aurelhetas en passant par les boles de picolat,  cet ouvrage imaginé par les membres du Parc naturel régional Corbières-Fenouillèdes* se décline en « 4P » plats, portraits, paroles et paysages.

Échange avec Philippe Marcy, chargé des collectes patrimoniales auprès du parc, et Idriss Bigou-Gilles, photographe de l’agence Hans-Lucas, qui a réalisé les portraits de celles et ceux qui sont les passeurs de ces mémoires.

Un projet né d’une envie de relier un territoire par le goût

L’idée d’un recueil de recettes locales remonte à la phase de préfiguration du PNR, comme l’explique Philippe Marcy. Le projet débuté en 2019, initialement modeste, prend rapidement de l’ampleur grâce aux nombreuses mémoires collectées, nous confie Philippe. « On commence par un petit carnet de quinze pages, distribué gratuitement. Mais très vite, on se rend compte qu’on tient quelque chose de beaucoup plus vaste : une matière vivante et précieuse. » En quelques années, plus de 400 recettes sont collectées à travers interviews, recherches et contributions spontanées. Certaines, comme les bunyetes ou le freginat de porc, reviennent à de multiples reprises, témoignant de leur ancrage dans le quotidien.

Mais l’objectif dépasse largement la simple compilation. « On voulait comprendre comment on cuisinait avant, ce qui a changé, et surtout comment se faisait la transmission », insiste Philippe. Cette mémoire orale, souvent transmise « à vue d’œil » ou « a visto de nas », comme on dit en occitan ou en catalan, avait besoin d’un support plus ambitieux pour ne pas se perdre. Le livre de recette se transforme en un projet plus vaste et aux multiples formats, podcast, vidéo, récits et photographies.

Un regard photographique pour incarner les récits

C’est là qu’intervient Idriss Bigou-Gilles, photographe habitué à capturer l’humain dans son environnement. Sollicité pour apporter une dimension visuelle professionnelle au projet, il aborde la mission avec la volonté de valoriser les personnes. « J’ai pris le temps de les rencontrer, de discuter avec elles, pour les mettre en valeur au mieux. Un portrait, c’est avant tout une rencontre, une mise en lumière. » Dans certaines images, les sujets regardent l’objectif, dans d’autres non : « J’aime bien quand le regard évoque quelque chose, même s’il est lointain. Ça crée une connexion différente. »

Ses choix esthétiques se font en fonction des lieux et des ambiances. Parfois dans une cuisine ancienne, parfois en extérieur. « Ce qui comptait, c’était de trouver le lieu le plus juste pour chaque personne. C’est un équilibre entre authenticité et mise en beauté. » Idriss distingue aussi les portraits posés, symboliques de la tradition, et les reportages en action qui montrent la continuité dans le présent, comme les cueillettes de romarin ou les marchés aux truffes.

Une mémoire populaire et partagée

Au fil des pages, “Mémoires culinaires” révèle une cuisine profondément liée à la terre, aux saisons, aux rituels. Trois grands axes structurent le livre : la cuisine du quotidien avec ses légumes du jardin et ses œufs de poules, les produits issus de la cueillette, de la chasse et de la pêche, et enfin les plats de fête, souvent collectifs. « Le cochon, par exemple, c’était un rituel : on ne jetait rien, même pas la suie, qui servait à faire du savon », raconte Philippe.

Chaque plat devient une porte d’entrée vers un souvenir, une voix, un paysage. C’est le cas des migas, héritées de l’immigration espagnole, ou des oreillettes que la grand-mère d’Idriss préparait, plat d’enfance qu’il n’a jamais oublié. Cette mémoire culinaire, ce sont aussi des gestes, des savoir-faire, des histoires de femmes, « les mammettes », et d’hommes, chacun avec leur domaine culinaire.

Les bunyetes : « souvenirs, souvenirs ! »

Ce beignet sucré, au nom divergent selon le territoire, est dans les souvenirs de tous et toutes. Dans Mémoires culinaires, c’est Evelyne Prédal d’Estagel qui décline sa recette page 148. « Chez nous, on préparait les bougnettes le vendredi saint, pour marquer la fin du Carême. À la veillée, on s’y mettait en famille, avec les voisines, les torchons bien repassés et la pâte qui reposait sous l’édredon… Le lendemain, les meninas les étiraient à la main, sur le genou, pour leur donner leur jolie forme ronde et gonflée. Les bunyetes, c’est le mot catalan. Chez les gavatx**, on dit plutôt aurelhetas. »

Et Thérèse Blanqué de Sournia nous dévoile son astuce : « Avant le façonnage des bunyetes, pour garder la pâte tiède, il faut la mettre au bain-marie à 45°C dans une toile plastique légèrement huilée. »

Un patrimoine culinaire vivant tourné vers demain

Au final, “Mémoires culinaires” ne se contente pas de figer un héritage : il le réactive. « Ce livre a un vrai rôle : collecter avant que ça disparaisse, mais aussi permettre aux jeunes de se réapproprier ces bases, d’inventer à partir d’elles », souligne Idriss.

Philippe résume l’essence du projet avec une image : « Une recette, c’est cinq pieds : un portrait, une personne, un plat, une parole et un paysage. Et le cinquième pied, c’est le partage. » Ce partage traverse tout le livre, tout le territoire, et s’invite à notre table, aujourd’hui comme demain.

Au menu de ce livre, selon Philippe Marcy il y a : « une bonne cuillerée à soupe de Corbières, une noix de terroir, quelques pincées de nature et de paysages méditerranéens, un soupçon de festivités et une quantité généreuse de portraits et d’histoires qui sauront satisfaire autant vos papilles que votre esprit. Ne reste plus qu’à savourer votre lecture en plongeant dans ces Mémoires pour découvrir – ou redécouvrir – le patrimoine culinaire des Corbières-Fenouillèdes. »

*Le Parc naturel régional Corbières-Fenouillèdes réunit 99 communes, dont environ les deux tiers dans l’Aude et un tiers dans les Pyrénées-Orientales.
** Gavatx : selon le site de l’université ouverte de Catalogne, « pour les Roussillonnais, les Audois –qui parlaient occitan– s’exprimaient dans un mauvais catalan, ce qui leur valait le sobriquet de gavatxos »

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